Performance

L’évaluation est une fiction

Avec l’automne est arrivé le temps des traditionnelles évaluations de fin d’année. Une tâche hérissée de difficultés pour les RH. 

La performance qui se cristallise dans l’évaluation et la notation individuelle des collaborateurs pourrait n’être qu’une «fiction». Pourquoi une fiction? Parce que l’évaluation de la performance passe essentiellement par la fixation d’objectifs à atteindre. Quasiment toutes les entreprises utilisent le référentiel «objectif». Or, aucun employé, aucun patron ne peut décemment dire aujourd’hui où il sera et ce qu’il fera dans six mois ou une année. C’est l’une des principales fragilités du système.
 
On tente souvent de pallier le problème en injectant une dimension qualitative. Mais cela ne résout rien puisqu’on prend le problème dans le mauvais sens: on ne peut pas prescrire des objectifs a priori. C’est ridicule parce que les opportunités ne se présentent pas sur le mode de l’a priori, il faut les saisir quand elles se produisent. Cette façon de concevoir l’évaluation des collaborateurs est non conforme avec la marche du monde et la réalité du travail.
 
Un extrait d’un avis d’experts publié sur mandat du gouvernement américain en 1993 dit ceci: «Vu le piètre succès des nombreuses recherches visant à l’amélioration de la précision des modes d’évaluation de la performance, il n’y a pas lieu d’investir davantage dans la poursuite de cet objectif. Le but de l’évaluation de la performance devrait plutôt être d’appuyer les gestionnaires et de les inciter à bien documenter leurs jugements lorsqu’ils prennent des décisions en matière de gestion des ressources humaines.»
 

Ce n’est pas le roi qui est nu, mais le salarié 

Evaluer, c’est, le plus souvent, entrer dans la quantification. La mesure désigne alors le meilleur et le moins bon. Que chacun se débrouille ensuite avec ses propres représentations. Ce n’est plus le roi qui est nu, c’est le salarié qui, au moment de la notation, se retrouve dans l’impossibilité de présenter une alter- native intelligente et complexe de lui-même. Il n’est pas dans l’excellence et le récit de ce qu’il a fait, par ses initiatives; il est devenu le chiffre 1, 2, 3, 4 ou 5. Il est impossible pour les managers de sortir de ce jeu, sommés qu’ils sont de remplir la «grille», d’autant que l’outil informatique trace désormais une grande partie des pratiques managériales. Leur liberté est faible quant à la possibilité de réorienter les règles pour en tirer quelque avantage.
 
L’évaluation et la notion de mérite qui la sous-tend a ceci de rassurant qu’elle fait croire qu’il existe malgré tout un ordre et une justice, puisque les «méritants» peuvent être reconnus comme tels. Elle laisse entendre qu’il est possible d’identifier comme autant de ruptures de pro- messe les injustices constatées une fois passé le contrat de travail avec l’employé, et d’envisager ainsi le retour à l’ordre initial.
 

La distribution de la performance est une inconnue

La performance, devenue culte, se pose en primat de la raison instrumentale. La première croyance est qu’il est possible d’identifier une performance moyenne, à partir de laquelle il serait possible de situer tous les individus. En réalité, la véritable distribution de la performance dans une entreprise est presque toujours inconnue. Et le point de vue des salariés est très différent: des études ont montré que près de 80% d’entre eux se trouvent plus performants que la moyenne! Deuxième croyance: la performance est une réalité objective qui peut se définir et donc, se mesurer avec précision. Or, la performance est une construction sociale liée à un contexte organisationnel. Ceci s’avère de plus en plus évident à mesure que l’on gravit les échelons de la hiérarchie. Mais pour que la performance soit juste, encore faut-il que la compétition soit ouverte et épurée de toute influence extérieure. Ainsi, les inégalités dont les individus ne sont pas responsables devraient être neutralisées, afin de dégager celles qui sont réellement imputables à la performance individuelle. Troisième croyance: la cause de sous-performance est attribuable à un manque de compétences ou d’efforts de la part l’employé. Ironiquement, lorsque c’est au tour de l’évaluateur d’être évalué, il a naturellement tendance à attribuer sa propre sous-performance à des facteurs contraignants!
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Gérard Reyre est Docteur en sociologie, conseiller en entreprise et  profes­seur à l’Université de Marne­la­Vallée (France). Il a notamment publié «Du courage d’être manager» aux éditions Liaisons en 2004 et «Evaluation du personnel. Histoire d’une mal­posture» aux éditions L’Harmattan en 2007.

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