Droit et travail

Le Whistleblowing en Suisse: ce que dit la loi et le Tribunal Fédéral

Est-ce que le droit suisse protège un employé qui constate des faits répréhensibles et rapporte ces agissements à son employeur? Arrivée des Etats-Unis, la pratique du Whistleblowing concerne aussi les organisations établies en Suisse. La législtation actuelle est-elle suffisante? Quelle est la récente jurisprudence en la matière? Le point sur la situation. 

On se souvient de l’affaire Enron. A la suite de ce scandale comptable et financier, les Etats-Unis ont adopté en 2002 le Sarbanes-Oxley Act (dit SOX), qui impose aux sociétés cotées en bourse aux USA, ainsi qu’à leurs filiales étrangères et à leurs sociétés de révision, de se doter d’une procédure permettant aux employés de dénoncer les faits répréhensibles qu’ils auraient découverts dans l’entreprise, sous le couvert de l’anonymat. 

D’autres pays, notamment Israël et le Japon, ainsi que, mais de manière peu contraignante pour les Etats membres, l’Union Européenne, ont également instauré des réglementations en la matière. 

Le whistleblower est l’employé qui révèle des actes illicites, immoraux ou contraires à l’intérêt public, dits «irrégularités» ou «faits répréhensibles» constatés à l’intérieur de l’entreprise qui l’emploie, ou des soupçons relatifs à de tels actes. 

Les personnes qui constatent des faits répréhensibles sur leur lieu de travail («whistleblowers») s’exposent parfois à des mesures de représailles, telles que le licenciement. Comment le droit actuel protège ces «whistleblowers»? Y a-t-il lieu d’accroître cette protection? Nous tentons ci-après d’apporter quelques éléments de réponse.

La situation actuelle en Suisse

Le droit des sociétés (articles 728a alinéa 1 chiffre 3 et alinéa 2 du Code des Obligations - CO) impose la mise en place d’un système de contrôle interne obligatoire, dans une perspective de gouvernance d’entreprise. 

Quant au Code pénal, il prévoit à son article 102 alinéa 2 la punissabilité des entreprises pour certaines infractions (crime organisé, financement du terrorisme, blanchiment d’argent, corruption) si elles n’ont pas pris toutes les mesures d’organisation raisonnables et nécessaires pour empêcher ces infractions. 

En droit du travail actuel, l’article 321a alinéa 1 du CO stipule que l’employé est tenu de sauvegarder fidèlemement les intérêts légitimes de l’empoyeur. Ce devoir général de fidélité impose à l’employé de signaler les perturbations, dommages, anomalies, actes illicites et autres incidents susceptibles d’avoir des conséquences fâcheuses pour une entreprise. 

L’employé qui, fort de cette obligation, signale des faits répréhensibles commis sur son lieu de travail est protégé, tant par les dispositions instaurant une protection contre le licenciement abusif (article 336 et suivants CO) et sur le licenciement immédiat injustifié (article 337 et suivants CO) que par la jurisprudence.

L’arrêt du TF du 8 juillet 2008

Un employé, responsable du trafic des paiements dans une banque à Lugano, avait constaté des irrégularités dans certains ordres de paiement effectués par le directeur de la succursale. Il avait fait part de sa découverte à l’avocat de la banque, lequel avait informé la direction de celle-ci. Une enquête interne avait été ouverte mais n’avait pas permis de conforter les soupçons soulevés par l’employé. Ce dernier avait ensuite été licencié. Apprenant par la presse que le directeur de la succursale avait été arrêté en raison de malversations commises aux dépens de la banque et de ses clients, l’employé a réclamé CHF 30’000.-- à son ancien employeur au titre d’indemnité pour licenciement abusif au sens de l’article 336 a CO. Les Juridictions cantonales, confirmées par le Tribunal fédéral, ont alloué à l’employé le plein de ses conclusions. 

Selon les juges saisis, en l’absence de procédure spécifique prévue dans la banque, l’employé, qui, de bonne foi, avait informé l’avocat de la banque qu’il soupçonnait le directeur de celle-ci d’actes délictueux, n’avait pas commis d’acte répréhensible. 

Il est donc judicieux pour une entreprise de prévoir des directives internes en matière de whistleblowing. Si de telles directives n’existent pas, l’employé de bonne foi est protégé, par le biais des dispositions sanctionnant les licenciements abusifs.

L’avenir de la réglementation

Au prétexte de rendre la réglementation suisse compatible avec les normes étrangères et suite à une motion parlementaire Gysin visant à instaurer une protection juridique pour les personnes qui découvrent des cas de corruption, le Conseil fédéral suisse a proposé une révision partielle du CO visant à protéger les employés en cas de signalement de faits répréhensibles. Il s’agissait d’introduire un nouvel article 321a bis selon lequel le signalement de bonne foi de faits répréhensibles à l’employeur est conforme au devoir de fidelité du travailleur. 

Le Conseil fédéral proposait en outre d’ajouter dans la liste des congés abusifs de l’article 336 le congé donné par l’employeur en raison du signalement d’un fait répréhensible au sens de l’article 321a bis. Après consultation des milieux intéressés, le Conseil fédéral a décidé de remanier ce projet, notamment en raison du fait que la majorité des organisations économiques n’en voient pas l’utilité, en particulier pour le motif que le droit actuel offre d’ores et déjà une protection suffisante aux employés concernés.

Conclusion

To blow the whistle, à savoir lancer un coup de sifflet, à l’instar d’un arbitre, serait une nouvelle prérogative des employés? Au point que nos autorités ressentent la nécessité absolue de légiférer en la matière? Pour notre part, nous ne partageons pas cet avis. Les employés ont non seulement le droit, mais également l’obligation, notamment en raison du devoir de fidélité et de loyauté de l’article 321a CO, de signaler à leur employeur tout fait répréhensible qu‘ils sont amenés à constater dans l’entreprise. En cette matière, tant le droit positif que la pratique des entreprises et celle des Tribunaux créent des garde-fous suffisants.

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Olivia Guyot

Olivia Guyot Unger, titulaire du brevet d’avocat, dirige le Service Assistance Juridique et Conseils (SAJEC) de la Fédération des Entreprises Romandes Genève.

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