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Vers les «Relations Humaines»

Si – de l’administration du personnel dans l’organisation bureaucratique classique jusqu’à la gestion des Ressources Humaines dans ses déclinaisons néo-tayloriennes – la discipline-profession RH s’est bien alimentée d’une succession de courants de pensée issus d’horizons scientifiques divers (théories mécanistes, psycho-sociales, socio-techniques, cognitives ...), j’ai l’intime conviction qu’elle traverse aujourd’hui, disons, «le plus gros passage à vide idéel» de son histoire.

La boîte à outils RH qui s’est imposée au fil des ans, au gré des modes, des consultants, m’apparait en effet comme un bric-à-brac bancal, devenu impropre à sertir les nouvelles réalités organisationnelles et les mutations du travail humain à l’ère digitale. Les idées-concepts à belle sonorité y font florès: compétences, relève, carrière, talent, développement personnel ... Mais les signaux de défaillance du système ne cessent paradoxalement de se multiplier (turnover, absentéisme, harcèlement ...), faisant parfois la une des quotidiens dans des circonstances tragiques.

Il y a une équation qui ne marche plus. Contrairement à ce que semblent véhiculer les dispositifs RH, les organisations peinent aujourd’hui à offrir des trajectoires, de la stabilité et de la sérénité. Acculés à des exigences de performance insoutenables et concurrencés à l’interne, les managers souffrent et en cascade font souffrir; plutôt que celui de l’organisation, ils jouent leur propre jeu.

Les plus jeunes générations ne sont pas dupes. Bercées aux parachutes dorés et autres scandales, elles regardent le monde de l’entreprise avec méfiance. Surqualifiées, se sentant légitimes dans leurs ambitions, elles s’interrogent sur l’opportunité d’aller céder leur force de travail et leur intellect à des organisations qui vraisemblablement les utiliseront sans plus de considération. L’entretien d’évaluation annuel est devenu un rite morne, entretenant le faux-semblant de carrières impossibles. A défaut de promotion verticale, de grades ou de salaires, on essaime de la formation comme un reward. Et plutôt que d’en prendre le contrepied, les politiques RH alimentent ces frustrations et ces incohérences. Faute d’idée plus fraîche?

Un virage est nécessaire et il doit en premier lieu s’opérer sur le terrain de l’idéologie. Exit le capital humain, exit les «stocks de ressources», exit l’illusion de la gestion des compétences, des talents, de la relève ... Exit aussi l’idolâtrie de la performance. La profession a besoin d’un cadre de pensée neuf qui lui permette de remettre de l’huile dans les rouages, de recréer du lien dans les rangs, du sens au travail humain. Et ce n’est qu’en réinvestissant le champ des «Relations» humaines qu’elle pourra y parvenir. J’entends par là remettre le nez sur l’organisation, apprendre à l’observer, la disséquer, la comprendre. S’intéresser aux interactions au sein des équipes, entre les équipes; cerner les jeux de pouvoir, savoir user d’influence pour en jouer ou s’en déjouer. Se doter d’outils novateurs refondant les cadres d’un partenariat pérenne entre l’entreprise et ses membres, par-delà les carrières et leurs impasses. Les expériences fondatrices d’E. Mayo jusqu’aux derniers développements en sociologie des organisations nous renseignent sur la complexité des facteurs conditionnant les comportements humains au sein de l’environnement professionnel, contraignant de facto sa productivité. A l’heure numérique et technologique, les conditions de cette productivité sont bien évidemment bousculées en profondeur et on ne saurait se contenter d’y appliquer les schèmes intellectuels du passé.

Il y a un corpus fécond où puiser de l’inspiration pour rebâtir des outils analytiques innovants, plus en phase avec ce nouveau visage du travail humain. Les pistes sont nombreuses qui renouvellent notre vision du leadership, du management, en mettant notamment en exergue le rôle de l’expérience vécue par les acteurs, de leur capacité à interagir avec leur environnement. C’est probablement là le terreau d’une nouvelle école de pensée, plus empirique. Nous allons peut-être bientôt vivre une troisième grande évolution de la profession? Encore du ressort de l’intuition, je crois en l’avènement futur des RH comme «Relations Humaines».

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Raphaël Bennour, ancien cadre RH d’une grande banque privée de la place genevoise, dirige le groupe CAVEA (en­ seignes Rhônalia et Vinograf, actives dans la distribution de vins et spiritueux haut de gamme) qu'il a co­créé en 2009. Consultant indépendant depuis 2016, il accompagne aussi les entreprises du secteur bancaire dans les défis actuels de la filière (digitalisation, marketing de l'offre, conduite du changement).

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