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Une opportunité sans précédent

Depuis l’article de Keith H. Hammonds paru en 2005 dans Fast Company jusqu’aux contributions plus récentes de Ram Charam ou encore de Peter Cappelli – Professeur de Management à l’université de Warton, nous venons de vivre une décennie qui aura littéralement banalisé la défiance à l’encontre des Ressources Humaines, érigeant même la critique de la fonction comme une source étonnante de divertissement intellectuel.

Que cet «amour pour le désamour RH» ait un écho plus favorable outre-Atlantique qu’ailleurs dans le monde n’est pas anodin. Le pays d’où émergent les nouveaux vents organisationnels, de la baie de San Francisco jusqu’à Seattle, est aux premières loges pour constater qu’en dépit des bonnes intentions stratégiques affichées, les RH restent bien souvent reléguées à une fonction subalterne dans l’entreprise. En bout de chaîne des décisions, les RH se font le réceptacle du changement là où on pourrait attendre qu’elles en soient le catalyseur. Et c’est précisément là où le bât blesse: l’acteur théoriquement le mieux placé et le plus compétent pour impulser le renouvellement organisationnel est celui que l’on va solliciter... à la marge. Cette situation ne peut qu’interroger.

Avec recul, ce n’est pas tant à une crise de légitimité des RH à laquelle nous assistons mais plutôt à la cristallisation de ce paradoxe, devenu d’autant plus prégnant à l’ère de l’agilité. Tandis qu’émergent çà et là de nouvelles normes d’organisation du travail, la grande majorité des pratiques restent en effet ancrées dans des schémas hérités du passé: organisations hiérarchiques verticales, en silos, administrées par des nomenclatures de postes, épaulées par une carrière vendue et conçue comme un parcours ascensionnel vers les cieux de l’entreprise...

Le monde du travail qui se dessine sous nos yeux explose les codes et les frontières traditionnels des entreprises telles qu’elles se sont construites depuis les années 1970, ancrées sur une certaine idée du capital humain. Les nouveaux modèles organisationnels qui émergent autour des plateformes et du numérique imposent un lot inédit d’innovations dans le domaine RH: un travail pensé en équipe, collaboratif, où la progression et la contribution de chacun sont évaluées avec transparence, en favorisant l’autonomie et la responsabilisation individuelle. Davantage qu’une carrière, on vient y chercher un accès à de la formation, des services, de la flexibilité; la rémunération et le prestige ne sont plus des déterminants rois: le motto, c’est l’expérience.

Ces modèles ne sont pas seulement vécus comme plus attractifs, plus en phase avec l’univers digital: ils sont également plus contributeurs à la productivité de l’entreprise, moins coûteux et plus réactifs. En ce sens, ils représentent une menace importante qui n’épargne aucun secteur et les milieux économiques ne cessent de pointer la nécessité pour nos entreprises de changer... sauf à se faire «disrupter»!

Lors d’une conférence où intervenait Tibère Adler pour évoquer les grandes conclusions du rapport «Quand les robots arrivent» édité par Avenir Suisse, j’ai été conforté dans la conviction que l’adaptation aux nouvelles réalités du travail est devenue un impératif; face à nos voisins européens, nous nous transformons plus lentement et créons moins de gains de productivité. Un impératif mais également une opportunité sans précédent.

A la question du «qui», il me paraît évident que les organisations qui sauront le plus tirer parti des évolutions à venir seront celles qui auront conféré à leur RH la capacité d’orchestrer et de mener le changement. Il est grand temps de réinvestir les RH en entreprises, de dépasser le paradoxe!

 

commenter 0 commentaires HR Cosmos

Raphaël Bennour, ancien cadre RH d’une grande banque privée de la place genevoise, dirige le groupe CAVEA (en­ seignes Rhônalia et Vinograf, actives dans la distribution de vins et spiritueux haut de gamme) qu'il a co­créé en 2009. Consultant indépendant depuis 2016, il accompagne aussi les entreprises du secteur bancaire dans les défis actuels de la filière (digitalisation, marketing de l'offre, conduite du changement).

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