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«Dans le monde professionnel, le commérage est particulièrement destructeur»

Marielisa Autiery et Kim Fellay ont consacré leur Mémoire de Master en psychologie du travail à l’Université de Neuchâtel aux effets du commérage dans une équipe d’hôtesses lors d’un salon automobile.

Qu’est-ce qui vous a poussées à vous intéresser au commérage?

Nous avons voulu contribuer à la recherche sur le commérage, phénomène universel et essentiel pour l’être humain. Le fait de parler d’autres gens, positivement ou négativement, en leur absence, fait partie du quotidien et remplit des fonctions importantes. Le commérage permet notamment de resserrer les liens entre «gossipers»; on ne commère d’ailleurs qu’avec des gens auxquels on fait confiance et avec lesquels on a un certain degré de proximité. L’action de commérer permet aussi d’exercer un pouvoir d’influence: en parlant d’autres gens, on montre qu’on détient des informations importantes sur autrui et qu’on est intégré au groupe. Plus simplement, le commérage permet de passer le temps, au même titre que le fait de parler de tout et de rien. Parallèlement à ces fonctions adaptatives, normales et tout à fait importantes, le commérage peut avoir des effets néfastes pour les individus et être un signe de dysfonctionnement dans le groupe. Dans le monde professionnel, le commérage est particulièrement destructeur: c’est un moyen efficace de s’attaquer aux réputations et d’isoler de manière vicieuse et dissimulée.

Quel éclairage apporte votre travail?

Notre postulat de base est que tout commérage naît de la comparaison par rapport à une norme. Cette comparaison fait appel à un sens de la justice, caractéristique éminemment humaine, et crée un sentiment d’équité ou d’inéquité selon la situation perçue. En résumé, on ne commère que sur des gens qui dévient de la norme – soit vers le haut, soit vers le bas – parce qu’on se compare à eux. Les personnes qui dévient positivement de la norme, les «surperformeurs», donnent naissance à de la jalousie, qui peut être moteur de croissance. On prend ces gens comme des exemples, ou on est simplement jaloux d’eux. Dans tous les cas, ces «superformeurs» attirent l’attention et engendrent des commérages. À l’inverse, les gens qui dévient négativement de la norme donnent lieu à un sentiment d’injustice car ils profitent du système. Ces «sousperformeurs» sont susceptibles de démotiver les autres membres du groupe. Ils risquent également de profiter des autres, gentils et naïfs, qui pourraient les aider à arriver à leurs fins alors qu’ils ne le méritent pas. Pour cette raison, ce sont des personnes dangereuses dans les équipes. L’auteur Dunbar, que nous avons largement cité dans notre Mémoire, décrit les personnes qui dévient négativement de la norme comme des «free riders», de véritables profiteurs du système et de l’ingénuité du groupe. Dans ce cas, le commérage permet de mettre en garde les autres membres de l’équipe, plus naïfs ou moins informés sur les agissements du «free rider», qu’il faut s’en méfier.

Quelles sont vos conclusions les plus importantes?

Le commérage est une manière de sanctionner socialement ceux qui se comportent de façon déviante par rapport à la norme du groupe. Le commérage est produit non seulement lorsque la comparaison sociale mène à de la jalousie pour quelqu’un qui est meilleur que la norme, typiquement quelqu’un qui a de meilleures performances, plus de reconnaissance de la part du supérieur ou qui reçoit une promotion, mais également lorsque la comparaison sociale engendre un sentiment d’injustice ou d’iniquité. Les commérages produits lors de la foire automobile que nous avons étudié portaient majoritairement sur une hôtesse qui travaillait mal et abusait du système: elle débordait ses pauses, partait pendant les horaires de travail sans que les chefs ne s’en aperçoivent, et perdait constamment ses affaires dans les vestiaires. On voit bien que les commérages contre cette hôtesse étaient une manière de protéger les membres du groupe et d’éviter qu’ils ne se laissent exploiter. À l’inverse, les commérages tout aussi nombreux contre une autre hôtesse qui travaillait de façon exceptionnelle et était devenue la favorite, sont également une façon de la sanctionner, parce qu’elle dévie positive- ment de la norme.

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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