La chronique

Farces et misères du recrutement

Les experts de tout bord s'accordent à reconnaître l'importance stratégique du recrutement. Engager des collaborateurs, c'est changer le visage de l'organisation, disent-ils. Mais par-delà ces banalités pesantes, arrivons-nous encore à porter un regard aiguisé sur cette thématique? 

Si l'on épouse le point de vue du candidat, force est de reconnaître que le recrutement s'apparente à un véritable parcours du combattant: des semaines entières s'écoulent parfois entre le dépôt du dossier et le verdict final; entre-temps, une absence crasse d'informations sur le déroulement du processus termine d'achever les candidats les plus anxieux; les cahiers des charges sont fréquemment délirants (leadership stratégique et résilience exigés); sans compter parfois la difficulté réelle d'obtenir des informations sur l'entreprise (notre rapport annuel devrait sortir dans deux mois; notre site internet est en construction); enfin, quand des décisions tombent, elles sont fréquemment emballées dans des formules de politesse qui ne trompent personne (votre portefeuille de compétences ne cadre pas complètement avec les exigences de la fonction). 

Quand par mystère le candidat est convoqué à un entretien d'embauche, l'ordre du jour ne lui est évidemment pas communiqué, ni les personnes qui seront présentes à l'entretien, encore moins leur rôle respectif. Ce serait trop facile, n'est-ce pas? Cela lui permettrait de se préparer. 

Les recruteurs, forts de leur position hiérarchique ou peut-être de leur arrogance, oublient parfois qu'eux aussi doivent se préparer à l'entretien d'embauche dont ils sont le garant. Là encore, combien de minutes sont-elles nécessaires à ces supermans du métier: une ou deux. Mettons trois pour les plus consciencieux: qui n'a jamais observé son DRH dans l'ascenseur examinant fébrilement le dossier du candidat tout en se rendant à l'entretien? Remarquez, il y a aussi le recruteur très préparé - terrifiant - qui, lui, ne quitte pas des yeux sa liste de 53 questions, cochant scolairement tous les items du formulaire. Plus récemment, les Dr Freud apparaissent également au rendez-vous. Eux, ce sont les candidats qu'ils ne quittent pas des yeux, appuyant leur diagnostic sur des tests psychométriques («vous nous apparaissez légèrement introverti, intuitif, rationnel et structuré»). Enfin, méfiez-vous, car il y a encore quelques poètes dans la profession qui persistent à croire que le test de Rorschach ou la grapho-astro-numérologie sont des instruments de recrutement adéquats. Le fantôme des adeptes de la physiognomonie hante encore les couloirs. La Faculté va-t-elle se décider un jour à les enfermer? Subsidiairement, que fait la police? 

Si l'on épouse le point de vue du recruteur, la situation n'est guère plus réjouissante. Les candidats sont rarement préparés. La majorité n'a pas trouvé le temps de se renseigner sur le poste convoité. Leurs CV sont standardisés. Les normes européennes rajoutent à mon sens une couche de confusion. Certains ont une conception éthologique de l'entretien et sont capables de rester bouche bée - bel effort - 45 minutes devant le recruteur comme le frêle oiseau hypnotisé par le serpent. Beaucoup peinent à parler naturellement de leur parcours, de leurs forces et de leurs limites, de leur plaisir au travail aussi. La majorité ne prend aucune note manuscrite lorsque l'employeur potentiel raconte, explique, décrit le poste. Très frustrant. A la très originale question: «Pourquoi souhaitez-vous venir travailler chez nous?», certains osent des réponses surréalistes (parce que j'habite à cinq minutes de vos bureaux). 

Cher recruteurs, chers recrutés, à l'aube de l'été qui s'annonce, une question brûlante se pose: quand cette farce cessera-t-elle? Autrement dit, comment redonner des lettres de noblesse à ce processus? Trois mots-clés peuvent ici nous sauver: restaurons la Passion, car chercher un job ne devrait pas être une punition; misons sur la Professionnalisation, car un engagement reste un workflow complexe; insistons enfin sur la Préparation, car le succès des uns et des autres réside principalement dans cette vertu. 

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Stéphane Haefliger est psychosociologue de formation, membre de direction du cabinet Vicario Consulting et chargé de cours régulier dans les universités romandes. Il est également l’auteur de: DRH et Manager, levez-vous! Vie et mort des organisations, Editions EMS, Paris, 2017.

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