Droit et travail

Comment savoir si le bonus est un salaire ou une gratification

La question de la qualification d’une somme d’argent versée par l’employeur à son salarié est importante dans la mesure où le régime juridique applicable à la gratification est fondamentalement différent de celui applicable au salaire.

La plupart des sociétés mettent en place des plans de bonus en considérant que le bonus est versé «à bien plaire», que ce paiement est discrétionnaire et que l’employeur peut cesser le paiement en tout temps, voire le refuser pour différents motifs. Mais le bonus dont il est question constitue-t-il une portion de salaire ou une réelle gratification? L’absence de l’employé ou la résiliation du contrat de travail, dans la mesure où des conditions sont fixées préalablement dans le plan qui l’instaure pourront être des motifs pour retenir le versement d’une gratification. L’employeur sera en revanche tenu par des obligations strictes si ce «bonus» est qualifié de salaire.

Le traitement juridique

Le salaire est un droit pour l’employé et une obligation de la part de l’employeur. A l’inverse, la gratification n’engendre quasiment aucun droit de l’employé ni aucune obligation de l’employeur, sous réserve de l’égalité de traitement et de l’arbitraire, on y reviendra.

Dès lors, le versement d’une gratification dépend principalement du bon vouloir de l’employeur, lequel pourra faire dépendre son paiement de certaines conditions. En conséquence, lorsque le bonus est juridiquement qualifié de gratification, les conditions suivantes, fixées unilatéralement par l’employeur, ont été jugées comme valables:

  • «Le bonus est payé uniquement si l’employé est encore présent dans l’entreprise à la date du versement du bonus.» L’employeur peut aussi prévoir que le bonus n’est pas versé ou n’est que partiellement versé si l’employé a quitté la société au moment du versement prévu par le plan de bonus.
  • «Le bonus est payé uniquement si le contrat de travail n’a pas été résilié à la date d’attribution ou de versement du bonus.» Dans ce cas, l’employé perd son bonus dès lors que le contrat a été résilié par l’une ou l’autre des parties, pour quelque motif que ce soit. Toutefois, on pourrait se demander si une telle clause serait valable si l’employeur provoque sciemment la résiliation du contrat de travail dans le but d’éviter de payer ce bonus.
  • «Le bonus est versé uniquement si l’employé est occupé dans l’entreprise au moment de son versement.» Le bonus n’est pas versé si l’employé est absent par sa faute ou sans sa faute, par exemple en cas d’incapacité de travail.

A l’inverse, si le bonus est qualifié de salaire, les conditions susmentionnées, admissibles pour une gratification, ne seront a priori pas valables. Dans ce cas, s’agissant d’une portion de salaire, l’employeur est obligé de verser le bonus au pro rata en cas de départ d’un employé de l’entreprise avant la date du versement, même si le plan de bonus prévoit que le versement du bonus est conditionné à la présence de l’employé dans l’entreprise à la date du versement ou au fait que le contrat de travail n’a pas été résilié lors de l’attribution ou du versement du bonus. Par ailleurs, l’employeur devra également verser le bonus qualifié de salaire au pro rata temporis en cas d’absence ou d’incapacité de travail de l’employé. L’absence d’égalité de traitement entre les employés ou lorsque le refus du paiement de la gratification met en péril l’avenir économique du travailleur, en réduisant son revenu à un montant en dessous du minimum vital, pourraient justifier l’obligation de l’employeur de verser un bonus, qualifié de gratification, en dehors des conditions fixées unilatéralement dans le plan.

