Prévoyance professionnelle

La gouvernance socialement responsable des portefeuilles

L’investissement socialement responsable est revenu au centre des préoccupations depuis l’accord de Paris de 2015. Mais comment s’y prendre concrètement? Et quelle influence sur la performance? Eclairage.

L’investissement socialement responsable (ISR) a pris de l’importance ces dernier temps, en particulier depuis l’adoption, le 12 décembre 2015, de l’Accord de Paris sur le climat. Cet accord prévoit à son article 2 de rendre «les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques». Pourtant, ce concept n’est pas nouveau. Bien qu’aucune loi ne leur impose de développer des principes de développement durable dans leurs placements financiers, les caisses de prévoyance suisses devront mettre en œuvre un concept d’ISR. Contrairement aux idées reçues, l’intégration de critères ISR dans la stratégie d’investissement ne nuit pas nécessairement à la performance d’un portefeuille de titre.

Une affaire de conviction

Les caisses de prévoyance ont une responsabilité fiduciaire qui dépend des attentes de leurs assurés. Certaines d’entre elles doivent garantir que leur fortune contribue au respect de valeurs fondamentales comme la protection de l’environnement. D’autres caisses tendent à se mettre en cohérence avec les valeurs de l’employeur. C’est pourquoi, adopter une politique d’ISR est une affaire de conviction.

En pratique, l’ISR s’articule autour des 3 axes suivants:

  • «l’engagement», dialogue visant à influencer les entreprises à adopter les bonnes pratiques en matière de gouvernance et de développement durable;
  • «l’impact investing», réalisation d’investissements ayant un impact direct positif sur l’environnement (obligations vertes);
  • l’exclusion d’entreprises et le soutien aux sociétés les plus socialement responsables selon une approche «best-in-kind».

Les exclusions d’entreprises sont généralement déterminées sur la base des critères ESG (environnement, social et gouvernance). Ces critères reposent sur des analyses extra-financières et permettent d’évaluer la durabilité d’une entreprise notamment selon le caractère polluant de ses activités, ses relations avec ses salariés et autres partenaires, ou encore en fonction de la composition et du fonctionnement de son conseil d’administration. D’autres critères d’exclusion peuvent également être appliqués (par exemple, le nucléaire, l’armement).

Soutenir les bons ou exclure les moutons noirs?

Les exclusions présentent néanmoins des inconvénients:

  • un acteur vendant des actions n’influence pas les cours boursiers car les titres sont acquis par des investisseurs ne partageant pas le même avis;
  • ne plus être actionnaire implique de renoncer à ses droits de vote et perdre son influence;
  • des entreprises peuvent être exclues alors qu’elles ont entrepris une transition en faveur de la durabilité.

Ainsi, le dialogue et le soutien aux sociétés apparaissent comme des formes privilégiées d’investissement responsable. Quant aux exclusions, elles doivent être réservées à des secteurs qui ont des effets particulièrement négatifs.

Toutefois, avec l’Accord de Paris, la tendance est à la «décarbonisation» des portefeuilles. Une étude d’empreinte carbone permet aux fonds de pension de se comparer par rapport au marché en termes d’émission de CO2, et de déterminer si des exclusions sont nécessaires. A ce titre, le charbon demeure une des principales sources d’émission de gaz à effet de serre.

Déterminer les sociétés à exclure

L’établissement d’une liste de sociétés à exclure pour l’ensemble des zones géographiques nécessite des connaissances étendues et approfondies des entreprises. Un suivi régulier de leurs activités est nécessaire pour s’assurer que ce qui est promis est réellement fait. Les critères d’exclusion doivent donc s’inscrire dans le temps et être comparables.

Une caisse de prévoyance, tentée d’établir elle-même une liste ou de déléguer ce travail à ses gérants, risque fort de perdre en cohérence. La caisse mettra naturellement l’accent sur les entreprises qu’elle connait et les gérants interpréteront chacun à leur manière les critères d’exclusion. C’est pourquoi, une caisse devrait déterminer des critères d’exclusion et déléguer à un tiers spécialisé la tâche d’établir la liste des sociétés que les gérants devront exclure.

L’équilibre entre performance et exclusions

Une caisse a pour objectif premier de générer des rendements suffisants pour financer la prévoyance de ses assurés. A ce jour, le manque de recul sur l’application des critères ISR ne permet pas d’émettre de conclusions en matière de performance.

Néanmoins, des exclusions de sociétés ne se traduisent pas nécessairement par une perte de performance. Tout dépend de la rentabilité effective des entreprises exclues. Afin d’évaluer l’effet des exclusions sur sa performance globale, une caisse de prévoyance peut créer des indices spécifiques tenant compte de ces exclusions et les comparer avec celle des indices classiques.

Fédérer les investisseurs

Le désir d’être socialement responsable, insufflé par l’ONU (Accord de Paris, 17 objectifs de développement durable), revêt un enjeu politique pour les caisses de prévoyance. Ce désir devrait leur permettre de se fédérer autour d’actions communes et concertées pour peser dans la balance. Il s’agirait:

  • d’implémenter l’ISR autour des 3 axes: «l’engagement», «l’exclusion et le soutien de sociétés» et «l’impact investing»;
  • de s’associer avec des organismes indépendants et spécialisés en vue de fixer une politique commune en matière d’ISR;
  • de développer des normes internationales standardisées pour avoir les mêmes méthodes de mesure des effets sur le climat en matière de gaz à effet de serre.
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Pierre-Emmanuel Beun est Chef de service au Département des finances et des ressources humaines de l’Etat de Genève. Il est également, membre du comité de la Caisse de Prévoyance de l’Etat de Genève (CPEG), nommé par le Conseil d’Etat.

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