Conseils pratiques

Comment les recruteurs utilisent Internet pour se renseigner

Taper le nom d’un candidat sur Google permet souvent aux recruteurs d’opérer un tri. Une récente étude sur le «screening» des candidats lève le voile sur cette pratique de plus en plus courante. 
Spécialiste du recrutement depuis plus de 15 ans, Michael Platen a lancé en 2015 une société de conseils spécialisée dans le «screening» des candidats. En partenariat avec l’Université de Fribourg, il a réalisé la première enquête suisse pour mesurer l’étendue de cette pratique et mieux comprendre comment les recruteurs utilisent ces informations pour guider leurs choix. Michael Platen commente pour HR Today les résultats de cette enquête.
 
80% des candidats googelisés
«Les vérifications sur Internet ont pris de l’ampleur depuis quelques années. Cela dit, ce n’est pas encore une pratique systématique. J’estime que 80 pour cent des candidats sont aujourd’hui googelisés à un moment donné lors du processus de recrutement. Nous avons aussi découvert que 70 pour cent des recruteurs interrogés ont déjà rejeté des candidatures à la suite de ces vérifications. Parmi les raisons évoquées: données erronées sur le CV (31 pour cent); la publication de contenus peu soignés (fautes d’orthographe, photos de mauvaise qualité); un comportement criminel (conduite en état d’ébriété, consommation de stupéfiants); un candidat qui critique son ancien employeur et des images controversées (photos le montrant en train de faire la fête par exemple). Ces traces laissées sur le Net peuvent aussi être positives: des hobbys ou des passions qui seraient en lien avec l’activité professionnelle. Une présence sur Internet soignée (profil LinkedIn à jour, images de qualité) va également jouer en faveur du candidat. Par contre, une absence totale de l’Internet, ne joue généralement pas en leur faveur.»
 
Ces vérifications sont-elles légales?
«Selon l’article 12 de la loi sur la protection des données, toutes les informations publiques, y compris celles qui apparaissent au moment de lancer une recherche sur Internet, peuvent être récoltées si le candidat ne s’y est pas opposé formellement. Il y a cependant plusieurs limites. Selon le Code des obligations, art. 328 b, seules les informations pertinentes peuvent être utilisées quand il s’agit d’une décision de recrutement. Elles doivent donc avoir un lien avec l’activité professionnelle. L’autre volet concerne la protection des données: en principe, l’employeur est en droit de mener ces vérifications car il va entrer dans une relation contractuelle avec le candidat, et cela même sans lui demander son consentement. En revanche, le consentement du candidat est nécessaire si vous recueillez des données personnelles sensibles (sur un profil Facebook par exemple) ou si vous stockez ces données dans une base de données. Le consentement du candidat est d’ailleurs également nécessaire si vous essayez d’obtenir des informations d’un tiers (le casier judiciaire ou les références par exemple). A noter enfin qu’il est interdit de tricher pour obtenir des renseignements (exemples: devenir ami avec un candidat sur Facebook en utilisant une fausse identité, ou demander le mot de passe d’un compte privé).»
 
Quel poids faut-il donner à ces infos?
«La validité des informations trouvées sur le Net dépend de la qualité de la source. Le doute est souvent de mise. Comment interpréter des photos controversées? Certaines petites vérifications s’avèrent parfois utiles. Il s’agit par exemple de s’assurer que vous avez bien à faire avec la bonne personne: comparez les photos trouvées avec celle du CV et vérifiez l’adresse et la date de naissance. D’autre part, des études ont montré que les personnes qui gèrent bien leurs paramètres de confidentialité sont plutôt consciencieuses. Des études américaines, où ces pratiques de screening sont beaucoup plus répandues, ont montré qu’une personne qui fait référence à l’alcool ou aux drogues sera plutôt extravertie, moins consciencieuse et émotionnellement plus instable et donc beaucoup plus enclines à avoir des problèmes de performance au travail. Il est aussi prouvé que l’image qu’une personne présente sur Internet correspond à l’image qu’elle se fait d’elle-même. Un recruteur pourra donc comparer cette image avec ce qu’il aura reçu comme information lors d’une prise de référence par exemple. En cas de décalage, cela pourra être creusé lors de l’entretien.»
 
