Conseils pratiques

Équité salariale, mission impossible?

Malgré les efforts de la Confédération, l’écart salarial entre les femmes et les hommes ne se réduit pas. Explications et quelques pistes pour une analyse objective des salaires.

La Constitution suisse demande depuis 1981 que «l’homme et la femme aient droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale». Plus de trente ans après, l’écart salarial inexpliqué par des facteurs objectifs1 entre les femmes et les hommes se monte à 8,3 %, selon les chiffres fournis par l’Office fédéral de la statistique2.

Toutefois, cette statistique est critiquable parce qu’elle admet que la part inexpliquée de la différence salariale est due à une discrimination, ce qui n’est pas forcément le cas. Selon les experts de l’association zurichoise des ressources humaines (ZGP), la différence effective se situerait entre 2 % et 6 %3. Quoi qu’il en soit, il reste un écart salarial en défaveur des femmes, ce qui n’est pas acceptable et contraire à la loi.

Pourtant, notre gouvernement a entrepris plusieurs actions. En 1996 est entrée en vigueur la loi sur l’égalité (LEg) qui réglemente la mise en œuvre de l’article constitutionnel. Après vingt ans d’existence, le Conseil fédéral souhaite faire évoluer la LEg et a mis en consultation en 2015 un projet de loi qui prévoit notamment un contrôle périodique basé sur une analyse statistique pour les entreprises de plus de 50 employés.

Avant l’ouverture du chantier autour de la loi sur l’égalité, le Conseil fédéral a misé sur des mesures volontaires et il a amorcé le dialogue sur l’égalité des salaires en 2009. Ce projet s’est achevé en 2014, sans avoir rencontré le succès escompté.

36 ans après l’adoption de l’article constitutionnel demandant l’égalité salariale entre les sexes, ce thème occupe toujours les tribunaux, la politique et la société. Est-ce qu’il faut attendre l’année 2186 pour que l’égalité des salaires devienne une réalité au monde, comme le stipule une récente étude du Forum économique mondial (WEF)4? Autrement dit, est-ce que la réalisation de l’équité salariale est tout simplement une mission impossible?

Deux outils pour contrôler l’égalité salariale

Les tribunaux reconnaissent deux outils pour vérifier l’application de l’égalité salariale au sein d’une entreprise privée ou d’une administration publique. Il s’agit d’une part de l’analyse statistique des salaires qui détermine l’impact sur le salaire de divers facteurs explicatifs et qui permet de calculer la différence salariale attribuable au sexe. D’autre part, la jurisprudence reconnaît l’évaluation analytique des fonctions fondée sur la science du travail comme instrument de contrôle5.

L’analyse statistique est une démarche intéressante pour le contrôle a posteriori de l’égalité des salaires. Mais d’un point de vue de la gestion des ressources humaines, cet outil n’est guère utile. En effet, l’analyse statistique permet de déterminer l’écart salarial d’une personne par rapport à la ligne de tendance du calcul statistique. Toutefois, cet instrument ne permet pas de construire un système de salaire, ce qui constitue pourtant la base pour assurer une gestion équitable de la rémunération au sein des entreprises.

L’évaluation analytique des fonctions

Les évaluations des fonctions ont pour objectif de distribuer la masse salariale la plus objective possible afin d’obtenir une meilleure équité salariale au sein d’une organisation. L’évaluation analytique part du principe que les activités professionnelles se distinguent en ce qui concerne leurs exigences et charges. À l’aide d’un questionnaire, il convient alors de recenser le niveau d’exigences et de charges pour chaque fonction à travers différents critères. Chaque critère est décrit par plusieurs échelons auxquels sont attribués des points. La valeur de la fonction analysée résulte de l’addition des points des différents critères. Ainsi, on obtient la valeur de chaque fonction et il est possible de les comparer les unes aux autres.

Il existe plusieurs méthodes d’évaluation analytique, par contre, toutes ne garantissent pas des salaires sans discrimination. En effet, les exigences méthodologiques pour assurer la non-discrimination sont assez élevées.

Le docteur Christian P. Katz et le professeur docteur Christof Baitsch ont développé dans les années 1990 la méthode Abakaba. Les deux psychologues du travail ont conçu une méthode scientifique pour recenser les exigences et charges d’une fonction et qui permet par conséquent de mettre en place des structures salariales non discriminatoires. Abakaba relève les aspects intellectuels, psychosociaux, physiques, ainsi que la responsabilité (en matière de conduite de personnel) d’une activité professionnelle de manière comparable et méthodique.

