Marché de l'emploi

Au Pérou, des milliers d'enfants défendent leur droit au travail

Certains vendent des crayons dans la rue ou recyclent des déchets, d'autres gèrent leurs propres micro-boulangeries. Au Pérou, les enfants qui choisissent de travailler pour aider leur famille sont légion. Ils ont eux-mêmes créé des mouvements afin de mieux défendre leur droit à un travail jugé "digne".

(ats) Andrei dépose les sacs de bouteilles sur la balance industrielle, qui marque 0,8 kg. L'enfant empoche les 2 soles (70 centimes) que lui tend une employée de l'entreprise de recyclage. Ce n'est qu'un début: comme chaque semaine, il arpentera durant deux jours encore les rues du district de Villa Maria, à Lima, en quête de bouteilles de plastique vides, jusque sous les voitures et les étals de marché.

"Je suis fier de ce que je fais, le recyclage aide mes parents à acheter le pain, mon matériel scolaire et d'autres petites choses utiles", explique le garçon de 11 ans. Sa mère Rosario ne le contredit pas: "c'est un soutien modeste mais très précieux pour la famille". Celle-ci vit dans le quartier de Yerbateros, au bas d'un "cerro", l'une des nombreuses collines défavorisées de Lima.

Pour ramasser suffisamment de bouteilles de plastique ou de boîtes de conserve, Andrei doit se rendre à la périphérie de la ville, la concurrence étant trop vive près de chez lui. L'enfant s'empresse d'ajouter que les trajets en bus et les heures de travail "se font sur le temps libre, et pas pendant l'école". Là, c'est le délégué du Mouvement d'enfants et adolescents travailleurs (Manthoc) qui parle.

Comme Andrei, des milliers d'enfants travailleurs du Pérou font partie d'organisations à travers lesquelles ils défendent leur droit à un travail "digne", c'est-à-dire volontaire, rémunéré et adapté à leur âge. En parallèle, les jeunes achèvent l'école obligatoire. Selon eux, travailler apporte des compétences professionnelles et humaines, et l'école des connaissances de base nécessaires.

Etendre ses "capacités"

Kathy, 12 ans, est elle aussi déléguée du Manthoc, la première organisation de défense des enfants travailleurs créée il y a 40 ans et qui rassemble aujourd'hui plus de 2500 jeunes au Pérou. "Grâce à mon job, je m'entraîne à calculer après ma journée à l'école, j'apprends à négocier avec les clients et à boucler les comptes", affirme-t-elle, heureuse d'acquérir "de nouvelles capacités".

Avec ses amies Soledad et Nicole, devant leur petite "librairie" improvisée sur un trottoir de la capitale, Kathy parle surtout stratégie de vente, hausse des prix et profits. "Et si on faisait une action sur les crayons?" Après les cours, les filles revendent un peu plus cher en face du collège du matériel scolaire acquis auprès de producteurs. De quoi gagner quelques piécettes par jour.

Dans les "cerros" d'Héroes del Cenepa, parmi les plus pauvres de Lima, des enfants gèrent même leur propres petites entreprises ambulantes de boulangerie. Le programme Prominnats leur propose des prêts jusqu'à 100 francs avec intérêt, versés après évaluation positive d'un "plan de commerce". En parallèle, les enfants prennent part à des ateliers de micro-économie et de production de pain.

Ceux qui votent pour délier les cordons de la bourse sont des mineurs, là aussi. A l'image de Prominnats, des programmes et mouvements d'enfants travailleurs très divers ont proliféré dès la fin des années 1980. Regroupés sous l'égide d'un mouvement national, ils sont reconnus par l'Etat, qui dit tolérer ces formes de travail des enfants et concentrer sa lutte contre l'exploitation infantile.

Au coeur des décisions

Les délégués locaux et nationaux de ces organisations, qui disent représenter entre 2 et 3 millions d'enfants travailleurs au Pérou, se réunissent plusieurs fois par mois. Des "collaborateurs" adultes, sans pouvoir décisionnel, les accompagnent lors des débats et de la prise d'initiatives. Les enfants votent notamment des manifestations, des "sittings" ou des pétitions à remettre aux élus.

