Créer une dynamique collective

Mobiliser l'intelligence collective: le défi de la mise en oeuvre

Comment développer un management participatif des performances collectives? Conseils pratiques.

Toute organisation se doit de garder son cap: accomplir sa raison d’être et ses missions, réaliser sa stratégie, en direction de sa vision, tout en s’adaptant, de manière agile, à son environnement changeant. Dans un tel contexte exigeant, elle cherche à obtenir des résultats à la hauteur de son ambition. La question est: comment obtenir ces résultats? Qu’est-ce qui fait la qualité des performances de l’organisation du point de vue de la gestion des ressources humaines?

La nature du travail de plus en plus complexe rend souvent nécessaire un travail en équipe: il devient rarement possible de réaliser individuellement l’entier d’une tâche ou d’assumer seul·e l’entier d’une responsabilité. L’organisation a besoin alors d’équipes performantes, des équipes au sein desquelles chacun·e échange avec ses collègues les informations nécessaires à la réussite collective, où des relations de coopération véritables s’établissent et où la créativité peut s’exprimer et être mise à profit. Il s’agit donc de mettre en œuvre un management qui va développer les conditions d’une bonne coopération (et non de la compétition au sein du personnel) et gérer les performances collectives.

Par ailleurs, l’organisation devant évoluer et s’adapter en permanence à de nouvelles contraintes, elle a besoin d’un processus vivant d’amélioration continue et d’être à même de gérer le changement de manière agile, fluide et sereine. Or le constat est que, bien souvent, les responsables ne pensent pas ou n’arrivent pas à demander aux personnes concernées leurs propositions pour améliorer les performances et s’adapter. Pourtant, ce sont les personnes confrontées aux problèmes qui ont les solutions! Il s’agit donc de mettre en place un processus participatif de management.

Autrement dit, pour être à même d’atteindre de manière durable les performances attendues, l’organisation doit développer et mettre en œuvre un management participatif des performances collectives.

Origine de notre réflexion

Ces différentes réflexions nous ont poussé à entreprendre une recherche qui a mis en exergue les nombreux avantages de la gestion de la performance collective: cohésion et esprit d’équipe, entraide, partage des compétences, engagement et participation au travail (1).

Forts de ces résultats encourageants, nous avons développé et mis en œuvre, avec une équipe de la HEIG-VD, une méthode de management participatif des performances collectives, dès 2015 (2).

Après près de 10 années de mise en œuvre et d’amélioration continue dans 25 organisations en Suisse romande, nous sommes en mesure de présenter une méthode rodée et efficiente.

La méthode

La méthode du management participatif des performances collectives repose sur les quatre étapes du processus du management des performances (Emery & Gonin, 2009). Elle se décline sur les plans collectif et individuel.

Sur le plan collectif

1. Décrire les attentes

La première étape consiste en la description de la raison d’être et des missions, ainsi que de la vision, de l’organisation et de chacune de ses équipes. Après un premier cycle d’évaluation des performances, des objectifs collectifs viendront compléter les attentes vis-à-vis des équipes.

2. Optimiser le fonctionnement et la conduite

Les équipes et leurs responsables échangent régulièrement et fréquemment, tout au long de l’année, sur les performances, les objectifs collectifs et les difficultés rencontrées, en vue d’effectuer les ajustements nécessaires. Ce suivi des performances et des objectifs collectifs peut prendre diverses formes: moment spécifique à l’intérieur d’une réunion habituelle d’équipe, ou séance spécifique, à une fréquence opportune (hebdomadaire, mensuelle, ou trimestrielle), à l’aide par exemple de tableaux de management visuel.

3. Évaluer les performances

L’évaluation des performances collectives, colonne vertébrale du système, est réalisée en principe une fois par an et est composée de deux principales étapes:

  • une séance d’auto-évaluation des équipes, animée par un·e porte-parole (de l’équipe et formé·e pour ce rôle);
  • une séance d’appréciation des performances collectives, conduite par le ou la responsable d’équipe.

