Interview

«Le travail temporaire répond aux besoins des Millennials»

Le numéro trois suisse du travail temporaire, Interiman Group, publie son bilan 2018. CEO du groupe depuis 2007, Robin Gordon revient ici sur les tendances du marché et partage sa vision des réformes à venir.

Interiman Group a réalisé un chiffre d’affaires de 326 millions de francs en 2018, soit une croissance de 22,5% pour le travail temporaire et de 44,5% pour le placement fixe. Comment expliquez-vous ces bons résultats?

Robin Gordon: La conjoncture suisse a été bonne en 2018, les exportations sont reparties à la hausse et tous les secteurs ont profité de cette embellie. Cette situation s’est naturellement reflétée sur notre activité. Mais cette forte croissance s’explique aussi par notre stratégie multimarques (13 enseignes dont Interiman, Hotelis, Humanys ou Medicalis par exemple, ndlr). En 12 ans, nous sommes passés de 40 à 326 millions de francs de chiffre d’affaires.  Durant cette période, nous avons systématiquement réinvesti nos bénéfices dans la croissance. Ces cinq dernières années, nous avons ouvert 25 agences supplémentaires. Et ces agences ont eu le temps de mûrir. Nous sommes désormais numéro un en Suisse romande, selon nos estimations.

Les experts annoncent une récession en 2020; et vous?

Les crises sont très difficiles à prévoir. Et comme elles sont cycliques, il y en aura forcément une un jour. Cela dit, je n’aime pas parler de ralentissement, car c’est un phénomène très émotionnel. Plus on en parle, plus elles se déclenchent. (sourire)

Vous n’êtes donc pas inquiet pour le futur?

Non, au contraire. La Suisse a toujours bien résisté aux crises. Les PME suisses ont extrêmement bien réagi face à la crise du franc fort par exemple. Quant à la branche du travail temporaire, elle est en pleine croissance et le restera ces prochaines années.

Comment expliquer cette bonne santé de la branche?

Le travail temporaire répond à une tendance de fond, et particulièrement aux besoins des Millennials. Ces derniers ne souhaitent plus forcément un emploi pour la vie. Ils se marient aussi plus tardivement, à 31 ans en moyenne, au lieu de 26 ans en 1980. Durant ces années, ils recherchent de la liberté et sont prêts à prendre des risques sur le plan professionnel. Pour de nombreux jeunes, le travail flexible est un moyen de reprendre le contrôle sur leur destin professionnel. Et ils sont souvent tétanisés à l’idée de n’avoir que cinq semaines de vacances par année en contrat fixe.

L’attitude des Millennials suffit-elle à expliquer la croissance de votre branche?

L’autre raison est technologique. A l’avenir, les plateformes de «matching» entre employeurs et employés vont modifier les habitudes de travail. Grâce à ces technologies, les besoins des employeurs vont gagner en visibilité et cela favorisera le statut du travailleur nomade. Nous le constatons chez nous: en principe, après 18 mois de mission, 20% des employés poursuivent leur activité en temporaire; ce pourcentage augmente chaque année.

Vous affichez votre attachement au «swiss made». Pourquoi?

Car le «swiss made» renvoie à des valeurs qui nous sont chères: l’éthique, l’intégrité et la transparence par exemple. Au-delà du «swiss made», nous attachons beaucoup d’importance aux enjeux environnementaux. Nous avons d’ailleurs obtenu en 2018 la certification ISO 14001. Réduire l’impact sur l’environnement passe à notre avis par le cumul d’efforts individuels. Un jeune qui travaille chez nous a par exemple proposé de supprimer les gobelets en plastic. Cela représente 70’000 gobelets par année! Nous avons aussi décidé de lancer en 2019 la nouvelle norme ISDO 45001 (santé et sécurité au travail). Cela devrait être effectif en avril.

Vous évoquez dans vos communications le concept de HR 360. Qu’est-ce que c’est?

L’idée derrière ce concept est de ne jamais dire non à une demande d’un DRH. En résumé, nous couvrons tous ses besoins en termes de recrutement, de sélection, de gestion de la paie et d’outplacement. Et depuis l’année dernière, nous avons conclu un partenariat avec le groupe TACK & TMI pour couvrir les besoins de formation.

Quels sont vos projets stratégiques pour 2019?

Nous souhaitons poursuivre notre développement en Suisse alémanique par acquisitions. Nous sommes en pour-parler avec un certain nombre d’acteurs dans ce sens. Nous visons des sociétés qui génèrent un minimum de 30 millions de francs de chiffres d’affaire, avec 6 ou 7 agences.

Le système de protection sociale suisse a besoin d’être réformé. Quel est votre avis sur le sujet?

La tendance va clairement vers plus d’emplois indépendants. Et le multi-emploi a tendance à précariser le statut des travailleurs. A mon avis, il faudrait prendre exemple sur le modèle du portage salarial français. Le fait de centraliser ces indépendants auprès d’un employeur permet de sécuriser leur situation et de combler les manques en termes de cotisations sociales. Les acteurs du travail temporaire pourraient très bien tenir ce rôle. Je pense même qu’il y aura une compétitivité croissante entre sociétés de travail temporaires sur ces enjeux de prestations sociales.

Vous présidez le conseil de fondation de la Collective de prévoyance Copré. La LPP a-t-elle également besoin d’être réformée?

L’échelonnage des taux de cotisation selon les âges devra à terme être supprimé. Il cause trop de discrimination entre les générations. Je pense aussi qu’il faudra supprimer la déduction de coordination, qui ne fait plus sens aujourd’hui. La relation à l’emploi a changé, les interruptions de carrière – pour des raisons de formation ou pour congé sabbatique – sont de plus en plus courantes. Les modèles de cotisation d’aujourd’hui ne correspondent pas à l’employé 2.0. Cela dit, je suis surpris de voir à quel point les réformes envisagées ne sont pas suffisamment étudiées en profondeur. Pour des raisons électoralistes, nous prenons le risque d’aller droit dans le mur.

 

Une nouvelle CCT avec tous les salaires minimaux dans le pipeline

Robin Gordon, CEO d’Interiman Group, siège également dans la délégation de Swissstaffing – Union suisse des services de l’emploi – lors des négociations avec les partenaires sociaux. Conclue pour la première fois en 2012, la nouvelle CCT Location de services (CCTL 2019-2020) est entrée en vigueur au 1er janvier 2019 et demeure valable jusqu’à fin 2020. A noter que Swissstaffing prépare d’ores et déjà une nouvelle mouture de cette CCT, qui devrait reprendre tous les salaires minimaux de toutes les conventions collectives du pays (étendues et non-étendues). Un texte qui permettrait d’assurer l’égalité de traitement de tous les salariés, fixes et temporaires. Robin Gordon: «Ce projet est révolutionnaire et je vais me battre pour qu’il aboutisse. Ce serait une avancée sociale sans précédent en Suisse.»

Bilan chiffré de l’exercice 2018

Fondé en 1998 par Raymond Knigge, Interiman Group est spécialisé dans le recrutement et la sélection pour des postes fixes et temporaires. En 2018, la société a généré un chiffre d’affaires de 326 millions de francs, soit une hausse de 22,5% pour le travail temporaire et de 44,5% pour le placement. A titre de comparaison, la hausse enregistrée par l’ensemble des opérateurs s’est établie en 2018 à 8,5% pour le travail temporaire, et à 13,3% pour le placement fixe. (Source: indice Realisator)

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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