La chronique

L'ère de l'équilibre

Dernièrement, j’ai reçu un jeune enseignant – il avait à peine 30 ans – pour un poste ouvert parmi mon équipe pédagogique. Son profil était passionnant, il avait fait de brillantes études, parcouru certains lieux reculés du monde et se consacrait à des passions réjouissantes et riches telles que le jardinage, le dessin et l’apiculture. Un profil idéal pour une entreprise comme la mienne.

Lors de l’entretien, je découvre que ce collaborateur n’a pas envie de travailler à plein temps, loin de là. Il a même des contraintes serrées pour les jours durant lesquels il est d’accord de travailler, et il me laisse entendre qu’il aura sûrement des envies de bouger d’ici quelques années. Bref, si je l’engage dans notre équipe, je devrai composer avec ses attentes d’emploi du temps restrictives, et je saurai qu’il y a peu de chances qu’il reste avec nous sur le long terme.

Ce cas n’est pas isolé. Quand je reçois de futurs collaborateurs pour des postes d’enseignants, plus un seul n’a envie de travailler à temps plein. Cela fait déjà une dizaine d’années que je remarque des signes qui vont en ce sens. Certains ne veulent surtout pas mettre de côté une passion et souhaitent la nourrir et l’exercer même durant les jours traditionnellement dédiés au «travail». Ceux qui ont des enfants veulent passer du temps avec eux durant la semaine.

Je comprends parfaitement leurs souhaits et je pense qu’ils sont dans le juste. La vie délirante d’activité professionnelle que nous avons pu connaître où tout était centré uniquement sur le travail est une fabrique de maux de l’esprit et du corps.

Si je discute un peu plus avec ces jeunes collaborateurs, je vois des gens ouverts, qui pensent plus large que leur travail stricto sensu, et qui apportent des petits plus dans la vie de l’équipe et dans l’ouvrage collectif.

Certes il est compliqué de prévoir une séance plénière, parce que tous ont un emploi du temps très chargé hors de leur temps de travail. C’est un véritable casse-tête de trouver une soirée ou un samedi matin pour caler une formation ou une réunion pour échanger sur un sujet important. Cela demande une très grande flexibilité, en tant que manager, et beaucoup de force de conviction.

Cette quasi-généralisation, chez les moins de 35 ans, de refuser un emploi qui empiète trop sur la vie personnelle, est à mon sens une bonne nouvelle. Elle va apporter à nos structures de la créativité, de l’ouverture vers le monde, des idées enrichies par ce que les collaborateurs vont avoir le temps de découvrir hors de leur temps de travail. Elle peut aussi réduire le ras-le-bol, la fatigue et les risques de burn-out. Pour moi, des collaborateurs qui vont bien sont des collaborateurs qui travaillent bien.

Sur le plan de sa créativité, les activités hors de son temps de travail vont le nourrir intellectuellement, émotionnellement et socialement. Sur le plan de son réseau, cette ouverture lui permet de créer des liens avec les gens hors du travail, et parfois d’en faire bénéficier l’entreprise. Sur le plan personnel, le collaborateur va s’épanouir de manière plus équilibrée, sans se sentir frustré.

Ce choix vertueux nous pose, à nous managers ou chefs d’entreprise, de vrais défis: d’abord, la gestion des plannings de nos équipes devient encore plus ardue. Ensuite, où et comment poser une limite à un collaborateur qui va peut-être vouloir toujours plus d’aménagements au nom de son épanouissement? Enfin, et pas le moindre, cette demande de moins travailler n’est pas toujours en cohérence avec les exigences salariales du collaborateur! Et là, il y a un gros travail à mener ensemble, entre RH et employés.

Au final, si travailler moins au sein de l’entreprise épanouit et peut apporter un vrai plus à l’employeur dans la qualité de la collaboration du salarié, les effets pervers peuvent être vite visibles. Un vrai sujet qui doit être débattu ouvertement lors des entretiens d’embauche... et après.

commenter 0 commentaires HR Cosmos
EMK

Ève-Marie Klima a fondé l’École Germaine de Staël en 2009, en créant une pédagogique unique pour les enfants HPI ou hautement sensibles. Elle dirige l’école et gère l’entreprise depuis 15 ans, dont elle est unique actionnaire. Après une formation de juriste et d’avocate en Officialité, Ève-Marie s’est tournée vers l’entrepreneuriat pluriel. Elle a aussi fondé en 2020 la société LoveMakesHomes qui développe la rénovation bio-sourcée et durable de bâtiments anciens. Sa passion est de donner la place, au travers de ses entreprises, à une société plus humaine, plus durable et plus harmonieuse, qui valorise et respecte la différence de chacun.

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