Apprendre de ses échecs

Tolérer l’erreur en entreprise: du discours à la réalité

L’accélération du rythme et la complexification de notre économie sont en train de réhabiliter le droit à l’erreur en entreprise. Cette culture apprenante n’est pourtant pas simple à mettre en oeuvre. Analyse.

Le droit à l’erreur figure parmi les nouveaux mantras du management moderne. Dans un environnement organisationnel en mutation, où l’agilité et la distribution du pouvoir s’imposent progressivement pour faire face à la complexité et à l’imprévisibilité de l’économie, le droit à l’erreur est érigé en valeur cardinale. Mais derrière ces discours séduisants d’humanité et de tolérance se jouent des enjeux business plus terre à terre. Pour un manager, parler de ses erreurs implique d’exposer sa vulnérabilité. Cette posture contraste avec la figure du leader charismatique et invincible. Le droit à l’erreur comporte également un risque de déviance vers une culture de la médiocrité. Tour d’horizon des enjeux principaux.
 

Tabou
Gestionnaire de projets, Fanny Bauer a lancé en 2014 le concept des FuckUp Nights en Suisse romande. Importé du Mexique, ce format donne la parole aux entrepreneurs pour qu’ils témoignent des échecs les plus cuisants de leur carrière. Ces soirées connaissent un vrai engouement en Suisse romande. Parmi les personnalités romandes qui ont joué le jeu: Fabien Décroux (créateur de Boréal Café), Emilie Salvaridis Thion (fondatrice de My Big Geneva), Lorenzo Stoll (directeur Suisse romande chez Swiss) et le Conseiller d’Etat Pierre Maudet. Fanny Bauer raconte: «Ces événements permettent de dédramatiser des situations. L’humour et le format court des présentations (7 minutes) vont délier les langues au moment des échanges en fin de soirée.» Preuve que l’échec est encore tabou en Suisse romande, Fanny Bauer assure que «toutes les entreprises ne sont pas encore prêtes à jouer le jeu». Les représentants des multinationales et du secteur bancaire refusent par exemple de parler de leurs erreurs en public. «Parler des échecs implique de dévoiler vos fragilités, ce qui est considéré comme non-professionnel », regrette Fanny Bauer.

Directeur de Stucki Leadership & Team Development à Yverdon-les-Bains, Bernard Reber forme depuis plusieurs années les managers au droit à l’erreur. Selon lui, la récente réhabilitation de cette pratique s’explique par l’émergence des nouvelles formes d’organisation du travail, beaucoup moins hiérarchiques, «où chacun doit se responsabiliser et où apprendre de ses erreurs est devenu une clé de la réussite.» Une autre explication derrière cette tendance serait le contexte actuel de fortes pressions que subissent les entreprises. Bernard Reber: «Après des années de baisse des coûts et d’augmentation de la productivité, les entreprises arrivent à un point de rupture. Elles sont obligées de prendre des risques pour aller plus loin. Ce qui implique de potentiellement faire des erreurs.»
 

Décalage
Bernard Reber constate aussi un décalage entre les discours et la réalité. «Les chefs d’entreprise et les managers suivent des formations sur ces sujets, mais la culture d’entreprise ne change pas si rapidement.» Ce décalage s’explique pour plusieurs raisons. En parlant trop ouvertement de ce qui ne va pas, les entreprises craignent des dégâts d’image et une baisse de la qualité et de l’excellence opérationnelle. De plus, selon Fanny Bauer, personne ne veut être le premier à mettre le doigt sur un dysfonctionnement. Elle poursuit: «Vous ne savez pas si les autres vont vous suivre et vous soutenir. Parler des dysfonctionnements risque donc de se retourner contre vous. Nous vivons encore dans une culture très individualiste, chacun regarde pour soi et personne ne veut prendre un risque personnel pour le bien de l’organisation.»
 

Culture apprenante
Comme toujours avec les cultures d’entreprise, les changements prennent du temps. L’exemplarité de la direction générale est la première condition pour faire évoluer les mentalités. Fanny Bauer: «La personnalité du top management est déterminante. La direction doit être réceptive, impliquée et connaître la valeur de chacun. Il ou elle doit les soutenir et les valoriser. C’est ce qui est le plus important à mon sens. Prenez le temps de connaître la valeur de vos employés, leurs expériences et leur savoir-faire. Ne les confinez pas dans un cahier des charges trop rigide.»

Bernard Reber met le doigt sur une autre difficulté: «Trop souvent, le processus d’apprentissage par les erreurs se résume au triptyque: «plan – do – check». Cette méthode est trop sommaire. Il ne suffit pas d’identifier une erreur pour la corriger. Il faut aller plus loin, comprendre le contexte et les interactions qui ont permis l’erreur. » Il conseille de mettre en place des cycles d’apprentissage complets, des espaces sécurisés, dédiés à l’apprentissage par l’erreur, où chacun se donne le temps de bien comprendre ce qui s’est passé (voir à ce sujet les 5 phases de l’apprentissage selon David A. Kolb, référence ci-contre).

Les experts interrogés dans notre interview croisée (lire en page 20) insistent aussi sur ce point: établir un cadre – incarné par des valeurs d’entreprise telles que la confiance ou le respect – dans lequel l’erreur est tolérée. Ainsi, l’excellence opérationnelle et la performance ne sont pas contradictoires avec le droit à l’erreur. Les comportements déviants ou saboteurs (qui sortent du cadre) seront sanctionnés. Alors que les erreurs et les échecs commis dans ce cadre font partie du processus d’apprentissage.

Formations

 

DAS Résiliences dans les organisations – HEG Genève
«Le DAS Résiliences dans les Organisations se destine à tous les experts et gestionnaires intéressés à comprendre les mécanismes complexes qui influencent une entreprise dans sa capacité à pouvoir s’adapter à un environnement incertain, et plus particulièrement la manière dont le changement peut être accompagné de l’intérieur, au niveau de l’organisation elle-même et au niveau individuel. Il vise à doter les participants d’une flexibilité mentale supplémentaire leur permettant de soutenir leur entreprise et ses membres face à la complexité et à l’incertitude de leur environnement, dans une optique de long terme.»

Début de la formation: septembre 2019.
Lien: www.hesge.ch/heg/formation-continue/das/resiliences/

La thérapie sociale – Institut Rojzman
«La Thérapie Sociale est une approche transdisciplinaire, inventée par Charles Rojzman à la fin des années ‘80 et développée depuis plus de 10 ans par lui et ses associés Igor Rothenbühler et Nicole Rothenbühler. Elle a pour but de soigner la coopération entre les êtres humains afin de recréer de l’intelligence collective, retisser des liens entre des groupes et des milieux divisés ou isolés et renforcer la cohésion sociale et une vie collective démocratique. Elle permet de construire des pratiques collectives et des savoirs-être adaptés à une société diversifiée, fragmentée, compétitive où il devient toujours plus difficile de travailler et de vivre avec les autres.»

Prochaine session à l’Université de Fribourg: Les émotions dans la dynamique des groupes, lundi 4 novembre 2019.

Fuck Up Nights
Section Genève, lien: www.fuckupnights.com/geneva/

Atelier Découverte
Stucki Leadership & Team Development, vendredi 8 novembre 2019 dès 13h00. Grand Hôtel des Rasses, Route des Alpes 25, 1452 Les Rasses. Inscriptions: 024 423 83 83 ou www.stucki.ch/fr/offres/#atelier-decouverte. Entrée libre, places limitées.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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