Droit et travail

Force probante et incidences du certificat médical

Comment procéder quand un doute subsiste sur le bien-fondé d’un certificat médical produit par un travailleur? Tour d’horizon des scénarios possibles. 
L’employeur éprouve parfois des doutes quant au bien-fondé de l’atteinte à la santé invoquée par le travailleur, notamment lorsqu’il suspecte celui-ci de tenter de se soustraire à ses obligations ou d’étendre la durée de validité du contrat une fois le congé signifié.
 
Se pose dès lors la question des moyens de preuve, de leur force probante et de leurs effets, notamment lorsque le travailleur produit un certificat médical rétroactif, ou lorsqu’il est simultanément déclaré inapte pour une activité donnée, mais apte pour une autre (certificat médical «à géométrie variable»).
 
Rappel de la réglementation légale
L’art. 324a CO prévoit que lorsque le travailleur est empêché de travailler sans faute de sa part pour des causes inhérentes à sa personne (maladie, accident, etc.), l’employeur lui verse le salaire pour un temps limité1, y compris une indemnité équitable pour le salaire en nature perdu, dans la mesure où les rapports de travail ont duré plus de trois mois ou ont été conclus pour plus de trois mois2.
 
Un empêchement non fautif de travailler a aussi un impact sur le droit de résilier le contrat. L’art. 336c al. 1 let. b CO stipule en effet que l’employeur ne peut pas résilier le contrat de travail lorsque le travailleur est incapable de travailler en raison, notamment, d’une maladie ou d’un accident. La période de protection légale est de 30 jours durant la 1re année de service, 90 jours de la 2e à la 5e année de service, 180 jours dès la 6e année de service.
 
L’art. 336c al. 2 CO précise que le congé donné pendant l’une de ces périodes est nul; si le congé a été donné avant l’une de ces périodes et si le délai de congé n’a pas expiré avant cette période, ce délai est suspendu et ne continue à courir qu’après la fin de la période.
 
Même s’il est prononcé après l’écoulement de la période de protection instaurée par la loi, un licenciement fondé sur l’incapacité du travailleur à reprendre son poste en raison de troubles psychiques peut, en fonction des circonstances, être déclaré abusif (art. 336 CO), par exemple lorsque l’employeur a violé le droit de son employé à la protection de sa personnalité (art. 328 CO)3. Toutefois, le fait que le licenciement ait grandement contribué à la survenance des troubles psychiques dont souffre le travailleur ne suffit pas pour retenir l’illicéité du licenciement4.
 
Au vu de la réglementation légale, il est important que l’employeur soit à même de déterminer si la maladie invoquée par le travailleur est bien réelle.
 
Devoir d’annonce et fardeau de la preuve
Le travailleur qui se prévaut d’une incapacité de travail doit informer son employeur immédiatement. De plus, il est tenu de prouver aussitôt la réalité de son incapacité.
 
A cet effet, il produira le plus souvent un certificat médical5, qui renseigne sur le taux d’incapacité et la durée de celle- ci. Lorsque cette durée ne peut être déterminée de façon certaine, le certificat médical doit être renouvelé régulièrement; il ne peut donc, en aucun cas, être établi pour une durée indéterminée6 ou particulièrement longue (plus de 4 semaines).
 
Si le travailleur tarde fautivement à produire le certificat médical, il s’expose à un licenciement immédiat pour absence injustifiée. La faute commise par le travailleur peut alors entraîner un refus de l’indemnité prévue par l’art. 337c al. 3 CO7.
 
Force probante du certificat médical
Le certificat médical ne constitue pas un moyen de preuve absolu, le médecin traitant étant susceptible de prendre parti pour son patient, en raison de la relation de confiance qui l’unit à ce dernier. C’est d’autant plus le cas lorsque le médecin se prononce sur des faits auxquels il n’a pas assisté, prenant ainsi pour argent comptant les dires de son patient. Rappelons aussi que les certificats médicaux de complaisance sont interdits8.
 
S’il éprouve un doute, l’employeur (ou l’assureur) peut exiger du travailleur qu’il se soumette à un examen par un médecin tiers (médecin-conseil de l’entreprise ou de l’assurance). Si le travailleur refuse, il met ses droits en péril.
 
Certificat médical rétroactif
Le médecin qui établit le certificat médical engage sa responsabilité. Il enfreint ses devoirs lorsqu’il délivre, à bref délai, deux certificats médicaux contradictoires. Dans un tel cas de figure, le juge civil ne peut tenir pour prouvé un fait au sujet duquel subsistent des doutes, car il doit avoir la conviction que le travailleur souffrait d’un état maladif entraînant une incapacité de travail9.
 
