Les DRH et l'image

«Chaque jour, 4 milliards de vidéos sont vues dans le monde»

Le succès planétaire de la vidéo en ligne pourrait favoriser le renouveau des films d’entreprise. Georges Aliferis, CEO de l’agence spécialisée Orama, voit des opportunités à saisir. Rencontre à Londres.

Normalement, l’interview devait se dérouler dans les bureaux de l’agence Orama. C’était sans compter une facétie du calendrier britannique: le jour où nous arrivons est férié! C’est donc dans les rues de Londres que le spécialiste du film d’entreprise Georges Aliferis répondra à nos questions. Départ de la station de Victoria, où l’imposante banque Llyods côtoie un théâtre décati et des gratte-ciel. À leur pied, un mendiant chante avec un cône de signalisation routière en plastique orange reconverti en haut-parleur.

Né à Meyrin dans le canton de Genève, Georges Aliferis a commencé sa carrière dans la finance avant d’ouvrir à Londres, en 2012, l’agence Orama. Depuis, il a tourné un bon millier de films d’entreprises. Son portfolio est garni de noms prestigieux: Graff Diamonds, Cartier, le Salon international de la Haute horlogerie, DeLaneau à Genève, Le Bocuse d’Or, The Fat Duck (trois macarons au Michelin en 2009), Nespresso, Unilever et Soho House Berlin, pour ne citer que quelques exemples.

Les entreprises ont-elles compris l’intérêt de se présenter dans une vidéo en ligne?
Georges Aliferis: D’après mon expérience, celles qui ont une stratégie vidéo qui fonctionne sont rares et celles qui ont une stratégie vidéo tout court encore plus. Trop souvent, la vidéo figure sur une liste de choses à faire. Donc elles en font une, mais sans vraiment prendre la peine de définir clairement leurs objectifs. Par exemple, une start-up nous a récemment demandé de filmer son département RH. Nous avons trois heures d’interview dont il va falloir tirer une vidéo de trois minutes. Mais nous avons dû discuter plusieurs heures avec les responsables pour pouvoir connaître les messages qu’ils avaient envie de faire passer.

Quelles sont les raisons qui amènent les entreprises à vouloir faire une vidéo?
Généralement, les entreprises qui viennent nous voir ont l’impression d’être dans la nécessité de communiquer. Elles ont souvent déjà fait une vidéo et elles pensent que c’est une bonne idée, mais elles n’ont pas obtenu de bons résultats. Il est d’ailleurs surprenant qu’elles ne s’intéressent pas aux résultats tout de suite ... La plupart se sont adressées à une société de production ou à une agence de communication spécialisée dans l’audiovisuel, à défaut de trouver un partenaire qui se consacre entièrement aux films d’entreprise. Donc, il y a généralement un certain décalage entre les compétences du prestataire, qui est souvent issu du secteur de la publicité ou du cinéma, et les besoins spécifiques de l’entreprise.

Quelle est la meilleure stratégie?
À mon sens, il faut d’abord choisir la plateforme de partage de vidéos, par exemple YouTube ou Facebook, avant de définir le contenu, car de cette première décision va dépendre le choix du format et même le style de la vidéo. On peut très bien opter pour plusieurs plateformes, car elles ne s’excluent pas mutuellement; il faut simplement adapter le contenu à chaque plateforme. Si une entreprise possède déjà une page Facebook, elle peut très bien intégrer cette page dans son site d’entreprise. Dans tous les cas, il faut commencer par réfléchir à ces questions. Ensuite, il faut trouver un spécialiste de la vidéo qui soit également capable de proposer des solutions pour optimiser le produit sur Internet.

C’est un processus par étapes?
Oui, on choisit tout d’abord la plateforme, le contenu puis le format. Quelle sera la durée de la vidéo? Les personnes qui seront filmées devront-elles regarder la caméra, ou est-ce qu’elles discuteront entre elles? Quelles seront les premières images? L’accroche est essentielle puisqu’il est impératif de capter l’attention du vidéonaute. Une fois qu’on a réglé ces questions, on cherchera à optimiser la vidéo. Par exemple, on pourra créer à l’intérieur du site de l’entreprise un espace administrable, comme un blog, une chaîne ou un web TV, pour classer les vidéos par thèmes ou par dates. En respectant ces différentes étapes, on peut élaborer une bonne stratégie.

Un exemple d’entreprise qui a réussi à faire une bonne vidéo?
Je citerais l’exemple du fournisseur de lames de rasage sur abonnement Dollar Shave Club. Ce jeune entrepreneur a tourné un petit clip frais et désinvolte qui a véritablement lancé sa société1.
Dans la vidéo, on le voit se moquer gentiment des grandes marques qui peuvent se payer des ambassadeurs comme Roger Federer, par exemple. Résultat: des millions de vues! Le succès a été tel que sa société vient d’être rachetée pour un milliard de dollars par Unilever... soit près de cinq fois le montant des ventes qu’il espérait réaliser avec Dollar Shave Club! C’est tout bonnement un coup magistral, un trait de génie. Mais c’est aussi un Graal: on a beaucoup parlé des vidéos virales au cours des dernières années, ce qui a fait naître chez certains l’espoir de pouvoir les produire sur commande, de manière volontaire et planifiée. Mais la vérité est que le trait de génie est difficilement reproductible.

