La chronique

Le sens de l’inessentiel!

Combien de temps croyez-vous qu’un manager ou un dirigeant consacre à sa formation managériale, initiale ou continue?

Quel temps emploie-t-il, lui qui est souvent un ancien expert, un ex-financier, ex-commercial, ex-contrôleur de gestion, ex-technicien ou ex-ingénieur – parfois le meilleur parmi ses pairs – pour apprendre son nouveau métier, qui n’est plus de faire mais de faire faire, avec le moins d’énergie possible, pour un résultat maximal?

En moyenne, chaque année, un manager ou un dirigeant se forme à son subtil, difficile et merveilleux métier pendant une journée et demie! Soit à peu près 12 petites heures (sur environ 1700 heures travaillées). Donc, au mieux, 0.7% de son temps ...

Et quel temps passe-t-il à former ses collaborateurs? Pour les faire grandir, pour créer ou entretenir cette motivation durable qu’on appelle l’engagement, pour allumer en eux le feu de l’énergie contributive et de l’intelligence collaborative, racines profondes de tout succès pérenne, individuel et collectif ? Moins de 15 minutes par semaine! Soit environ 12 autres petites heures par an ...

Fuyant les formations, s’en défaussant sur leurs équipiers, ces managers-là se retranchent souvent derrière ce temps dont ils affirment avoir perdu la maîtrise et qui leur manque toujours davantage. Ils peuvent arguer – parfois légitimement – de la vacuité, de l’inefficience ou de la contre-productivité de certaines de ces formations, dramatiquement théoriques. Mais pourquoi ne pas chercher ailleurs ce dont ils ont réellement besoin?

On observe aussi que ce sont les mêmes qui courent de séances interminables en rencontres pléthoriques, s’imposent d’époumonants agendas, d’inaccessibles ToDo listes, répondent à pléthores de courriels inutiles (qui sème le vent récolte la tempête ...), tiraillés entre mille urgences, au détriment du seul important: la pratique de l’art du management, avec sa belle ascèse et sa grande humanité, au service de son équipe.

Certains semblent même prêts à tout pour éviter la moindre rencontre un peu personnelle avec celles et ceux qui leur sont confiés. Ils s’acharnent à s’inventer des justifications péremptoires ou des prétextes dilatoires: un budget urgent, une séance indispensable, un projet complexe, un rendez-vous important ... Tout semble bon pour légitimer leur incessante dérobade, préférant ainsi l’inessentiel ... à l’essentiel.

Équilibriste ou funambule, écartelé d’objectifs paradoxaux ou contradictoires (mais tous prioritaires), surchargés d’impératifs et mal formés, persuadé de devoir être contorsionniste et slackliner en même temps, le manager in-éduqué (ou déformé) se dérobe aux autres, autant qu’à lui-même.

L’illusion des réussites immédiates, des seuls objectifs à court terme, des modes variées de la performance instantanée, des anthropologies systémiques ou instrumentalistes, des croyances toxiques constitue la petite matrice délétère de ces comportements journaliers, affolés et affolants.

La maîtrise de l’art du management est exigeante. La persévérance, l’humilité et la longanimité, grâce auxquelles on se forme, constitue un exercice assidu, voire permanent. Cette authentique performance peut dérouter ou rebuter.

Plus encore cependant, l’art de manager requiert du courage. Celui, très humain, de la vérité. Dissiper les mensonges en forme d’écran de fumée, ventiler les hypocrisies toxiques auxquelles personne ne croit plus, disperser les humeurs noires et les vapeurs négatives, discerner le meilleur en chacun, pour le faire croître et grandir, donner les permissions nécessaires à leurs audaces, plutôt que de vitrifier chaque initiative dans une tétanique peur de l’échec ...

Henry Mintzberg (éminent professeur de McGill, à Montréal) affirme que manager vraiment exige de consacrer 70% de son temps à ses managés. Et pour acquérir le discernement, la bienveillance (vraie) et la patience nécessaire, il convient de se former. Se former n’est jamais du temps perdu, lorsque qu’il s’agit de faire grandir celles et ceux qui nous sont confiés. C’est l’essence même du management. Et c’est cela qui crée le sens!

commenter 0 commentaires HR Cosmos
Xavier Camby est Directeur du cabinet Essentiel Management, qui forme les dirigeants à la gouvernance du futur, et auteur de «48 clés pour un management durable».
 
Plus d'articles de Xavier Camby