Les enquêtes de satisfaction

"C’est grâce à l’insatisfaction que l’organisation va réellement s’améliorer"

Un des premiers à mener des enquêtes de satisfaction en Suisse romande, le Jurassien Michel Voisard, établi à Vevey, a créé la société Médiactif en 1990. Il nous raconte le développement de ce segment au cours des vingt dernières années et les conséquences de récession sur cet outil. «La communication est au centre d’une enquête réussie», assure-t-il. 

 

Bientôt vingt ans d'enquêtes sous le coude. Ancien membre fondateur de la société Phone Marketing, Michel Voisard, 60 ans, a créé Mediactif SA en 1990. D'abord actif dans le télémarketing, la société s'intéresse depuis le tournant des années 1990 et l'arrivée des normes ISO aux enquêtes qualitatives, dites de satisfaction. Michel Voisard développe également le diagnostic de la qualité des services par clients mystère auprès des banques, hôpitaux et call centers notamment. Aujourd'hui, le segment des enquêtes collaborateurs représente environ 30 pour cent de son chiffre d'affaires. Pour l'entretien, il est accompagné d'Eric Maroni, chargé de clientèle. 

Comment la crise a-t-elle modifié le segment des enquêtes de satisfaction?

Michel Voisard (MV): Les enquêtes en elles-mêmes n'ont pas vraiment changé, c'est plutôt leur utilisation qui a évolué. Avant, les dirigeants cherchaient surtout à rendre leur entreprise belle et sexy. Aujourd'hui, ils essaient plutôt de leur donner du sens, pour que les collaborateurs soient fiers de leur mission et en retirent une image positive. 

Eric Maroni (EM): Une banque privée genevoise a recruté intensément en fin d'année 2008 pour accueillir les clients qui quittaient les autres établissements bancaires. Mais ces nouveaux collaborateurs sont-ils arrivés par appât du gain ou rentrent-ils vraiment dans la culture et les valeurs de la banque? L'enquête permet de le mesurer. 

Y a-t-il eu d'autres changements depuis le début 2009?

EM: Oui, la crainte des bombes à retardement est devenue plus forte. Chez un de nos clients, le DRH et le directeur régional ont récemment reçu une pétition des salariés sur leurs bureaux. Ils n'avaient rien vu venir. Pour éviter ce genre de surprise, il faut mesurer certains indicateurs avant que cela n'explose. 

MV: Et il ne faut pas oublier le management avec qui nous faisons des enquêtes miroirs. On demande au manager ce qu'il croit que ses collaborateurs pensent de lui et de l'entreprise. Il y a souvent des écarts assez conséquents. Et c'est très souvent sur le thème de la communication. Votre boss vous donne-t-il toute la communication nécessaire pour remplir votre mission? Le manager dit oui bien sûr... le collaborateur dit non, pas du tout.

Les résultats négatifs ont parfois des conséquences terribles pour le manager...

MV: C'est ce qu'on est en train de vivre en ce moment avec un client. La direction générale nous a demandé une mesure de la satisfaction. Nous commençons toujours par une séance avec le top management pour être sûr que le projet sera porté et compris par l'ensemble des équipes dirigeantes. La réunion a été pénible. Les managers avaient les pieds au mur. Pour eux, une enquête collaborateurs c'est une grosse prise de risque. 

Une enquête de satisfaction est une pratique participative et démocratique. Alors que le fonctionnement d'une entreprise est très souvent directif et «top down». Les deux sont-ils compatibles?

EM: Dans les cultures d'entreprises très «top down» et directives, le taux de réponse est assez faible du fait que les collaborateurs sont tellement peu sûrs d'eux qu'ils ne se dévoilent pas. C'est l'inverse dans les sociétés ouvertes, qui favorisent le dialogue et l'initiative personnelle. Comment passer d'un modèle à l'autre? Par l'exemple tout d'abord et par la communication ensuite. Nous attirons toujours l'attention du management sur l'importance de communication interne lorsqu'on initie une telle étude. Il faut clairement informer le personnel sur les motivations et les objectifs de l'enquête; à quoi vont servir les résultats et surtout s'engager à en rendre compte. Sans ce minimum, la participation risque d'être très faible. 

En temps de crise, où la peur du licenciement règne, on est en droit de se demander si les gens vont répondre honnêtement à des enquêtes satisfaction?

MV: C'est là qu'intervient l'anonymat. Les chefs d'entreprise voudraient tout savoir. A nous de mettre une barrière. Les collaborateurs sont très méfiants et les questions sur le genre (homme/femme), l'âge, l'ancienneté ou le département doivent être évitées si elles permettent d'identifier le répondant. Dès qu'un collaborateur estime qu'il peut être reconnu, il n'y croit plus et le taux de réponse s'effondre. 

Parlons du contenu de vos enquêtes, que va-t-on chercher à savoir vraiment?

MV: Les enquêtes classiques permettent de mesurer la satisfaction des collaborateurs: sont-ils contents des services et des prestations de l'entreprise? Mais comme nous a dit un client: «Avoir des collaborateurs satisfaits c'est bien, mais en avoir des impliqués, c'est encore mieux!» Il faut donc viser un échange. Le collaborateur reçoit de la satisfaction. En retour, il donne de l'implication. Nos études portent donc également sur la mesure de l'engagement professionnel des collaborateurs. Se sentent-ils intégrés à l'entreprise? Ont-ils une bonne image de celle-ci (fierté)? Arrivent-ils à en retirer de la valeur ajoutée (utilité)? Une telle enquête permet de mettre en évidence la proportion de gens qui sont impliqués (moteurs), la proportion de récalcitrants (freins) et la proportion d'opportunistes, ceux qui choisissent leur camp en fonction des événements. 

EM: Une enquête collaborateurs, c'est aussi du marketing interne. Au moment de recruter, on pourra se référer à ces enquêtes en disant: «Chez nous, 95 pour cent des collaborateurs sont satisfaits!» 

MV: Mais cela ne suffit pas, il faut encore pouvoir documenter et expliquer. Et que faire des 5 pour cent manquants? C'est là que le travail commence. C'est même grâce à ces 5 pour cent d'insatisfaits qu'on va pouvoir s'améliorer. Cela dit, je n'ose pas encore employer le terme «études d'insatisfactions», ce n'est pas très vendeur (sourires).

Parlez-nous du prix de vos enquêtes?

MV: Entre 15 000 et 30 000 francs. Cela dépend de la taille de l'entreprise et de la profondeur de l'investigation. 

Et la périodicité?

MV: Depuis le développement de la certification ISO, son renouvellement s'effectue tous les trois ans. Une fréquence trop élevée est généralement contreproductive. Sauf bien entendu s'il y a un événement majeur ...

Par exemple?

EM: Une fusion, un rachat, un changement de direction ou un changement d'orientation stratégique. Tout ce qui peut perturber les collaborateurs dans leur quotidien. 

Quels sont les retours sur investissement?

EM: Dans le modèle qu'on utilise, les trois quarts des préoccupations mesurées touchent l'engagement et un quart la satisfaction. L'intérêt de l'entreprise est là, mieux vaut prévenir que guérir. C'est aussi un formidable outil pour opérer des changements. Si je dois amener l'entreprise à une réorienta-tion, je dois savoir qui sera derrière moi et connaître dans le détail cette population. Et il faut me- surer aussi la proportion de ceux qui diront: «Non, ça ne marchera jamais...» C'est justement ces gens là que je vais réunir autour d'une table. Si vous arrivez à impliquer un sceptique dans un bon projet, et que vous parvenez à en faire un moteur, vous avez gagné. 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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