L’égalité de traitement est appréciée au regard de ce qui est octroyé aux autres employés: il n’est pas autorisé de traiter moins favorablement un employé par rapport à un autre sans motif. Dans des circonstances égales, les employés doivent être traités de la même manière. Par exemple, l’employeur ne peut refuser le paiement de la gratification en cas de résiliation du contrat de travail à un employé et l’accorder dans les mêmes circonstances à un autre employé. Ce principe s’applique aussi dans une certaine mesure à la quotité de la gratification, l’employeur n’étant pas autorisé sans motif à favoriser outrageusement un employé par rapport à un autre. Il peut toutefois accorder une gratification supérieure à un employé par rapport à un autre en vertu de sa libre appréciation même si cette différence n’est pas vraiment justifiée. Il va sans dire que le principe d’égalité de traitement s’applique avec d’autant plus de sévérité au bonus qualifié de salaire.

Il subsiste encore quelques questions délicates qu’il est intéressant de traiter: la question du remboursement de la gratification payée en avance, par exemple en cas de résiliation du contrat de travail est, quant à elle, controversée dans la doctrine. Elle paraît toutefois admissible dans une certaine mesure si le but du bonus est de motiver le travailleur pour l’avenir et pas uniquement de le récompenser pour son travail passé.

La question du remboursement du bonus qualifié de salaire versé en avance et en trop, s’agissant de commissions sur les ventes, est en revanche admissible tant pour la jurisprudence que pour la doctrine.

Un bonus: salaire ou gratification?

La question de la gratification est traitée par l’article 322d du Code des Obligations alors que celle du salaire est régie par les articles 322 à 322c CO. La distinction entre les deux notions juridiques n’est pas toujours aisée et les expressions utilisées, tels que bonus, «compensation plan», rémunération variable, prime, bonus incitatif, bonus discrétionnaire, plan d’incitation etc..., ne sont pas pertinentes.

Le Tribunal Fédéral a déterminé dans sa jurisprudence que la gratification était dépendante de l’employeur, dans son principe et/ou dans son montant à tout le moins. La particularité principale de la gratification est son caractère discrétionnaire, à savoir qu’elle dépend de la volonté unilatérale de l’employeur et non de critères objectifs prédéterminés quant à son principe ou à son montant.

Concernant le salaire, la loi détermine différentes catégories qui peuvent être définies sommairement comme:

  • Le salaire de base (art. 322): qui peut être à la tâche, au temps ou à la pièce;
  • La participation au résultat (art. 322a CO): doit être prévu par contrat. Il s’agit d’une rémunération basée sur les résultats de l’entreprise. L’employeur est obligé de fournir les renseignements nécessaires afin de permettre aux salariés de vérifier que le bonus versé correspond aux résultats de l’entreprise;
  • La provision (ou commission) (art. 322b et c CO): doit être prévue par accord entre les parties. C’est une participation du travailleur sur les affaires conclues par l’employé lui-même. Elle dépend donc de l’activité de l’employé. Typiquement, il s’agit des commissions des agents d’assurance, mais aussi les commissions versées aux vendeurs dans la mesure où le calcul se fait sur le résultat des comptes ou du/ des pays géré(s) par le vendeur lui-même.
  • Il n’est pas toujours aisé de distinguer entre certaines formes de salaire ou une gratification. La jurisprudence et la doctrine ont mis en place un certain nombre de critères afin de déterminer si un bonus fait partie du salaire ou doit être considéré comme une gratification:
  • La volonté des parties: la terminologie trompeuse doit être écartée au profit de la volonté réelle des parties. En pratique, il faudra examiner s’il existe un accord tacite ou explicite sur le principe de la rémunération variable litigieuse, de même que des réserves de l’employeur quant au caractère discrétionnaire du paiement du bonus.
  • Le montant fixe et l’échéance déterminée: le fait que le montant et l’échéance du bonus soit fixé contractuellement ou par plan, à l’avance et de manière inconditionnelle, est manifestement un indice que le bonus est en réalité une partie du salaire. Tel est le cas du 13ème salaire.
  • Fluctuation du montant du bonus sur la base de critères prédéterminés: lorsque l’employeur fixe des objectifs prédéterminés dont dépend la fixation du montant du bonus, ce dernier fait partie intégrante du salaire et constitue en réalité une rémunération variable. La plupart des plans de bonus qui prévoient le paiement d’un bonus annuel ou trimestriel sur la base des résultats de la société ou d’un département et/ou sur la base d’objectifs personnels prédéterminés de l’employé font ainsi partie du salaire.