Pour Angel, qui est délégué national, malgré l'engagement des enfants à tous les échelons, "le combat pour le droit des mineurs à un travail digne est loin d'être gagné". Sous sa capuche, le Liménien de 15 ans a le regard sévère, le ton sentencieux: "l'Etat ne nous aide pas, il n'a rien à faire des intérêts des enfants qui veulent travailler et les préférerait amorphes devant la télévision".

Angel s'interrompt quand un bus surgit dans le quartier de San Juan de Miraflores. Tourbillon de poussière. Le jeune homme s'immisce à l'intérieur de l'engin bondé, puis improvise des airs andins sur sa flûte de Pan. Les pièces ne tardent pas à tomber dans sa bourse. "Cette activité me plaît, j'ai choisi", insiste Angel, qui travaille depuis huit ans. "Et il me reste du temps pour jouer au football."

Mouvements d'enfants travailleurs: une vocation internationale

Le Manthoc, premier mouvement d'enfants travailleurs né au Pérou, a rapidement fait des petits en Amérique du Sud, et même dans certains Etats africains et asiatiques. Aujourd'hui, de jeunes délégués de ces organisations se déplacent régulièrement pour des rencontres continentales et mondiales.

Les militants de la Jeunesse ouvrière chrétienne du Pérou fondent le Manthoc en 1976, dans un contexte de licenciements massifs et de répression des organisations populaires par la dictature militaire. Le but étant que les jeunes des quartiers les moins bien lotis s'organisent en tant que travailleurs. Longues marches de mineurs et grèves de la faim assurent alors la visibilité du mouvement.

Dès ses premiers pas, le Manthoc se veut autonome, avec comme seuls représentants et responsables des enfants travailleurs entre 6 et 17 ans. Au cours des deux décennies suivantes, une trentaine d'organisations semblables émergent au Pérou. La vague atteint aussi les pays voisins, où naissent des mouvements fonctionnant sur le même modèle, et même beaucoup plus loin, l'Inde ou le Sénégal.

Dans certains Etats sud-américains, comme l'Equateur ou le Paraguay, les enfants ont obtenu des modifications de loi qui garantissent leur droit à exercer un travail dans des conditions respectables. Le cas bolivien en est sans doute l'exemple le plus abouti: la constitution révisée de 2009 autorise les mineurs à "exercer volontairement des travaux rémunérés".

En comparaison, au Pérou, la législation autorise, en dehors de toute situation d'exploitation, à employer des jeunes à partir de 14 ans, voire 12 ans s'ils peuvent prouver que leur travail ne porte pas préjudice à leur santé et qu'ils poursuivent leur formation. Un pas insuffisant pour les mouvements d'enfants travailleurs, étant donné que la plupart des jeunes commencent à travailler plus tôt.

Le combat pour la reconnaissance des enfants travailleurs et de leurs droits a rapidement pris une dimension globale. Pour combattre le point de vue dominant véhiculé par l'Organisation internationale du travail (OIT), qui prône l'éradication de toutes les formes de travail des mineurs, les mouvements ont réalisé que des activités coordonnées à large échelle se révélaient efficaces.

Dernier projet en date, les mouvements nationaux d'enfants travailleurs de huit pays sud-américains préparaient en juillet la tenue d'un sommet continental en Argentine cet automne, juste avant une rencontre importante de l'OIT. Des délégués du Mouvement d'enfants travailleurs organisés du Pérou ébauchaient cet événement via Skype avec leurs pairs, avant de se rendre sur place.

Autre exemple d'action à l'échelle internationale, souvent évoquée à Lima, deux enfants travailleurs organisés se sont rendus à l'ONU à Genève en 2006. Ils ont exprimé devant le Comité des droits de l'enfant leurs doutes sur le rapport remis par l'Etat péruvien et obtenu de la part du comité des demandes d'éclaircissement.

 

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