Portrait

Patience à Pully

DRH de la ville depuis l’an 2000, Carole Schwander incarne la lente montée en puissance de la GRH publique. «J’ai dû apprendre à être patiente», confie-t-elle.

Elle nous demande si c’est vraiment une bonne idée de lui consacrer ce portrait. Cheffe du service des ressources humaines de la Ville de Pully depuis 18 ans, elle hésite encore à être montrée en exemple. Modeste, discrète et efficace. Voici Carole Schwander. Une marathonienne du service public à l’ère du zapping professionnel permanent. «J’ai la chance d’avoir bénéficié de municipalités successives qui m’ont laissé faire, réajuste-t-elle. A chaque nouvelle législature, je présente ma feuille de route au syndic et il ne m’a encore jamais dit non». Quand elle prend ses fonctions en 2000, elle demande à pouvoir se former au CRQP. Elle est la seule DRH du service public de sa volée. Historiquement, la gestion du personnel dans les administrations communales a toujours été l’affaire du secrétaire municipal. C’est d’ailleurs encore le cas dans les petites communes. Mais dans les villes de taille moyenne, comme Yverdon, Montreux, Vevey, Nyon et Morges par exemple, la gestion du personnel s’est considérablement professionnalisée. Carole Schwander incarne cette lente évolution.

Car quand on lui demande ce qu’elle a appris ces 18 dernières années à Pully, elle répond sans hésiter «la patience». Elle détaille: «Cela ne sert à rien de bousculer les habitudes. Si le travail n’a pas été fait avant votre arrivée, ce sera difficile de changer une situation. Parfois, il faut savoir attendre et accepter que le changement prend du temps». Un exemple? «J’ai le souvenir de personnes qui n’étaient visiblement pas à leur place. Mais comme rien n’avait été entrepris pour changer la situation pendant vingt ans, la responsabilité du dysfonctionnement était en quelque sorte partagée. J’ai donc parfois dû attendre un départ à la retraite pour changer certaines pratiques.»

«Rien n’est jamais acquis»

Le deuxième enseignement qu’elle tire de sa longue charge pulliérane est que rien n’est jamais acquis. «C’est très dangereux de se reposer sur ses lauriers. Les générations changent grosso modo tous les cinq ans. Les enjeux de la Municipalité évoluent aussi. Il faut donc accepter de remettre l’ouvrage sur l’établi à intervalles réguliers. Cela implique de se former et de rester attentifs aux évolutions de la société.» Un exemple? «On entend parfois dire que les jeunes n’ont pas envie de travailler... Ce n’est pas vrai du tout. C’est la manière qui a changé. Ils préfèrent travailler en mode projet, avec plus de flexibilité et d’autonomie. Les jeunes souhaitent aussi garder du temps pour eux, une journée par semaine par exemple, qu’ils
consacrent à un sport ou à une passion. Au travail, ils sont par contre très efficaces et productifs».

Cette flexibilité des conditions de travail est sans doute le changement le plus important qu’elle a constaté depuis qu’elle dirige les RH de la ville de Pully. «En 2014, nous avons effectué une enquête de satisfaction. Si la plupart des sujets étaient perçus positivement, les employés nous ont recommandé d’améliorer l’équilibre vie de famille/professionnelle. En substance, le message qu’ils nous envoyaient était: laissez-nous plus de liberté pour organiser notre travail.» Les demandes de temps partiel augmentent constamment depuis cinq ans. Carole Schwander était d’ailleurs la seule à travailler à 100% au sein du département RH jusqu’à récemment.

Une activité porteuse de sens

Les prestations RH qu’elle délivre ont considérablement évolué en vingt ans. «Quand je suis arrivée, je passais mon temps à célébrer les 30 ou 40 ans de maison. Le turnover était très bas et nous vivions dans un environnement de travail ronronnant. Cela a bien changé. Nous recrutons beaucoup plus de personnes du secteur privé aujourd’hui. La diversité des métiers a augmenté et nous investissons énormément dans la formation». Ces changements s’expliquent en partie par le ras-le-bol que ressentent de nombreux managers du secteur privé. La course-poursuite du bénéfice net et la pression induite par la globalisation ont rendus le secteur public plus séduisant. «De nombreuses personnes lâchent du salaire pour venir chez nous. Elles sont attirées par une activité porteuse de sens et des bonnes conditions de travail.» La ville de Pully engage des urbanistes, des architectes, des ingénieurs. Les défis du développement d’une ville de 18 000 habitants, au cœur de l’agglomération lausannoise, sont passionnants, assure-t-elle.

