Conseils pratiques

Protection de la personnalité, indemnité pour congé abusif et règles de forme

Plusieurs arrêts récents du Tribunal fédéral se prononcent sur des situations concrètes à la lumière des règles sur la protection de la personnalité de l’employé (art. 328 CO). Tandis que d’autres apportent des précisions utiles sur les règles de forme à respecter lors  de la conclusion de contrats de travail (voir l’encadré).

Plusieurs arrêts du Tribunal fédéral retiennent l’attention en lien avec le thème de la protection de la personnalité (art. 328 CO). Dans l’un d’eux, un dentiste avait décidé sans motif objectif de répartir les tâches de ses deux collaboratrices de manière pour le moins curieuse. L’une d’elles l’assistait au fauteuil durant son travail avec les patients, alors que l’autre était affectée essentiellement à des tâches de bureau. Par ailleurs, le dentiste avait des exigences plus élevées à l’égard de la collaboratrice occupée au bureau et s’énervait plus facilement contre elle, voire avait des attitudes menaçantes à son égard. Cette dernière a également été menacée à plusieurs reprises de licenciement ou de retenue sur salaire. Le dentiste a aussi sollicité des massages de la nuque et des épaules auprès de ses deux collaboratrices, en revenant à la charge malgré leurs refus.

Diviser pour mieux régner

La Cour cantonale a retenu que ses demandes ne visaient pas uniquement à soulager ses dorsalgies et que par ailleurs sa politique consistant à faire de l’une de ses employées un bouc émissaire et à diviser pour mieux régner était typique du mobbing, tout comme le fait de retirer à un employé des tâches entrant dans son cahier des charges lorsque sa compétence n’est pas en cause. Le TF a validé ce raisonnement et a admis qu’on pouvait retenir sans arbitraire une violation de l’art. 328 CO, peu importe que le comportement du dentiste ne corresponde pas en tous points à la définition du harcèlement psychologique et qu’il n’ait pas nécessairement cherché à isoler et exclure l’employée. A l’instar du mobbing, le comportement de l’employeur doit s’apprécier dans son ensemble, de sorte que même si chaque acte pris isolément peut apparaître tolérable, on peut conclure que le comportement pris dans sa globalité portait atteinte à la personnalité de l’employée.

L’employé vulgaire

Dans une autre affaire, notre Haute Cour a dû se prononcer sur le cas d’un employé connu de longue date pour sa vulgarité (remarques déplacées, plaisanteries salaces, contacts physiques ambigüs, etc.). Il a été remis à l’ordre mais l’employeur ne l’a jamais averti et de manière générale a fermé les yeux sur certaines atteintes. Cela étant, cette forme de tolérance sur la durée ne doit nullement empêcher l’employeur, selon le Tribunal fédéral, de notifier un licenciement immédiat si un juste motif peut être discerné dans les circonstances de l’espèce. Tel est le cas dans l’affaire en cause, l’employé s’étant montré particulièrement grossier à l’égard d’une apprentie dont il assumait la formation, lui demandant notamment de se mettre à quatre pattes et l’appelant parfois «petite chérie» ou «petite cochonne» en cuisine. Le TF relève notamment que la longue période durant laquelle l’employé a favorisé un climat de travail hostile au sein d’entreprise n’était pas de nature à favoriser le pronostic d’un comportement futur irréprochable, ne serait-ce que jusqu’à l’échéance ordinaire des relations contractuelles. Le licenciement avec effet immédiat est dès lors justifié.

Mistinguett

Enfin, dans un troisième arrêt, le TF a dû apprécier l’utilisation, au cours d’un apéritif auquel l’intéressée ne participait pas, du surnom «Mistinguett» par ses collègues. Les juges de Mon-Repos, avec une verve lyrique peu commune, ont rappelé que Jeanne Florentine Bourgeois, dite Mistinguett, a certes connu la gloire dans les cabarets parisiens de la belle époque mais que de l’aveu même de Jean Cocteau, elle avait du génie: par sa grâce, sa gouaille et le fait qu’elle incarnait l’esprit de Paris. Ils retiennent que le langage en cause peut certes être considéré comme assez rude dans l’environnement de travail en question – en l’occurrence le trading de matières premières – sans pour autant que l’on doive retenir une violation du droit.

