Enquête

Les affres du travail sur appel

Très commode pour l’employeur, le travail sur appel se généralise. Il est pourtant souvent synonyme de précarité pour l’employé, dénoncent les associations syndicales. La situation n'est cependant pas prête de changer de changer.

Flexibilité de l’emploi. L’expression est dans l’ère du temps. Avec ses contrats dits «à zéro heure», le travail sur appel sonne doux aux oreilles des employeurs. Dans sa forme la plus sauvage, il suppose une disponibilité quasi permanente du principal intéressé et impose un paiement par forfait, sans considération des heures effectives. De fait, ces contrats sont synonymes de précarité. C’est ce que dénonce depuis 2016 l’Alliance contre la ségrégation sociale, qui regroupe des associations de défense des chômeurs et précaires, ainsi que des syndicats de base de toute la Suisse.

Selon certaines recherches, quelque 200'000 personnes seraient actuellement concernées dans le pays, alors qu’elles étaient deux fois moins nombreuses il y quelques décennies.[1] Le hic, c’est que le travail sur appel n'existe pas dans le droit suisse. Il contrevient même à la loi, lorsqu’il est prévoit que «’horaire mensuel est prévisible, mais non garanti» ou que "le travailleur s'engage à se tenir à disposition de l’employeur" (sic). En effet, si ce dernier décide seul des horaires, ne paie que les heures travaillées et ne garantit pas un temps d’occupation minimal, il enfreint le Code des obligations et les dispositions sur la protection de la personnalité. On parle alors de contrat à zéro heure, ou de travail sur appel impropre. À ne pas confondre avec le travail occasionnel ou auxiliaire, juridiquement admissible dans la mesure où il est limité dans le temps et que l’employé est libre de refuser la mission. Avec le travail sur appel impropre, le problème qui se pose est que l’employé est théoriquement libre de refuser, alors que dans les faits, il a besoin de payer ses factures. Il s’ensuit une insécurité temporelle (aurai-je encore du boulot demain?) et économique (vais-je recevoir le salaire initialement convenu?).

Points de vue divergeants

«Le travail sur appel étant peu réglementé, beaucoup de choses ne sont pas claires, ce qui affaiblit la position des travailleurs», affirme le sociologue Alexandre Baljozovic, coordinateur de l’Association de défenses des chômeurs (ADC) à Genève. En cas de perte d’emploi, le salarié ne peut souvent même pas prouver qu’il a été licencié, puisque l’employeur ne voit pas les choses ainsi. En ce qui le concerne, il ne s’est jamais engagé à lui garantir une charge de travail régulière. Durant la pandémie, l’Alliance contre la ségrégation sociale a milité pour l’extension des RHT aux travailleurs sur appel les plus précarisés, soit ceux dont le taux d’occupation fluctue de plus de 20% d’un mois à l’autre. Jusqu’alors, le Conseil fédéral jugeait que le travail sur appel était une forme de travail marginale, pour laquelle il n’était pas nécessaire de légiférer. Malheureusement, cette extension du droit aux RHT «n'a guère été prolongée et n’est donc pas du tout acquise», ajoute Alexandre Baljozovic.

En 2019, l’Alliance contre la ségrégation sociale avait organisé une journée d’action à Berne et rencontré des parlementaires fédéraux. Suite à cela, le Conseiller aux Etats Robert Cramer avait soumis un postulat pour une meilleure réglementation du travail sur appel. Contre l’avis du Conseil fédéral, ce postulat avait été adopté par le Conseil des Etats, par 24 voix contre 12. Cette mobilisation avait ensuite suscité la publication d’un rapport du SECO concernant le travail sur appel.

L’Alliance contre la ségrégation sociale entend poursuivre son combat. Elle prépare à présent un nouveau document sur les moyens de défense des salariés concernés. Ses principales revendications: d’une part, la durée moyenne du temps de travail devrait obligatoirement figurer dans le contrat; d’autre part, il faudrait que le seul critère pour le droit au chômage soit d'avoir cotisé pendant 12 mois sur un salaire brut mensuel minimum de 500 francs au cours des deux années précédentes.

Interrogé sur son niveau d’espoir de faire changer les choses, Alexandre Baljozovic répond qu’une amélioration de la situation ne surviendra vraisemblablement que par une action de base, menée de façon persistante, par les personnes concernées. «Nous constatons que les institutions et les politiques ne s'intéressent à ce problème que quand on entend gronder la rue.»


[1] Michael Mattmann, Ursula Walther, Julian Frank et Michael Marti. Ecoplan: L’évolution des emplois atypiques précaires en Suisse Étude de suivi se référant aux études de 2003 et 2010, avec éclairage des nouvelles formes de travail Mandat du Secrétariat d’État à l’économie (SECO).

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Typographe de premier métier, Francesca Sacco a publié son premier article à l’âge de 16 ans pour consacrer toute sa vie au journalisme. Elle obtient son titre professionnel en 1992, après une formation à l’Agence télégraphique suisse, à Berne. Depuis, elle travaille en indépendante pour une dizaine de journaux en Suisse, en France et en Belgique, avec une prédilection pour l’enquête.

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