Le système de l’évaluation collective est composé:

  • du bilan de la période écoulée: évaluation de la réalisation de la raison d’être et des missions de l’équipe ainsi que des objectifs collectifs, de la satisfaction de l’équipe sur sa propre dynamique (entraide, collaboration, circulation des informations, feed-back, etc., en référence, en particulier, à une Charte de communication préalablement rédigée), et de la satisfaction de l’équipe sur le management (en référence aux Principes de management de l’organisation, par exemple: clarté des missions et des objectifs, communication, feed-back réguliers, reconnaissance, etc.);
  • de l’évaluation des besoins en développement de l’équipe (formation, accompagnement sur la place de travail);
  • des propositions en vue de l’amélioration de la réalisation des missions et du fonctionnement de l’équipe ainsi que de l’organisation.

4. Reconnaître les performances

La dernière étape consiste à synthétiser les évaluations et propositions des cadres et des équipes de manière à choisir et prioriser les mesures et projets à mettre en œuvre lors de la prochaine période: c’est la source des futurs objectifs collectifs pour l’équipe et l’organisation, correspondant à la première étape du cycle suivant. C’est aussi l’occasion de définir les reconnaissances et ajustements appropriés.

Sur le plan individuel

Il s’agit de garder un management individuel pour donner de la reconnaissance et favoriser le développement personnel. Il est aussi parfois nécessaire d’effectuer un recadrage en cas de dysfonctionnement et de gérer le «passager clandestin», à savoir la personne qui bénéficie d’un avantage résultant d’un effort collectif de l’équipe, tout en y contribuant peu ou pas du tout.

Dès lors, comment manager l’individu? Partant de l’idée qu’un bon management est un management qui, après avoir précisé les attentes, donne des feedbacks constructifs, fréquemment et régulièrement, sans attendre un éventuel entretien annuel d’appréciation, nous préconisons un management et un système d’évaluation fréquent, simple et flexible.

Ainsi, le système de management individuel est composé:

  • d’attentes précisées sous une forme ou une autre: description de poste, objectifs individuels, etc.;
  • de feedbacks réguliers sur le travail et les compétences attendues donnés tout au long de l’année, de manière informelle. En outre, chaque fois que se produisent des faits significatifs, positifs ou problématiques, un entretien est réalisé dans lequel un formulaire (léger) «feedback individuel» peut être rempli;
  • d’un entretien individuel de développement, à une périodicité à définir (par exemple tous les 2 à 3 ans) et qui porte sur les éléments suivants: la satisfaction du collaborateur ou de la collaboratrice par rapport à son poste, les domaines d’intérêt particulier, les souhaits de développement des compétences ou d’évolution, et les apports du/de la responsable sur les développements organisationnels futurs et/ou le potentiel d’évolution du collaborateur ou de la collaboratrice.

Le traditionnel entretien annuel d’appréciation, qui est souvent vécu comme alibi et qui ne fait plus sens dans bien des circonstances, est ainsi remplacé par un dispositif plus léger et plus en lien avec l’activité réelle ainsi que les besoins du personnel et, finalement, de l’organisation.

Bilan de la mise en œuvre

Les expériences réalisées dans diverses organisations démontrent que les avantages de cette méthode se réalisent concrètement.

Nous constatons que la méthode permet de remettre la raison d’être et les missions au centre des réflexions et ainsi redonner du sens, ce qui est source de motivation et qui correspond à une demande fréquente du personnel, en particulier des jeunes générations.

La méthode favorise la réalisation d’excellentes performances en responsabilisant l’ensemble des acteurs considérés comme des acteurs clés de la qualité des prestations: en effet, les équipes règlent plus facilement les problèmes d’elles-mêmes et les cadres sont moins sollicités. Elle permet de gérer la performance organisationnelle. En outre, elle développe et exploite l’intelligence collective au service du développement des compétences collectives et de l’atteinte d’objectifs communs.