Indemnité pour congé abusif

Deux arrêts intéressants sont également à mentionner au sujet du montant de l’indemnité pour congé abusif. Le TF a validé l’octroi d’une indemnité équivalente à six mois de salaire dans le cas d’une employée qui comptait seulement cinq ans d’ancienneté. La Cour cantonale (la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice de Genève) avait retenu le montant maximal en raison de circonstances très particulières. L’employée et son époux avaient perdu simultanément leur job et leur logement dans un délai d’un mois. La manière dont le congé avait été signifié constituait une atteinte grave à la personnalité de la travailleuse âgée de 48 ans, dont les chances de retrouver un travail étaient compromises, notamment en raison de son état de santé (trouble dépressif avec hospitalisation et évolution jugée peu favorable). Le tort moral réclamé en sus a en revanche été refusé, l’indemnité de 336a CO couvrant l’atteinte consécutive au licenciement et l’employée n’ayant pas réussi à prouver l’existence d’intenses souffrances préalables au licenciement et causées par l’employeur.

Dans une affaire neuchâteloise, le TF a rappelé que la prise en considération des effets économiques du licenciement pour les deux parties n’est qu’un critère parmi d’autres pour fixer l’indemnité de l’article 337c al.3 CO. La Cour d’appel avait réduit l’indemnité de six à trois mois au motif que l’employé bénéficiait d’un très haut revenu (plus de CHF 500’000.- de salaire ainsi que des bonus substantiels). Le TF lui donne tort et confirme l’indemnité de six mois retenue par les premiers juges.

Règles de forme (salaire et APG)

Un arrêt intéressant a été rendu au sujet des exigences de forme lors de la conclusion de contrats de travail. Un employé est engagé par le biais d’une lettre qui comporte une clause prévoyant que l’assurance perte de gain en cas de maladie est assurée à 80% dès le troisième jour. Le contrat de travail écrit et signé par les parties ne mentionne cependant pas deux éléments essentiels du régime dérogatoire (art. 324a al. 4 CO), soit la durée des prestations et les modalités de financement des primes. Il n’y a pas non plus de renvoi aux conditions générales d’assurance. Ainsi, la forme prescrite n’est pas respectée, mais quelles en sont les conséquences puisque cette forme a pour vocation de protéger le travailleur? Le TF parvient à la conclusion que l’existence d’un éventuel accord dérogatoire par actes concluants, portant sur toutes les conditions d’assurance, doit être nié dans le cas d’espèce. Il relève notamment que l’employeur n’a déduit du salaire aucune participation de l’employé au financement de l’assurance de perte de gain, ce qui constituait un indice de régime dérogatoire. En conclusion, l’employeur ne s’est pas engagé contractuellement envers l’employé de conclure une assurance perte de gain en cas de maladie garantissant des indemnités journalières pour une durée d’au moins 720 jours.
Le Tribunal fédéral a eu par ailleurs l’occasion de rappeler dans un autre arrêt récent que lorsque la perte de gain est couverte par une assurance collective, le débiteur des indemnités est l’institution d’assurance et non pas l’employeur. Cela a pour conséquence que si l’employé souhaite agir en justice, par exemple parce qu’il ne reçoit pas les indemnités, il ne peut pas bénéficier de la procédure simple, rapide et gratuite du Tribunal des prud’hommes.

 

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Avocat à Lausanne, spécialiste FSA en droit du travail et  ancien Vice-Président du Tribunal des prud’ hommes de d’arrondissement de Lausanne, Alexandre Curchod est aussi chargé de cours à l’Université de Fribourg.  www.centralex.ch

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