Conseils pratiques

L'art de développer sa plasticité subjective dans le travail 4.0

Voici les résultats d'une recherche clinique RH embarquée dans le secteur de la micro-électronique et qui vise à mieux cerner les enjeux de gestion des ressources humaines d'une (r)évolution 4.0 certes technique, mais aussi systémique et interactionnelle.

Répondre aux enjeux d’excellence de fabrication est la promesse de l’automatisation 4.0, permettant de produire des séries personnalisées aux coûts de la production de masse. Cette transformation vers l’industrie du futur engendre des situations de travail complexes, dues à des processus de fabrication difficiles à maîtriser dans leur intégralité, un accès à distance et en temps réel à un flux de data protéiforme et à des prescriptions parfois contradictoires. Ce processus 4.0, jugé par certains comme «la fin de la prod pure et dure» (1), déplace le travail et en modifie le milieu et le contenu des métiers. Changement technologique pas comme les autres, il semble mobiliser paradoxalement, davantage de compétences plus personnelles dans un univers toujours plus informatisé.

Le rôle de la GRH

Comment la GRH peut-elle s’emparer d’une (r)évolution certes technique mais plus interactionnelle qu’il n’y paraît? Trier, analyser cette abondance de données ne va pas de soi ni «sans soi» (Clot, 1995). La prise de décision rendue plus complexe donne lieu à des arbitrages permanents entre productivité, qualité et état personnel. La focalisation sur les data multipliant les causes de dysfonctionnement, génère plus d’interactions entre les Hommes. Cette exposition à la transformation 4.0 impose de passer du «développement cognitif au développement des régulations subjectives» (Clot, 2010).

Mobilisation d’aptitudes non techniques

De quoi parle-t-on exactement? La subjectivité au travail souvent mal saisie, éradiquée voire instrumentée ne peut déployer ses promesses en termes de «pouvoir d’action». Selon Clot, la prise de décision repose sur la capacité de savoir mettre «une fonction au service d’une autre: ses émotions au service de sa pensée et inversement». Développer sa «plasticité subjective ou fonctionnelle» relevant d’un processus psychosocial, nécessite la mobilisation créative d’aptitudes «non techniques»: conatives (passage à l’acte), sociales (coopération, communication) et personnelles (créativité, posture apprenante).

L’enjeu est donc de démontrer qu’une organisation peut et doit se saisir de la subjectivité au travail par sa capacitance (2) en tant que moteur du pouvoir d’action individuel. Comment opérationnaliser ces apports théoriques vérifiés sur un terrain de recherche?

  • Co-analyser et reconnaître les compétences mobilisées en situation
  • Organiser des espace-temps dédiés pour croiser les regards sur le travail et enrichir la créativité

  • Développer la capacité à élaborer le travail (réflexivité)

  • Revisiter les critères de performance par l’évaluation des moyens mis en œuvre pour atteindre les résultats

  • Former à la prise de décisions en environnement complexe

Lancement du programme The Core Capabilities (Les 6C)

En complémentarité, un programme de formation (initiale/continue) s’appuyant sur le développement de l’intelligence au service du gouvernement des affects dans la prise de décision, a été élaboré en coopération avec Nathalie Ayet, psychologue du travail. En alignement avec les recommandations de l’OMS (1993), l’UNESCO (2016) et le WEF (2020), les compétences visées se veulent dépassent le concept de «softskills» qui dans la littérature relève de qualités innées et peu mesurables. Socle d’aptitudes de base acquérables et évaluables (réalisation d’un portfolio), ce programme a fait l’objet de 3 expérimentations (UGA INP et HEG), est un kit de survie en environnement 4.0 composé de 6 méta-compétences (voir le graphique).

(1) Verbatim issus de propos recueilli lors de la phase exploratoire sur le terrain
(2) Le concept d’organisation capacitante (Coutarel & Petit, 2013 ; Falzon, 2013) : ensemble des règles qui, visant à organiser le travail, la production l’établissement ou son environnement, per- mettent le développement des capabilités des personnes. Ce type d’organisation possède trois critères liés à son fonctionnement: l’organisation offre la possibilité de modifier les règles qui la compose, elle met en place des dispositifs d’échange et de débat sur le travail réel et enfin, elle permet l’émergence d’un collectif de travail (Arnoud, 2013)

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Univ. Grenoble Alpes, Grenoble INP, CERAG.

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