Valeur perçue

«L’aspect humain; la dimension technique et la sensibilité business»

Un Chief Financial Officer, un chef de service du secteur public et une responsable de la communication d’un groupe international partagent ici leur vision de la contribution RH à l’organisation

L’influence réelle des DRH dans les comités de direction est très débattue... Comment analysezvous ces critiques?

Rodolphe Dugast Rouillé: Je n’ai pas une position tranchée sur ce sujet. J’ai travaillé avec des groupes internationaux où le DRH ne siégeait pas au comité de direction et d’autres où il en faisait partie. Personnellement, je pense qu’il doit y être. Car au final, ce sont les hommes et les femmes d’une organisation qui font la différence. Les entreprises de service ont compris cela depuis longtemps.

Vincent Huguenin-Dumittan: Oui, je partage cet avis. Cela dit, c’est surtout le rôle qu’on lui donne qui est important. Participe-t-il à toutes les décisions stratégiques? Comment est-il impliqué et quel rôle va jouer le facteur humain dans les décisions? Est-on est prêt à prendre en compte des éléments de santé au travail par exemple? Trop souvent, le facteur RH se résume à la simple gestion des ressources et à la rémunération... Mais quid des enjeux de culture d’entreprise et de climat de travail? Plus que la participation du DRH au comité de direction, ce sont ses champs de compétences et d’action qui doivent être clarifiés.

Rodolphe Dugast Rouillé: Oui. Mais c’est aussi au DRH d’avoir l’énergie et la volonté de faire bouger les choses. Cela ne tient pas qu’au comité de direction. C’est le rôle du DRH de ne pas lâcher et d’apporter des arguments qui montrent sa valeur ajoutée. Le profil du DRH est donc tout aussi important.

Quel serait ce profil idéal?

Isabelle Peillon: A mon avis, l’aspect humain est fondamental. Les RH connaissent la valeur d’un être humain, comment le faire grandir ainsi que sa contribution à la croissance de l’entreprise. En clair, ils savent comment gérer des situations avec humanité. En entreprise, c’est vraiment les RH qui tiennent ce rôle-là. Je pense aussi qu’un RH doit être dans la collaboration. Sa fonction est transversale et il est donc impliqué partout. Il doit aussi être innovant. Parce que le monde change en permanence et parce que les collaborateurs évoluent eux aussi. Enfin, un DRH doit avoir une bonne vision stratégique et faire confiance à la fonction communication. Je prêche ici pour ma paroisse mais je le crois profondément: la communication et les RH doivent travailler main dans la main.

Rodolphe Dugast Rouillé: Je vois trois caractéristiques fondamentales: l’aspect humain; la dimension technique et la sensibilité business. Un bon DRH comprend qu’à un moment donné les enjeux humains sont limités par les enjeux stratégiques et techniques. Et l’inverse est aussi vrai. On ne peut pas se contenter d’appliquer aveuglement un règlement. Et c’est aussi valable pour la dimension stratégique. Elle doit tenir compte de l’humain. Cela dit, j’ai rarement vu des managers RH à l’aise sur ces trois sujets.

Vincent Huguenin-Dumittan: J’aime beaucoup votre approche. J’ai parfois rencontré des RH très compétents mais qui avaient tendance à tout voir par la même lorgnette. Alors qu’il y a parfois une limite business ou technique à un point de vue. Cette composition d’intérêt est primordiale. Et l’aspect humain est également central. En organisation, nous subissons tous des contraintes et des pressions très fortes. Dans ce contexte, l’élément humain passe souvent au second plan. «Les gens sont payés pour ça...», dit-on souvent dans les comités de direction pour évacuer cette dimension humaine. Mais arrive le moment où la personne n’en peut plus et part en burnout. Et là c’est trop tard. C’est donc au RH de rappeler ces fondamentaux humains. Et puis, les RH sont aussi parfois les porte-voix des collaborateurs. Les personnes ne sont pas uniquement là pour exécuter, elles ont un avis critique, des idées, des suggestions... Toute cette information peut être une source d’innovation et de créativité. Il faut savoir en tenir compte. C’est aux RH de créer les conditions pour que la parole puisse circuler librement et que chacun puisse contribuer à créer de la valeur pour l’organisation.

Dans quelles situations l’accompagnement des RH vous semble-t-il indispensable?

Vincent Huguenin-Dumittan: Les questions de litige; les bilans de compétences; la promotion de carrière et le recrutement et enfin l’accompagnement des cinq dernières années de vie professionnelle.

Isabelle Peillon: La gestion des talents me semble également très importante pour l’entreprise. Et je considère que tous les collaborateurs sont des talents potentiels. Du point de vue de la communication, je m’appuie beaucoup sur les RH pour la remontée d’information. J’ai besoin de connaître le climat qui règne auprès des employés: les questions qu’ils se posent et les situations sensibles et difficiles. Enfin, les RH sont clés lors de restructurations et de moments de crise, qui impliquent une dimension juridique importante.

En termes de communication, comment utilisez-vous concrètement cette remontée d’information?

Isabelle Peillon: Elle est primordiale car elle permet de vérifier si nos actions et notre stratégie de communication sont en phase avec la situation de l’entreprise à un instantT.Les RH m’indiquent la température en quelque sorte.

Rodolphe Dugast Rouillé: En ce qui me concerne, trois domaines me viennent à l’esprit: les situations de conflit; le respect des obligations légales et le développement humain de l’organisation. Ces trois enjeux me semblent importants au quotidien et en temps de crise. Dans l’économie privée, nous vivons des cycles de deux-trois-quatre ans, en fonction du secteur et des activités. Nous sommes donc en permanence en train de changer et d’optimiser nos processus. Ce sont les forces de marché qui imposent cette adaptation permanente. Dans ce contexte, les RH sont un support précieux.

