Débat

Faut-il compter les pauses cigarette dans le temps de travail?

Brigitte Herde, co-animatrice de la plate-forme Swonet (Swiss Women Network) estime que les pauses cigarette gaspillent du temps de travail. Ce qui n’est pas l’avis de Heike Anna Krüger, responsable RH par interim, qui ne voit aucun lien entre la présence sur la place de travail et la performance.

Pour: Brigitte Herde

Je suis fumeuse. Enfin, disons plutôt que je l’étais. Et oui, je fais partie de ces ex-fumeurs qui détestent l’odeur de la fumée. Je vous le dis sans détour pour que vous sachiez à qui vous avez à faire. Il y a 30 ans, lors d’une de mes premières missions professionnelles, on nous obligeait à timbrer lorsque nous partions fumer, téléphoner ou même boire un café. Le patron surveillait tout ça personnellement, avec un esprit pinailleur.

Le temps de travail porte bien son nom: c’est le temps consacré au travail. Quand un collaborateur s’octroie une pause cigarette, il réduit donc
son temps de travail. S’il le fait une fois par jour, cela représente
environ 4 minutes de perdues, en admettant que le trajet du bureau vers la sortie soit relativement court. S’il le fait quatre fois par jour, deux fois le matin et deux fois l’après-midi, cela représente 16 minutes par jour, soit 1 heure 20 par semaine. Sur une année, on arrive à 64 heures non-travaillées. Et cette estimation ne vaut même pas pour un gros fumeur.

L’époque où les collaborateurs pouvaient fumer à leur place de travail est révolue. Du coup, les fumeurs ou les fumeuses sont obligé-es de quitter leur bureau et donc d’interrompre leur travail. Vous avez sans doute déjà vu ces entreprises où un petit groupe de fumeurs campent devant la porte d’entrée? Mon exemple préféré est mon assureur. Chaque fois que je passe devant leur siège, ils sont là, agglutinés autour du cendrier. Et à chaque fois, cette pensée me traverse l’esprit: «N’ont-ils vraiment rien de mieux à faire?»  Evidemment, me diriez-vous, ces moments informels autour du cendrier sont des occasions de parler affaires. Mais je constate que le management est rarement au complet lors de ces «séances», ils doivent donc faire remonter le résultat de leurs discussions à chaque fois. Je ne vois par contre jamais les non-fumeurs. Peut-être qu’au même moment, ils sont à côté de la machine à café en train de débattre des meilleures stratégies business à mettre en place? Eux perdent donc aussi 16 minutes par jour avec leurs 4 tasses de café quotidiennes.

Les pauses cigarette réduisent le temps de travail et devraient donc ne pas être comptabilisées. Ou alors ce principe ne vaut que pour ma femme de ménage qui travaille à l’heure? Et qu’en est-il de la caissière au supermarché, qui ne peut tout simplement pas quitter sa place de travail? Ce serait donc des problèmes d’enfants gâtés? Peut-être. En ce qui me concerne, c’est avant tout une question d’équité.

PS. Le saviez-vous? Certaines entreprises suisses offrent une semaine de vacances à leurs employés non-fumeurs!

Contre: Heike Anna Krüger

Le timbrage pour comptabiliser les heures travaillées est une pratique de moins en moins répandue, à l’ère du travail 4.0, du Home Office, de la flexibilisation du temps de travail et du Work-Life Balance. D’autres indicateurs sont devenus bien plus parlants que la présence sur la place de travail, même si celle-ci est contrôlée de manière stricte. Bien sûr, certains métiers exigent d’être physiquement présent au bureau. Mais en règle générale, ces emplois ont des temps de pause clairement réglementés. Je vois mal un chirurgien interrompre une opération pour aller fumer une cigarette. Dans de nombreux emplois, l’enregistrement du temps de travail n’a aucun sens, il provoque même des désagréments. La confiance est bonne, le contrôle encore mieux? Voilà comment faire fuir vos talents, voire même de ne plus en trouver sur le marché du travail. Pourquoi ne pas mettre en place une culture d’entreprise basée sur la confiance et qui permet à vos collaborateurs de déployer tout leur potentiel? Quels profils de collaborateurs vont contribuer à votre succès? Les ronds de cuir ou les personnes avides de performance? Quand et comment vos collaborateurs donnent-ils le meilleur d’eux-mêmes? En Home Office, au bord du lac ou dans vos locaux? Vous avez sans doute déjà entendu que le temps de travail est aussi du temps de vie et que la tendance actuelle va vers plus d’entrepreneuriat. Pourquoi donc de si nombreuses entreprises continuent-elles à gérer leur personnel comme au siècle dernier? Pensent-elles vraiment que ces modes de gestion vont stimuler la productivité? Si vos collaborateurs sont démotivés et infantilisés – peu importe qu’ils soient fumeurs ou non –, s’ils traitent d’affaires privées au bureau, si leur performance laisse à désirer, vous devriez plutôt regarder du côté du management et des styles de leadership de votre entreprise. Une culture basée sur la confiance va stimuler la motivation et la performance de vos équipes et contribuer à une saine ambiance de travail. Où pensez-vous qu’un collaborateur performant souhaite-t-il travailler? Dans un environnement flexible, moderne et qui récompense la performance? Ou plutôt dans un cadre rigide et réglementé, où chaque collaborateur surveille les heures d’arrivée et de départ de ses collègues? Et ces modèles organisationnels concernent toutes les générations.

Les fumeurs sont-ils plus souvent en pause? Peut-être. Sont-ils moins performants? Rien n’est moins sûr. Ce qui compte, c’est de tenir les délais et de produire un travail de qualité. Simplement être présent sur sa place de travail n’est pas une garantie de succès. Pensez au présentéisme ... Au final, cela va dépendre de chacun: le Home Office n’est pas une solution pour tout le monde. Les mots clés sont: liberté de choix, confiance et responsabilité individuelle. Des collaborateurs émancipés, engagés et responsables ne profiteront pas de la liberté que vous leur accordez. Ils travailleront collectivement au succès de votre entreprise. Peu importe d’où ils travaillent et peu importe qu’ils soient fumeurs ou non.

traduit par mb

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Brigitte Herde est co-animatrice de la plate-forme Swonet (Swiss Women Network). Elle dirige aussi une école de cuisine végétalienne.

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Heike Anna Krüger est responsable RH par interim et directrice générale chez Open-Ployer GmbH, un prestataire de services RH globaux.

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