Abakaba possède de nombreux avantages méthodologiques. Nous avons choisi d’exposer plus en détail deux de ces atouts: Abakaba utilise des critères qui ne sont pas ou très peu corrélés. Expliquons cet aspect par un mauvais exemple: les critères «niveau de formation» et «exigences intellectuelles» sont fortement corrélés puisqu’une formation élevée permet d’assumer une fonction dont les exigences intellectuelles sont élevées. Dès lors, on mesure deux fois la même chose, ce qu’il convient d’éviter.

Le deuxième élément que nous souhaitons aborder sont les échelles d’appréciation. Il existe des méthodes qui utilisent des échelles très détaillées, comptant par exemple dix niveaux de «très peu d’exigences» à «exigences extrêmement élevées» en passant par «exigences moyennement élevées» et «exigences plutôt élevées». Mais quelle est la différence entre «moyennement et plutôt élevé»? L’humain n’est pas capable d’évaluer les critères qualitatifs aussi finement. L’utilisation d’un trop grand nombre d’échelles évoque une pseudo-objectivité et défavorise de ce fait une me- sure correcte. Abakaba mesure les critères à l’aide d’échelles clairement définies et peu échelonnées. Plus d’informations sur notre méthode sont disponibles dans l’ouvrage de référence6 ainsi que sur le site web www.abakaba.ch.

Il est important de se rendre compte que l’évaluation des fonctions détermine le salaire de base (ou autrement dit le salaire de la fonction). Il est évident que toutes les personnes qui occupent la même fonction ne reçoivent pas le même salaire. Cet état de fait s’explique par la partie individuelle qui s’ajoute au salaire de base. Les parties individuelles du salaire sont par exemple l’expérience professionnelle ou la performance de la personne qui occupe la fonction.

En guise de conclusion

L’évaluation analytique des fonctions donne aux professionnels des ressources humaines un véritable outil de gestion de la rémunération, car elle permet de déterminer la valeur d’une fonction et de créer des systèmes de salaire transparents. Si la méthode répond aux exigences de la science du travail, ce procédé permet en plus de respecter le droit au salaire égal pour un travail de valeur égale. Dès lors, l’équité salariale devient une mission possible.

1  Les facteurs objectifs sont notamment l’expérience professionnelle, l’ancienneté au sein de l’entreprise,
la formation la plus élevée achevée, la position profes­sionnelle, le niveau des qualifications, etc. 

2  Büro für Arbeits­ und Sozialpolitische Studien Bass AG. Analyse der Löhne von Frauen und Männern anhand der Lohnstrukturerhebung 2012. 11 août 2016. 120 p. Consulté sur le site web de l’Office fédéral de la statistique (en allemand) 

3  ZGP Zürcher Gesellschaft für Personal­Management. Vernehmlassung zur Änderung des (. . .) Gleichstellungs­ gesetz. 24 février 2016. Consulté sur le site web du Conseil fédéral (en allemand) 

4  Mathilde Farine. L’égalité salariale hommes­-femmes? Pas avant 2186. Le Temps. 26 octobre 2016. 

5  Schär Moser, Marianne. Baillod, Jürg. Discriminations salariales et instruments d’analyse. Un guide pour la pratique juridique. Berne: Haupt Verlag. 2006. 120 p. Adaptations Zürcher, 2016. 

6  Katz, Christian. Baitsch, Christof. Arbeit bewerten – Personal beurteilen: Lohnsysteme mit Abakaba. Grundlagen, Anwendung, Praxisberichte. Zürich: vdf Hochschulverlag, 2006. 152 p. (en allemand)

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Dr Christian P. Katz, propriétaire d’Abakaba SA, est psychologue du travail et des organi­sations. Depuis 1997, il s’est spécialisé dans l’évaluation des fonc­tions et le conseil aux entreprises en matière de systèmes de salaires.

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Roland Zürcher est Conseiller Abakaba pour la Suisse roman­ de. Au bénéfice d’un diplôme d’économiste d’entreprise HES, il a plus de 10 ans d’ex­périence en ressour­ces humaines dans l’économie privée et l’administration publique.

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