Le médecin doit agir au plus près de sa conscience professionnelle et avec la diligence requise10. Sous cet angle, un certificat médical rétroactif est discutable pour une période dépassant 3 ou 4 jours, voire une semaine selon la pathologie. Un certificat médical établi un mois après le début de l’incapacité n’est pas conforme à la pratique médicale, et donc sujet à caution.
 
Le certificat médical doit porter la date exacte à laquelle il a été établi (il ne peut être antidaté sous peine de constituer un faux), la date de la 1re consultation (le certificat médical ne peut pas être délivré sur demande téléphonique, en tout cas lorsque le médecin ne connaît pas le patient ou que celui-ci n’a pas été revu de longue date11) et la date du début de l’incapacité de travail.
 
Un regard critique s’impose lorsque le travailleur, qui accomplit son travail sans présenter aucun signe d’incapacité, consulte un médecin juste après l’annonce de son licenciement et que le médecin atteste la préexistence d’une incapacité de travail rétroactive qui affecte la validité de la résiliation, d’autant plus lorsque l’atteinte à la santé s’avère insignifiante12; ou encore lorsque le travailleur attend les derniers jours de son délai de congé, voire quelques jours ou semaines après la fin des rapports de travail, pour produire un certificat médical largement rétroactif13. Si le bénéfice de la protection légale doit être accordé pour les troubles organiques invoqués a posteriori, une grande réserve s’impose dans la prise en compte du caractère rétroactif de certificats médicaux attestant d’atteintes psychiques14.
 

Certificat médical «à géométrie variable»

Il arrive que le médecin traitant atteste que le travailleur est inapte au travail dans un poste donné, en raison, par exemple, de conflits interpersonnels ou de harcèlement au travail, mais qu’il est pleinement apte au travail dans un autre poste ou auprès d’un nouvel employeur. Un certificat médical de ce type a au moins deux conséquences: 
  1. l’assureur qui verse des indemnités journalières peut exiger de l’assuré, moyennant un préavis de 3 à 5 mois, qu’il change d’activité professionnelle, si cela peut être raisonnablement exigé de lui et permet de réduire son incapacité de travail15; 
  2. pour une partie de la doctrine, dès lors que le travailleur n’est pas entravé dans la recherche d’un nouvel emploi et qu’il bénéficie de l’intégralité de son délai de congé pour s’y consacrer, il ne peut se prévaloir de l’art. 336c CO16.
1 En Suisse romande, on recourt généralement à l’échelle bernoise (1re année: 3 semaines; 2e année: 1 mois; 3e et 4e année: 2 mois; 5e à 9e année: 3 mois; etc.).
2 Il est permis de déroger à cette prescription, à condition d’accorder au travailleur des prestations au moins équivalentes (art. 324a al. 4 CO). Il y a équivalence (abstraite) lorsque l’assurance conclue par l’employeur prend effet dès le premier jour d’emploi et garantit au travailleur, pour toutes les absences résultant d’une maladie, des indemnités correspondant à 80% du salaire, versées pendant 730 jours dans une période de 900 jours consécutifs, sous déduction d’un délai d’attente de deux jours.
3 TF 19 février 2014, 4A_2/2014.
4 TF 3 février 2015, 4A_381/2014.
5 Certaines entreprises exigent que l’absence soit justifiée par un certificat médical dès le 1er jour, d’autres dès le 2e ou le 3e jour.
6 Manuel de la Société suisse des médecins-conseils et médecins des assurances: un manuel de la médecine des assurances, https://www.medecins-conseils.ch/manual/chapter11.html
7 TF 12 janvier 2007, 4C.359/2006.
8 Code de déontologie de la FMH, art. 34. 9 TF 25 février 2015, 4A_276/2014.
10 Code de déontologie de la FMH, art. 34.
11 Manuel de la Société suisse des médecins-conseils et médecins des assurances: un manuel de la médecine des assurances, https://www.medecins-conseils.ch/manual/chapter11.html
12 TF 28 juillet 2009, 4A_227/2009.
13 Dans le même sens, DUCOR, Certificat médical d’incapacité de travail rétroactif: possible?, http://www.amge.ch/rubrique/questions-juridiques/
14 WYLER/HEINZER, Droit du travail, 2015, p. 684.
15 TF 15 janvier 2015, 4A_574/2014, qui précise que la loi ne permet pas à l’assureur de réduire ses prestations dans la perspective d’un changement d’activité purement théorique, qui n’est pratiquement pas réalisable.
16 WYLER/HEINZER, Droit du travail, 2015, p. 685-686. Il convient toutefois, à notre avis, de réserver le caractère abusif du congé.
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Philippe Carruzzo est avocat au barreau – spécialiste FSA en droit du travail. www.law-ge.ch 

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