Pour contrebalancer son système salarial très rigide – aucun bonus et des primes de fin d’année de 1000 francs au maximum – la ville de Pully mise sur les conditions de travail et la formation pour attirer les talents. Sur les 250 employés, 30 sont des apprentis. «Il y a vingt ans, la majorité de nos apprentis étaient employés de commerce. Aujourd’hui, nous avons considérablement diversifié notre offre, avec des techniscénistes (pour la salle de spectacle de la ville), des agents d’exploitation (conciergerie), des forestiers et vignerons (la commune est propriétaire d’un vignoble de 4 hectares). Pour soutenir la filière heig-vd, Carole Schwander a aussi créé cinq postes de stagiaires HEIG en emploi et également quatre postes pour des jeunes qui ont terminé leur Master en urbanisme et en génie civil à l’EPFL et qui souhaitent engranger une première expérience professionnelle. «Et de manière générale, nous encourageons le personnel à se former avec des DAS, CAS et autres Master», poursuit-elle.

Massages assis et coach sportif

Un autre paramètre qui attire les managers du secteur privé est la politique de santé au travail. «Nous avons énormément étoffé nos prestations dans ce domaine. Nous proposons deux fois par mois des massages assis. Un coach sportif vient former les ouvriers de la voirie à mieux s’échauffer avant de commencer leur journée. Nous proposons aussi des cours de diététique et de Pilates.» La ville de Pully s’est également associée avec Addiction Santé Suisse pour sensibiliser le personnel aux risques de cyberdépendance, de drogue et d’alcool. Carole Schwander: «A mon arrivée, la culture de l’apéro était très forte. J’ai dû me battre pour qu’ils servent aussi de l’eau et du jus d’orange.» La commune propose aussi un cours pour apprendre à interagir avec des gens difficiles. «Comme nous vivons sur les deniers publics, les citoyens ont parfois l’impression qu’ils sont nos patrons, sourit-elle. Nos forestiers se font parfois apostropher par des promeneurs qui les accusent d’abattre inutilement des arbres...»

En 18 ans, a-t-elle aussi commis quelques erreurs? «Oui bien sûr, répond-elle, sans hésiter. Parfois, j’ai voulu trop bien faire et j’ai proposé des choses dont les gens n’avaient pas vraiment besoin. J’ai également appris que la communication est essentielle. Les gens détestent le changement. C’est donc primordial d’aller sur le terrain et de prendre le temps d’expliquer nos actions.» C’est aussi pour échanger sur ces bonnes ou mauvaises pratiques que Carole Schwander a cofondé en 2015 l’Association des responsables RH des villes vaudoises (ARRHVV).

Recrutée par Jean Chevallaz

Elle-même est née à Lausanne. Son père est Henri Badoux, fondateur de la Maison Badoux à Aigle (commerce de vins). Sa mère est femme au foyer et seule responsable de l’éducation de sa fille. A 14 ans, Carole Badoux entre à l’école Nouvelle de Lausanne où elle rencontre son futur mari, Knut Schwander, critique gastronomique et responsable du Gault & Millau en Suisse romande. 41 ans plus tard, ils sont toujours ensemble. Le magazine L’illustré leur a dédié quelques paragraphes en février 2018 dans un article sur les secrets des couples qui durent. On y apprend notamment qu’ils partagent une passion pour «la gastronomie, les châteaux écossais, l’art nouveau et la peinture hollandaise du 18 siècle.» Le couple a deux enfants, une fille qui effectue actuellement un Master en gestion à Fribourg et un fils, qui a commencé un stage d’avocat. Carole Schwander a elle aussi hésité à entreprendre des études de droit avant d’entrer à l’école hôtelière. Diplôme en poche, elle travaille pour une entreprise d’événementiel qui plaçait des clowns et des artistes. Elle se souvient: «C’est de là que datent mes premiers contacts avec le monde RH. Je rédigeais les contrats et je m’occupais de payer nos clowns.» En 1995, elle entre comme assistante RH à la clinique de la Source à Lausanne, avant de rejoindre la ville de Pully en 2000. Le syndic de l’époque était Jean Chevallaz, issu d’une vieille famille de radicaux vaudois, frère du conseiller fédéral Georges-André. Elle se souvient: «Il voulait engager une femme».

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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