Un nouveau mode de fonctionnement

Les angles morts au moment de passer en mode matriciel

Depuis des décennies, les organisations multinationales sont passées du mode fonctionnel au mode matriciel. Les promesses de cette forme d’organisation sont-elles fondées? Quels sont les défis majeurs à relever? Ces principes sont-ils applicables aux PME?

La structure classique fonctionnelle (en silos/par départements), comporte des défis majeurs de leadership tels que le manque de communication inter-fonctions, les difficultés d’alignement des pratiques et le manque d’efficacité des processus globaux par exemple. Des recherches (voir notamment les travaux de Dave Ulrich) ont montré que les leaders, souvent chargés d’ego, ont besoin d’assoir leur leadership et leur style non seulement au sein de leur fonction, mais vis-àvis de leurs pairs (les autres membres du comité de direction). Ils défendent donc leur territoire et développent une «culture» et des pratiques spécifiques à leur département et à leur style. Les objectifs des collaborateurs ne sont ainsi pas alignés sur ceux des autres départements, ce qui rend les processus transversaux inefficaces. 
 
La structure matricielle définit des responsabilités selon plusieurs dimensions: région, marché, business units, fonction, processus ou standards. Il s’ensuit un comité de direction avec des responsabilités variées et transversales par rapport aux autres dimensions. L’objectif est que tous tirent à la même corde, mais sous des angles et avec des responsabilités opérationnelles différentes. On peut décomposer les activités de toute organisation en processus (de la commande à la livraison, du besoin au produit ou de l’incident à l’intervention par exemple). Ces processus font intervenir des personnes avec des compétences différentes, au sein de diverses fonctions et les inefficacités potentielles sont nombreuses. Le but est donc de devenir plus rentable et concurrentiel avec des responsabilités opérationnelles plus ciblées, des effectifs rationalisés (via des centres de services), des processus optimisés et des standards et pratiques alignés. 
 
Bien que ces objectifs soient légitimes, les structures matricielles rencontrent des défis majeurs liés au manque de clarté des responsabilités, au besoin accru de collaboration et aux managements des objectifs individuels. Le tableau ci-dessous résume les défis principaux des deux types d’organisations.
 

Deux exemples d’entreprises qui ont redistribués les rôles 

Prenons l’exemple d’un petit établissement bancaire de la région. Les défis en 2007 étaient liés au manque d’efficacité et de dynamique de certain processus, en particulier le manque de collaboration inter-service. Les collaborateurs faisaient ce qui était dans leur «cahier des charges», sans (vouloir) comprendre ce qui se passait à côté, avant ou après. Des «aller-retour » et du «bruit» se généraient ainsi dans les tâches quotidiennes et des tensions palpables se dégageaient de ce manque de collaboration. Le climat global en souffrait. La direction décide d’entreprendre une réorganisation et nomme des responsables produits et processus. Ils ont pour mission d’améliorer les standards, de former les collaborateurs et d’imposer des objectifs à toutes les personnes impliquée, ceci en collaboration avec le supérieur direct du collaborateur concerné. Les tâches et les objectifs de chacun sont donc définis, suivis et évalués par plusieurs personnes qui ont des responsabilités différentes. Ce changement a créé des groupes de travail transversaux, la génération d’idées nouvelles, une meilleure communication et un climat général plus sain. Cette banque est maintenant beaucoup plus performante, mais le défi pour la direction reste néanmoins de continuellement communiquer les décisions et les responsabilités pour leur mise en oeuvre. 
 
Autre exemple parlant. Une entreprise industrielle était organisée en silos, avec des fonctions classiques: vente, marketing, production, technique, finance, RH et communication. Bien qu’elle fonctionnait correctement du point de vue opérationnel, personne ne prenait la responsabilité lorsqu’un problème client survenait. L’opacité des responsabilités faisaient que les techniciens, en service chez les clients, ne pouvaient pas les renseigner sur des questions générales, et – pire encore – ne prenaient pas l’initiative de relayer les demandes à l’interne. Les clients avaient plusieurs interlocuteurs et les contradictions allaient bon train. La société décide alors d’introduire des processus transversaux et de nommer des cadres supérieurs en charge de ces processus. Ces Key Account Managers (KAM) sont responsables de tout le processus allant de l’analyse des besoins à la livraison des produits/ services. Toute la relation client transite par eux et c’est à eux de gérer les actions à entreprendre pour répondre au mieux aux demandes. Il/elle a la légitimité de demander à un technicien, un logisticien, quelqu’un de la finance ou du service client d’intervenir selon les priorités qu’il/elle a défini. Ceci peut créer des conflits avec les cadres responsables de fonction, notamment en termes Les organisations matricielles génèrent par contre plus de pression pour les collaborateurs qui répondent aux exigences, parfois contradictoires, de plusieurs managers.» Laurent Jaquenoud de planning et de traitement des priorités. Mais le client étant «roi», le Key Account Manager a plus de poids aujourd’hui que le directeur de fonction. Ce changement a généré des résultats fulgurants en termes de loyauté des clients, pour qui les demandes sont priorisées, organisées et exécutées de manière optimale. La gestion interne nécessite par contre plus de collaboration, par exemple des réunions fréquentes organisées par le Key Account Manager et incluant un collaborateur de chaque fonction pour échanger et prioriser les actions à réaliser pour le client. La gestion de la performance est aussi plus complexe car les Key Account Managers doivent intervenir en termes de définition des objectifs et des évaluations. Les directeurs de fonction ne sont donc plus à même d’évaluer toutes les tâches des collaborateurs. Le risque de confusion est grand et doit être maitrisé. 
 

Vers une plus grande diversification des responsabilités 

Les organisations évoluent de plus en plus vers cette diversification des responsabilités selon plusieurs axes, répondant à la fois aux besoins opérationnels, de performance et de compétitivité. Il n’est plus rare de trouver des collaborateurs qui rapportent à plusieurs cadres supérieurs pour des dimensions différentes. Au sein de certaines fonctions, les RH notamment, les centres de compétences et de services doivent collaborer avec des HR Business Partner, plus proches du client interne. Cette diversification a un sens pour tout type d’entreprise (PME comprise), car elle permet d’optimiser les activités selon plusieurs axes, avec le but ultime d’être plus performant. Elles génèrent par contre plus de pression pour les collaborateurs qui répondent aux exigences, parfois contradictoires, de plusieurs managers. Elles sont aussi plus complexes à gérer en termes de clarté des responsabilités et nécessitent, par rapport aux organisations classiques, plus de communication et un style de management collaboratif à tout niveau.
 
3 enjeux clés des organisations en silos3 enjeux clés des organisations matricielles
  1. Manque de communication et de collaboration inter-département.
  2. Inefficacité des processus transversaux.
  3. Manque d’alignement des pratiques et des styles.
  1. Clarté et gestion des rôles et responsabilités(qui est en charge de quoi?).
  2. Conflit d’intérêt au niveau du leadership.
  3. Définition et gestion des objectifs individuels.

 

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Laurent Jaquenoud est associé chez Optimis (www.optimis.ch) et bénéficie de plus de vingt ans d’expérience dans des structures internationales. Sur la base de diagnostiques analytiques RH, il conseille les organisations sur les stratégies, structures, processus et systèmes RH à mettre en place afin d’optimiser la performance organisationnelle. Il forme par ailleurs les cadres pour leur mise en application.

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