Quelle limite entre privé et public?
«Jusqu’où peut-on aller dans la recherche d’informations sans entrer dans la sphère privée des collaborateurs? Les recruteurs que nous avons interrogés se sont montrés mal à l’aise sur ce sujet. En Suisse, la protection de la sphère privée est une valeur très élevée. Dans les pays anglo-saxons, la transparence et l’honnêteté sont plus dominantes dans l’échelle des valeurs. Lors de notre enquête, certaines personnes nous ont répondu que: «Tout ce qui n’est pas protégé est public». D’autres estiment que Facebook est privé et donc inutilisable. Notez aussi que toutes les informations liées à l’appartenance ethnique, à la religion ou à l’orientation sexuelle ne sont en principe pas pertinentes. Le recruteur risque cependant d’être influencé par certaines informations quand bien même il n’en parlera pas avec le candidat. Cela renvoie donc à l’éthique professionnelle du recruteur, mais c’est aussi le cas pour l’utilisation des informations récoltées lors des autres étapes du processus de recrutement. En principe, le préposé à la protection des données réagira en cas de plaintes seulement.»
 
Quels sont les risques de discrimination?
«Selon notre enquête, les données récoltées sur Internet ne sont pas plus sensibles en termes de discrimination. En revanche, la manière dont un candidat va gérer son image sur Internet pourra influencer une décision. La qualité de ses photos, l’attractivité physique du candidat et de ses amis, la qualité de ses réseaux vont jouer – ou non – en sa faveur. En Allemagne, certaines sociétés – actives dans le crédit à la consommation – analysent les réseaux des candidats et en tiennent compte au moment de prendre une décision. Nous avons également constaté que les femmes sont plutôt privilégiées lors du «screening» des candidats alors que ce sont plutôt les hommes qui le sont dans les entretiens traditionnels. Cela a probablement un lien avec une image plus soignée. Les hommes sont aussi plus enclins à publier des données sensibles et problématiques.»
 
Qu’en pensent les candidats?
«Notre recherche montre que les candidats sous-estiment fortement l’impact de leur image sur Internet. Les gens ne se rendent pas compte que ce qu’ils publient sur le Net est regardé. Ces informations ont donc clairement un impact. A l’ère de la communication et du marketing, cette inconscience sera considérée comme un facteur de risque pour un employeur. En 2014, une étude a montré que 81 pour cent des personnes interrogées estimaient qu’une de leurs connaissances allait perdre une opportunité d’emploi à cause de leur comportement à risque sur Internet. En parallèle, 83 pour cent des sondés pensent que cela ne leur arrivera pas personnellement. Il y a donc pas mal de naïveté sur ce sujet. De plus, comme l’utilisation du Net varie sensiblement selon le recruteur, c’est très difficile de savoir comment les informations retrouvées sur Google seront prises en compte. Nous remarquons aussi que de plus en plus d’entreprises imposent des lignes di- rectrices à leurs employés afin de les rendre attentifs aux risques et pour limiter les informations qu’ils seraient tentés de publier.»
 
Aucune approche structurée
«Notre enquête a montré qu’il n’y avait aucune approche structurée ou réglementée dans les entreprises. Nous avons demandé aux recruteurs s’ils estimaient utiles de réglementer cette pratique. La réponse a été quasi unanime: oui, afin d’éviter les discriminations et l’utilisation hasardeuse des données. Tous étaient également d’accord sur la transparence à avoir avec le candidat. Ce dernier doit savoir que sa présence sur Internet sera utilisée pour prendre la décision de recrutement. Les recruteurs souhaitent également disposer d’une directive interne pour réglementer cette pratique. Enfin, afin d’objectiver la recherche de renseignements et d’en augmenter la qualité, les recruteurs estiment qu’il serait préférable de séparer cette activité de la prise de décision. Cela éviterait que le recruteur aille chercher des informations qui confirmeraient son intuition. Le «screening» des candidats pourrait en revanche être assumé par le département RH (avec l’aide éventuelle d’un partenaire externe), la décision d’engager le candidat étant généralement prise par la ligne.»
 

 

Michael Platen est le directeur de la société Aequivalent SA, basée à Yverdon-les-Bains. Cette société est spécialisée dans le «screening» des candidats. Lien: www.aequivalent.ch

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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