Grâce aux séances d’auto-évaluation et d’évaluation collective puis de suivi des objectifs collectifs, la méthode permet de favoriser la communication et la cohésion au sein des équipes.

En outre, les conditions nécessaires à la coopération sont développées (Le Boterf, 2018) :

  • pour assurer le savoir-coopérer: en construisant de manière progressive et permanente des représentations partagées, pour favoriser la convergence des référentiels individuels vers un référentiel commun;

  • pour rendre possible le pouvoir-coopérer: en mettant en place des règles explicites de fonctionnement, en organisant une réelle délégation de pouvoir (empowerment) aux équipes pour fixer leurs objectifs et s’organiser en conséquence;

  • pour faciliter le vouloir-coopérer: en réalisant une évaluation portant sur des objectifs collectifs, et en mettant en place des mesures d’encouragement fondées sur les performances obtenues autour de ces objectifs collectifs;

  • pour faire progresser les façons de coopérer: en mettant en place des retours d’expérience sur la coopération.

La méthode permet aussi, grâce à une communication vivifiée et des relations dynamisées, de faire émerger des idées, de les confronter et de les faire fructifier dans une optique d’amélioration continue, d’adaptation ou d’innovation. Elle crée des espaces de dialogue sur le travail qui ont pour vocation de construire une cohérence collective, de produire l’ensemble des règles communes permettant de résoudre les situations non-prévues par le travail prescrit (Detchessahar, 2019). Le personnel est dès lors directement impliqué dans un processus motivant d’amélioration continue, ce qui n’était pas forcément le cas jusque-là.

En outre, cette méthode amène les collaboratrices et les collaborateurs à prendre la parole, à adopter une position réflexive, à utiliser un cadre de référence (missions de l’équipe, principes de management, etc.) pour procéder à une évaluation, à se positionner. Les personnes, en particulier celles qui sont peu formées, développent ainsi des compétences personnelles d’expression et de positionnement. Elles ont la possibilité de devenir «acteurs», avec une influence sur leur travail et leur organisation. Ce nouveau rapport au travail peut être un modèle pour un positionnement différent et plus riche vis-à-vis de soi, des autres, au sein de son cadre familial et de la société. En ce sens, c’est un projet sociétal, d’une démocratie!

Enfin, possédant toutes les propriétés propres aux organisations qualifiantes et en apprentissage permanent, la méthode permet, au gré des questionnements qui ont progressivement lieu autour des instances et processus décisionnels, de servir de socle à une évolution naturelle vers une gouvernance partagée centrée sur la raison d’être et le sens de l’activité.

En conclusion, il est possible de développer des pratiques de gestion des ressources humaines favorisant la reconnaissance et la motivation intrinsèque des collaboratrices et collaborateurs, leur permettant de développer leur implication et leur coopération, tout en appliquant un processus cohérent de management des performances, qui fasse sens par rapport à la réalité du terrain. Que vouloir de plus à l’heure où tant d’organisations cherchent à renforcer leur attractivité?

État des réflexions

Outre l’amélioration continue de la méthode décrite ci-dessus, nos réflexions actuelles se poursuivent autour de deux axes:

  • adaptation de la méthode pour intégrer des auto-évaluations de groupes de projet (mandat donné par une entreprise de construction) ou pour des équipes semi-autonomes (dans divers contextes);
  • conception, en collaboration avec la HEIG-VD grâce à un chèque d’innovation d’Innosuisse, d’un cadre de référence identifiant toutes les possibilités pour reconnaître et récompenser de manière monétaire et non-monétaire les performances collectives suite à l’évaluation formelle de celles-ci.

(1) voir l’article paru dans la revue Gestion, en décembre 2016 (volume 41, no 4, hiver 2017).

(2) voir l’article paru dans la revue HR Today en janvier 2018 (1/2018).

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François Gonin

François Gonin est consultant en développement humain et organisationnel, professeur HES honoraire.

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