D’autres exemples de vidéos d’entreprises réussies?
L’un de nos clients, le producteur de systèmes informatiques ZOHO, a filmé des utilisateurs un peu partout dans le monde; les vidéos ont bien marché. Un autre de nos clients, qui exploite un petit restaurant, avait commencé par faire un peu de pub dans les journaux et à la radio, mais sans résultat. Lorsqu’il a posté des vidéos sur Facebook avec un investissement promotionnel de seulement un ou deux pounds par jour, avec un ciblage précis, il a rapidement obtenu un impact considérable!

Et un exemple d’entreprise qui s’en sort très bien?
Typiquement, Red Bull. C’est devenu un «publisher», c’est-à-dire une entreprise médiatique. Sa chaîne comptait à présent 5,4 millions d’abonnés. On pourrait également citer Nike.

Est-il exact qu’il n’est pas conseillé de se limiter à une seule vidéo?
Disons que les entreprises médiatiques ont en moyenne quatre fois plus d’abonnés que les autres. Bien sûr, la qualité des vidéos est cruciale, mais la quantité compte aussi, car on ne peut pas créer une audience avec une seule vidéo. La clé du succès réside dans la capacité à exploiter les statistiques, c’est-à-dire le feedback des vidéonautes, pour améliorer le contenu des vidéos. Le nombre de vues constitue un paramètre, mais ce n’est pas le plus déterminant, car on peut «acheter» des vues en faisant de la promotion. Le pourcentage de vidéos regardées est autrement plus significatif. Il est également utile de savoir com- bien d’internautes regardent les vidéos jusqu’au bout, s’ils les aiment, s’ils posent des questions ensuite, etc.

Comment le marché évolue-t-il?
Il n’a pas cessé de prendre de l’ampleur. C’est d’ailleurs ce qui m’a poussé à créer mon agence. Lorsque je travaillais dans la finance, j’observais dans mes loisirs un phénomène intéressant: la vidéo en ligne se développait à une vitesse folle, dans l’ignorance des entreprises qui s’en tenaient à une conception très traditionnelle de la communication. Je voyais clairement un potentiel et des opportunités à saisir. Chaque jour, plus de 4 milliards de vidéos sont visionnées dans le monde. La production est faramineuse: chaque minute, quelque 400 heures sont ajoutées sur YouTube. Le visionnage progresse de 50% par année et représente à présent 60% du trafic mondial sur Internet. C’est la première activité des moins de 40 ans sur le Net. D’ailleurs, l’Internet pourrait bientôt supplanter la télévision. Et l’ordinateur lui-même pourrait un jour être dépassé par les téléphones portables et les tablettes.

Quelles sont les dernières tendances?
Après l’avènement de la vidéo sociale sur toutes les plateformes de partage comme Facebook, je dirais le live, les vidéos 360 degrés et la réalité virtuelle. Le 3D n’a pas vraiment rempli ses promesses. Mais comme tout continue d’évoluer très vite, il est difficile de faire des prédictions. Ce qui est sûr, c’est que le perfectionnement technologie se poursuit. Au début, on utilisait la haute définition. Maintenant, on parle de plus en plus de très haute définition – et je pense que ce sera bientôt la norme.


Avec cette démocratisation, est-ce qu’il devient plus facile de faire des vidéos?
On peut effectivement avoir l’impression que c’est facile. Ce qui est vrai sur le plan technique. L’arrivée du numérique a grandement simplifié les choses et réduit les coûts. Non seulement le matériel coûte moins cher, mais il y a sur Internet des sociétés de production qui sont prêtes à réaliser un film d’entreprise à partir de 800 francs. Donc c’est assez accessible. Et les prix vont probablement encore baisser. Avec un caméscope numérique et un logiciel de montage vidéo installé sur PC, on peut même tout faire soi-même. Il faut juste faire attention à respecter un niveau de qua- lité minimale, en particulier au niveau du son, parce que c’est rédhibitoire. L’idée peut fonctionner si on a des trucs intéressants à dire. Il y a par exemple une jeune couturière qui se filme elle-même en train de confectionner des habits, et ses vidéos font un tabac. Mais ce n’est pas la règle. Près de la moitié des internautes s’arrêtent de regarder au bout de trente secondes. Et seulement 3% des vidéos atteignent le million de vues sur YouTube. Il y a donc un paradoxe: plus c’est facile de faire des vidéos, plus il devient difficile de sortir du lot!

1 www.bing.com/videos/search?q=shave+club+video&vie w=detail&mid=E8819FDB2AA4788C505CE8819FDB2AA4 788C505C&FORM=VIRE

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Typographe de premier métier, Francesca Sacco a publié son premier article à l’âge de 16 ans pour consacrer toute sa vie au journalisme. Elle obtient son titre professionnel en 1992, après une formation à l’Agence télégraphique suisse, à Berne. Depuis, elle travaille en indépendante pour une dizaine de journaux en Suisse, en France et en Belgique, avec une prédilection pour l’enquête.

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