Deux éléments complémentaires peuvent encore permettre de déterminer si un bonus doit être traité comme salaire ou gratification.

Caractère accessoire de la gratification: la loi (art. 322d al 1 CO) prévoit que la gratification est versée en sus du salaire. Une gratification constitue donc impérativement un paiement accessoire ou secondaire au salaire, selon la jurisprudence. Pour les bas salaires, le bonus peut perdre son caractère accessoire même dans un rapport de proportion assez faible avec le salaire. Pour les revenus moyens ou supérieurs, le rapport de proportion est plus élevé et doit être déterminé de cas en cas, mais en principe lorsque le bonus est égal ou supérieur au salaire, il n’est plus considéré
comme accessoire au salaire et perd donc sa qualification de gratification, même si l’échéance ou le montant ne sont ni déterminés ni déterminables au sens des critères usuels susmentionnés.

Le Tribunal Fédéral a précisé ce critère de l’accessoire dans une jurisprudence récente pour les très hauts revenus: lorsque le salaire annuel dé- passe cinq fois le salaire médian suisse (salaire médian suisse actuel environ CHF 70 000.–, soit 5x correspondant à CHF 350 000.–/année), le bonus est automatiquement considéré comme une gratification. A noter que cette jurisprudence a fait l’objet de nombreuses critiques de la doctrine.

Réserve sur le caractère facultatif du paiement:
un bonus sera considéré comme convenu, donc devra être traité comme du salaire, s’il a été versé durant trois années consécutives sans réserve sur son caractère facultatif. Dans ce cas, et dès la quatrième année, le travailleur dispose d’un droit au paiement de la gratification. Toutefois, une réserve sur le caractère facultatif du paiement mentionnée dans le contrat de travail ou dans un plan de bonus ne suffit pas, un rappel étant nécessaire lors de chaque paiement à l’employé. La réserve devient également inopérante s’il ressort des circonstances que l’employeur se sent obligé de payer le bonus année après année, par exemple, si le bonus est également payé alors que la société a fait de mauvais résultats. En pratique, il est assez usuel que le plan de bonus ou le contrat fasse état du caractère facultatif du bonus, mais il est extrêmement rare que l’employeur renouvelle la réserve lors du paiement.

Conclusions

Les départements des ressources humaines utilisent de plus en plus fréquemment les bonus comme outils afin d’attirer des talents dans l’entreprise. Cette pratique implique toutefois que ces bonus soient structurés, et convenus en fonction d’objectifs prédéterminés tels que la performance personnelle ou les résultats de l’entreprise. Le corolaire de la mise en place de ce cadre est que ces bonus perdent le caractère de gratification pour entrer dans la catégorie du salaire avec la conséquence que l’employé dispose alors de droits aux paiements de ces bonus au même titre que sur le salaire de base. Afin d’éviter des mauvaises surprises et des paiements qui n’auraient pas été prévus lors du départ d’un employé ou de son incapacité de travail (souvent seul le salaire de base est assuré au titre de perte de gain), voire des conflits qui finissent devant les tribunaux, il importe que les entreprises prennent conscience des conséquences de la mise en place d’un tel plan de bonus structuré: l’obligation pour l’employeur d’intégrer le bonus médian dans le calcul du salaire. Souvent les sociétés ne sont pas préparées à devoir payer un bonus au pro rata temporis lors du départ d’un employé ou d’une incapacité de travail, alors que des provisions pourraient être prévues en déduction des montants attribués année après année au plan de bonus général afin de pouvoir faire face à la nécessité de payer au pro rata temporis les bonus en cas de départ d’employés ou d’absence d’un employé.

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Martine Loertscher est avocate associée dans l’Etude d’avocats Lexartis à Lausanne. www.lexartis.ch

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