Formation

Faire carrière sans diplôme est plus facile dans les petites sociétés

Peut-on « faire carrière » sans diplôme supérieur, voire sans diplôme du tout ? Cette question était au cœur d’un débat qui s’est tenu sur la scène de la formation du dernier Salon du livre de Genève. Invité à s’exprimer aux côtés de Babette Keller, Christian Python et Blaise Matthey, le spécialiste du recrutement Frank Gerritzen revient sur les points forts de l’événement.

Quels sont selon vous les éléments les plus saillants qui sont ressortis du débat?

Tout d’abord, je relèverais l’aspect presque philosophique de ce débat. En effet, quelle est la définition de « réussir »? Sous cet angle-là, la réussite est un concept qui appartient à chacun de façon tellement individuelle et privée que personne ne peut en évaluer l’atteinte. Le deuxième point que j’ai trouvé très révélateur est que Mme Keller (ndlr : fondatrice de Keller Trading) a fait un apprentissage de vendeuse de chaussures. Donc peut-être faudrait-il requalifier le raisonnement: quelle est l’importance d’une formation en ligne et pertinente avec sa carrière future? Et là je suis catégorique: il vaut mieux étudier dans un domaine qui vous intéresse et se (re-)convertir après. On ne fait les choses avec passion - et bien! - que si on les aime. Il en va du travail comme des études. Le calcul du choix de la formation qui devra être valable pour les 40 prochaines années me semble non seulement futile mais irréaliste. Faisons quelque chose qui nous plaît et changeons après, cela permet de se donner des chances de rester motivé toute sa vie. Le troisième point est en totale contradiction avec mon second, ce qui a rendu le débat si riche d’ailleurs: il est des professions où il est inconcevable de n’avoir pas de formation (médecin, ingénieur, etc.) Ces professions, parmi d’autres, permettent une reconversion. Daniel Vasella était médecin et est devenu CEO d’une énorme entreprise en suivant des formations économiques, notamment un MBA. En conclusion, je dirais qu’il vaut mieux - et cela s’est confirmé dans ma pratique du recrutement - commencer avec une formation la plus pointue et technique possible pour après se reconvertir dans autre chose, l’inverse étant possible mais bien plus complexe.

Quelle est actuellement l’importance des embauches de personnes peu (ou pas) diplômées ?

Ce n’est pas le secteur qui est le différentiateur le plus pertinent de l’exigence faite à la formation par un employeur. C’est une conjugaison de deux éléments, la taille de l’entreprise et le niveau hiérarchique du poste. Une petite entreprise de négoce de matières premières sera prête à donner une chance à un jeune qui « en veut », sans diplôme. A condition bien sûr qu’il passe le cap du tri des CV, mais dans des petites entreprises, les portes d’accès aux décideurs sont plus facilement ouvertes. A l’inverse, sa concurrente multinationale a établi des règles sur les qualifications académiques et professionnelles de ses collaborateurs, et là aucune impression subjective ne pourra aller à l’encontre de ses exigences. Vous retrouvez ce clivage petite/moyenne/grande entreprise systématiquement. Heureusement que les Suisses travaillent en immense majorité dans des PME, ce qui donne des chances à tous ! Mais le professionnalisme reste de mise et si les petites entreprises donnent plus de chances aux non-diplômés, elles exigent aussi l’excellence de leurs collaborateurs, quitte à les renvoyer sur les bancs d’école. Et c’est tant mieux. Parallèlement, un niveau hiérarchique élevé dans une entreprise requiert souvent une formation qui justifie et confirme les responsabilités portées par la personne. Cette exigence est ici encore moins stricte dans des plus petites entreprises. Rappelons que Marcel Ospel - quoi qu’on pense de l’ancien directeur général d’UBS - avait commencé par un apprentissage bancaire. Pourtant, si l’on additionne les formations qu’il a suivies durant sa carrière, on parvient à des cumuls d’années et de compétences bien plus élevés que la plupart des universitaires. Ce qui est dommage c’est qu’aujourd’hui, ce genre de cursus - commencer par la formation la moins académique - rend l’accès aux plus hautes fonctions presque impossible.

Quels avantages présente le recrutement de personnes peu ou pas diplômées?

Si l’on donne une chance à des personnes non diplômées, il y a beaucoup moins de sentiment de valeur et de « dû ». La personne se sentira redevable de l’opportunité qui lui est offerte et en fera plus que la moyenne. Il est intéressant de se poser la question du pourquoi la personne n’a pas fait d’études, si cela est lié à une situation familiale et/ou financière complexe. Nous sommes souvent motivés par le défi. Mais pas toujours. Saviez-vous que le septuple médaillé d’or olympique aux Jeux de Munich, Mark Spitz, a commencé la natation parce qu’il était asthmatique et que son médecin a dit à ses parents que « la natation lui ferait du bien »? L’analogie est pertinente pour la formation : le hasard, ou plus souvent les circonstances, nous projette parfois dans une piscine et on se découvre excellent nageur. Les personnes avec peu de formation ont souvent un « complexe » lié à des circonstances familiales ou des difficultés d’apprentissage en milieu académique. Quand elles se révèlent compétentes dans un domaine, un monde s’ouvre, non seulement professionnel, mais aussi personnel: ambition, envie, joie de vivre. La spirale positive démarre!

Frank Gerritzen

Frank Gerritzen est partenaire de la société d’Executive Search Ganci & Partners, membre du Conseil d’adminsitration de Careerplus SA et président ad Interim de l’APRF (association des professionnels du recrutement fixe).

 

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Texte: hrtoday.ch
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