Décrivez-nous une situation où votre manager RH vous a sauvé la peau?

Rodolphe Dugast Rouillé: Je me souviens d’une restructuration, pendant laquelle je travaillais pour la société acquise. Ce sont toujours des situations délicates car la société acquéreuse va détricoter beaucoup de choses. Humainement c’est difficile. En tant que financier, je maîtrise les aspects techniques mais l’accompagnement du changement d’un point de vue humain est un vrai métier.

Et les autres?

Isabelle Peillon: Une situation où les RH m’ont sauvé la peau? Je ne vois pas... C’est sans doute parce que j’ai moi-même été RH auparavant et donc je travaille toujours de manière très intégrée avec eux. En ce qui me concerne, c’est un réflexe naturel de faire appel à eux. Je ne me suis donc pas encore retrouvée piégée ni sauvée!

Vincent Huguenin-Dumittan: La situation est différente dans l’administration publique. Chez nous, les cycles sont liés aux changements politiques, tous les quatre, voire huit ans. De plus, bien que notre environnement change en permanence, nous n’avons pas la même souplesse d’activité que dans le privé. Dans une administration cantonale, les RH sont un service transversal et du coup nous n’avons pas les mêmes leviers pour agir auprès des collaborateurs. Mais pour revenir à votre question, les RH m’ont souvent sauvé la mise lors de situations de litige. J’ajouterai que les RH sont une aide importante lors de processus de changements, en fonction des orientations qui sont données par l’autorité politique.

Lors de changements stratégiques ou de législatures, à quel moment intégrez-vous les RH dans le processus?

Vincent Huguenin-Dumittan: Le plus tôt possible (sourire).

Isabelle Peillon: Oui, tout de suite. Encore une fois, en termes de communication interne et externe, la collaboration avec les RH est primordiale.

Rodolphe Dugast Rouillé: J’ai la même approche. Lors des situations de crise mais aussi au quotidien. Le partenariat avec les RH est continu en termes de gestion des talents, notamment lors des évaluations de fin d’année.

Isabelle Peillon: Oui, absolument. La dimension talent est importante.
Rodolphe Dugast Rouillé: Et cette notion de talent existe aussi en temps de crise. Un RH saura valoriser la personne et mettre en perspective les réalités économiques, souvent très dures, et la dimension humaine de l’organisation.

Vincent Huguenin-Dumittan: Encore une fois, le contexte organisationnel est différent dans le service public. Chez nous, la gestion des talents, la promotion de carrière et la vision prospective de la gestion des ressources humaines sont beaucoup plus difficiles à conduire de manière intégrée avec les RH. Nous sommes souvent obligés de développer nos propres outils et d’opérer de manière plus artisanale. A cause notamment de la transversalité de la fonction RH qui doit répondre aux besoins de plusieurs services aux métiers parfois très différents. Dans le privé, vous êtes en mesure de vous adapter beaucoup plus rapidement.

Rodolphe Dugast Rouillé: Oui sans doute. Le secteur privé a développé une sorte de Darwinisme adapté à l’organisation professionnelle ...

Vincent Huguenin-Dumittan: Et vos marges de manœuvre en termes de rémunération sont plus souples. Au moment d’engager des talents c’est souvent la rémunération qui nous bloque.

Comment distinguez-vous la plus-value d’un manager RH d’un directeur RH?

Vincent Huguenin-Dumittan: Le manager RH gère le court-terme et le quotidien. Il est bon dans le relationnel et bien aligné avec la direction RH sur des questions de stratégie et de positionnement interne, notamment sur les enjeux juridiques et de rémunération. Le manager RH est celui qui va au front. A l’inverse, un directeur RH est plus en retrait, il ou elle s’occupe des sujets à plus long terme: la politique RH, la stratégie et la communication.

Isabelle Peillon: Oui, absolument. En termes de communication, le manager RH est responsable de la remontée d’information et du climat. Alors que le DRH est sur la dimension stratégique. Il a un rôle de leadership important et on attend de lui qu’il aligne bien ce qu’il fait et ce qu’il dit.

Le DRH doit donc incarner par ses actes la politique RH qu’il entend mener?

Isabelle Peillon: Oui. Le DRH tient un poste clé de l’entreprise. On doit donc pouvoir compter sur lui. Il doit faire ce qu’il dit, ou ce qu’il fait dire dans les formations. C’est une question de cohérence et de crédibilité.

Rodolphe Dugast Rouillé: Oui. Il représente l’entreprise mais aussi le management et le leadership. C’est à lui de porter les valeurs qu’il souhaite que les collaborateurs s’approprient.

Vincent Huguenin-Dumittan: Une fois que la stratégie RH est posée, c’est au manager RH de la contextualiser, de lui donner du sens. Nous évoquions plus tôt les cycles économiques... le manager RH aide les collaborateur à se repositionner dans ces nouveaux contextes économiques ou politiques afin qu’ils retrouvent du sens à leur activité.

Rodolphe Dugast Rouillé: Oui, pour garder le cap du bateau, il faut des hommes sur le pont et dans les cales. Le manager RH ne peut pas se contenter de donner des ordres. Il doit aussi prendre son bâton de pèlerin, aller sur le chemin, relever ceux qui sont sur le côté, les aider à changer de chaussures et leur donner un peu d’eau si besoin...

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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