Droit et travail

Les limites à ne pas franchir au moment de dresser le profil d’un collaborateur

Lors d’entretiens d’embauche ou d’évaluations, le management et les responsables RH cherchent à obtenir plusieurs informations pour se faire une image fiable du collaborateur qui est en face d’eux. La loi fédérale sur la protection des données et le Code des obligations imposent plusieurs limites qui sont souvent difficiles à respecter dans la pratique. 

Le responsable RH d’une entreprise peut-il lors de l’entretien d’embauche poser des questions à une candidate sur son style de vie et en particulier les détails de sa vie intime et amoureuse (existence d’une relation, moyens de contraception utilisés)? 

Dans une affaire qui lui a été soumise en 2008, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de répondre clairement par la négative à cette question en rappelant que les dispositions légales sur le contrat de travail interdisent à l’employeur, avant d’engager un candidat, de lui poser des questions qui n’ont pas trait au poste de travail ou à l’activité à exercer et qui portent atteinte à sa sphère privée. 

Selon le Tribunal fédéral, sont par exemple inadmissibles, sauf cas particulier, «des questions relatives à une éventuelle séropositivité, aux opinions politiques, à la volonté future d’une femme d’avoir des enfants, à la situation familiale, au cercle d’amis et de fréquentations du candidat ou à ses tendances sexuelles» (voir arrêt du Tribunal fédéral du 30 juin 2008 en la cause 2C_103/2008, considérant 6.2). 

Chaque employeur traite nécessairement de données concernant ses employés (et postulants) car il est en possession de nombreuses informations les concernant: formation, expérience professionnelle, aptitude au travail, coordonnées personnelles, bancaires, etc. 

La loi sur la protection des données et le Code des obligations protègent la personnalité des employés contre tout traitement illicite de ces données. En principe, l’employeur ne peut traiter que les informations qui portent sur les aptitudes du travailleur à remplir son emploi ou qui sont nécessaires à l’exécution du contrat de travail. 

Il incombe à l’employeur de veiller à ce que les dispositions sur la protection des données soient respectées. Cette règle s’applique également lorsque le traitement des données est confié à un tiers (outsourcing). 

La législation sur la protection des données est plutôt sommaire et souvent mal connue. Il est conseillé de se référer aux nombreuses notices et explications émises par le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence que l’on peut d’ailleurs consulter sur le site web du Préposé (www.edoeb.admin.ch). 

Les membres des services RH seront particulièrement intéressés par le «Guide pour le traitement des données personnelles dans le secteur du travail. Traitement par des personnes privées», version d’août 2009, qui fait un tour d’horizon des questions de protection des données sur le lieu de travail. Il faut savoir que la protection du travailleur existe dès l’entretien d’embauche et qu’elle se poursuit même, dans certaines limites, après la fin des rapports de travail. Le champ d’application des règles en la matière est donc très vaste. 

Ainsi, par exemple, lors de la procédure de recrutement, un candidat ne peut être soumis à un test sans son accord. Les tests doivent fournir des résultats objectifs et fiables. Selon le Préposé, «les tests tels que des analyses graphologiques, les tests d’aptitudes psychologiques, les appréciations faites par des centres d’évaluation (assessment center), les tests de personnalité ou les questionnaires biologiques ne sont autorisés que s’ils servent le but poursuivi et sont conduits et analysés par des professionnels» (cf. Guide du Préposé précité, N 3.1.3). 

Enfin, les candidats doivent avoir accès aux résultats de leurs tests. Par ailleurs, la loi donne à l’employé un droit d’accès à son dossier personnel. La demande du travailleur doit être faite en la forme écrite. Il a, en principe, le droit de recevoir gratuitement des copies de son dossier. L’employeur peut cependant refuser la communication de certains documents comme les notes établies à des fins personnelles ou les informations qui concernent des procédures judiciaires en cours.

Les limites strictes de la surveillance à l’aide de caméras

On peut également relever que les règles sur la protection des données restreignent le droit de l’employeur de surveiller ses emloyés. Les mesures de surveillance doivent être objectivement justifiées par un intérêt légitime prépondérant de l’employeur. Ce dernier doit informer les travailleurs de l’existence du système de surveillance et de ses modalités d’utilisation. 

La législation sur le travail prohibe l’utilisation de systèmes de surveillance destinés à contrôler le comportement des travailleurs à leur poste de travail par des moyens techniques d’enregistrement, comme par exemple des caméras. De tels systèmes sont toutefois admis lorsque d’autres raisons les rendent nécessaires (sécurité par exemple). Ils doivent alors être mis en œuvre de manière à ne pas porter atteinte à la santé et à la liberté de mouvement des employés. 

On indiquera, enfin, que l’employeur potentiel n’est pas autorisé à prendre des renseignements auprès de précédents employeurs sans le consentement du candidat. L’indication d’un employeur comme référence dans le dossier de candidature vaut évidemment consentement du candidat. Inversement, les anciens employeurs ne peuvent donner de renseignements à des tiers sans l’autorisation de l’employé. 

Il existe une assez large différence entre les prescriptions légales et la pratique des entreprises. Il faut dire que les règles sur la protection des données ne sont pas toujours faciles à maîtriser et à mettre en œuvre. 

Pourtant, l’employeur s’expose à des actions en interdiction du traitement des données ou de la communication à des tiers, ainsi qu’à la rectification ou à la destruction de données inexactes ou illicites. Dans certains cas, l’employeur peut même être condamné à payer des dommages-intérêts ou une réparation morale à l’employé victime d’un traitement non conforme au droit.

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Jean-Philippe Dunand est avocat, docteur en droit et professeur de droit du travail à la Faculté de droit de l’Université de Neuchâtel. Il est également co-directeur du Centre d’étude des relations de travail. cf. www.unine.ch/cert
 
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