RH en secteur public - L'Hôpital du Valais

L'Hôpital du Valais: «Le système de santé suisse est dans une situation de crise»

Eric Bonvin dirige L'Hôpital du Valais depuis 2012 et pose un regard critique sur le système de santé suisse. Il revient aussi sur les enjeux RH de l'établissement: la pénurie de talents qui touche certains métiers et son impact sur l'épuisement professionnel. 

L’organisation matricielle de l’Hôpital du Valais implique de ne pas avoir une gouvernance RH centrale. Les responsables RH sont placés au niveau des Directions de Centres, à un niveau très opérationnel. Comment décririez-vous la stratégie RH globale de l’établissement? 

Éric Bonvin: Cette stratégie est un peu à l’image du monde RH, elle est en évolution et n’a pas encore trouvé son positionnement. L’absence de représentant RH à la direction générale reflète cette difficulté. D’un service du personnel centré sur l’administratif, la fonction cherche à être plus intégrée dans la stratégie. Mais le curseur est difficile à placer. À noter aussi que nous sommes dans un canton bilingue et que ce positionnement RH est perçu différemment dans les cultures alémaniques et francophones. C’est un vrai champ de tensions.

Votre gouvernance RH ressemble à un système fédéraliste, chaque centre étant très autonome sur ces questions?

Oui, cela correspond au fonctionnement de la direction générale qui est constituée par les 4 directions de centre. Mon rôle de directeur général est – avec celle du Secrétaire général – la seule fonction transversale. Nous avons aussi mis en place des plateformes où sont représentées les différents centres afin qu’ils soient impliqués dans les décisions.

Des plateformes?

La direction générale compte 10 membres, qui représentent tous des domaines spécifiques. Ces plateformes (finance, IT, RH, relations avec le monde des patients par exemple) sont des comités spécifiques qui discutent les dossiers et donnent des préavis à la direction générale. Le président de la plateforme est toujours un membre de la direction. Cela nous permet de prendre des décisions qui n’excluent pas les gens du métier et des centres. Les questions RH sont aussi traitées via une plateforme, présidée par le Dr Hugo Burgener.

Quels sont vos plus grands défis en termes de recrutement et de pénurie de talents?

Plusieurs secteurs sont touchés par la pénurie. Deux exemples: nous avons beaucoup de difficulté à trouver des techniciens de salles pour les blocs opératoires dans le Valais romand ou des infirmières en anesthésie en Haut Valais. En 2022, un tiers de nos salles d’opération étaient fermées à cause de cette pénurie. Les urgences nous causent aussi beaucoup de soucis, les médecins manquent. Raison pour laquelle nous avons dû fermer les urgences de Martigny durant la nuit. Nous essayons de recruter à l’étranger, par exemple à Domodossola pour le Haut Valais et en France voisine pour le Valais romand et plus loin encore.

Quels sont vos arguments en termes d’attractivité de l’hôpital?

De par notre taille, nous ressemblons à un hôpital universitaire, mais nous pouvons proposer beaucoup plus de pratique. L’esprit d’équipe est un autre point fort. Nos équipes sont très investies et le climat de travail a bonne réputation. L’environnement social du Valais joue aussi un rôle. Beaucoup de candidats choisissent le Valais, car ils aiment cette région.

Et du côté des salaires?

Les comparaisons sont difficiles. Nous sommes dans une situation de concurrence avec les autres hôpitaux – comme le veut la Lamal – et il y a très peu de transparence sur les salaires et les avantages annexes. Cela dit, nous avons entrepris depuis 4 ans un grand chantier de refonte du système de valorisation des fonctions (plus de 300 fonctions différentes) pour lesquelles nous faisons un benchmark avec d’autres établissements pour proposer des rémunérations dans la moyenne. Le chantier est énorme, notamment en raison des négociations avec les partenaires sociaux et les autorités cantonales. La plateforme RH est très impliquée dans ce dossier.

Comment faites-vous pour gérer les temps partiels?

La demande est forte. Cela répond notamment aux attentes des nouvelles générations. Il y a beaucoup de femmes dans les métiers des soins et les hommes souhaitent aussi plus de temps partiel. Nous devons aller dans la direction de l’aménagement des conditions de travail. Quand les collaborateurs démissionnent à cause d’un manque de flexibilité dans le temps de travail, ce sont les employés qui restent en place qui en paient le prix. Nous devons donc repenser toute notre organisation. C’est un immense challenge car nous avons des conditions imposées par le canton. À terme, nous devrons trouver plus de monde. C’est un enjeu stratégique de développement majeur.

Comment expliquez-vous ces démissions?

Nous avons dû faire face à une vague de démissions après chaque vague Covid. Nous constatons aussi une perte de sens dans le personnel soignant. Selon une récente statistique de l’Obsan (Observatoire suisse de la santé, ndlr), ce sont plus de 40% du personnel soignant qui quitte le métier. Ces personnes choisissent le métier par vocation et se retrouvent dans un système de productivité où leur attention bienveillante à l’égard des patients n’est pas prise en compte. Le système ne valorise pas le soin mais la prestation. Cela devient une évidence. Et ce n’est pas seulement le problème des soins, toute la société est concernée.

Avez-vous un dispositif pour anticiper le départ de certains postes clés?

Non, nous souhaitons en avoir un. Nous sommes encore trop sous contrainte de l’évolution budgétaire des postes annuels. Mais nous allons travailler sur ces problèmes de relève. Le milieu hospitalier change énormément et très vite. Nous n’avons pas de visibilité sur cinq ans. Par contre, cela peut être utile d’identifier les compétences à l’interne. L’avantage de ces profils internes est qu’ils ont la connaissance du milieu hospitalier valaisan.

Qu’en est-il de l’absentéisme? Certains départements sont-ils plus touchés que d’autres?

Les domaines les plus touchés sont au niveau clinique: les urgences, la gériatrie, la médecine interne et les blocs opératoires. Ces enjeux d’épuisement professionnel sont liés à la question de la pénurie. Par ailleurs, la médecine de premier recours, la médecine de ville, devient pénurique elle aussi. Il y a donc un afflux de patients vers les urgences et nous n’avons pas suffisamment les moyens de le gérer. Le système de santé suisse est dans une situation de crise. Et cette crise contient l’idée qu’il y a des décisions importantes à prendre.

C’est-à-dire?

Nous devons repenser l’organisation du système. Depuis les années 1980-1990, nous avons créé un dispositif de marché du soin. Cela ne fonctionne plus. Les coûts ne diminuent pas, nous ne les maîtrisons pas non plus. Tout le monde fait le même constat. Ce modèle a fait son temps. Nous devons revenir à la finalité de l’hôpital qui est de soigner et non de produire des prestations. C’est bien ce que nous disent les gens qui démissionnent.

Chiffres clés en 2021

Collaborateurs: 5700

Personnel RH: 48 EPT (12 pour le Haut Valais, 7 à l’Institut central, 25 au Centre hospitalier Valais romand et 4 à la direction générale et au Centre de services)

Chiffre d’affaires total: 792 millions 

Coûts du personnel: 518 millions

Un psychiatre spécialiste des médecines complémentaires

Éric Bonvin est le directeur général de l’Hôpital du Valais depuis 2012. Médecin spécialiste FMH en psychiatrie-psychothérapie, il a également été formé en anthropologie sociale et culturelle, en hypnose médicale, en médecine anthroposophique et en homéopathie. Spécialiste des questions de planification et de gestion de la santé mentale, d’éthique de la relation thérapeutique et des soins ainsi que des médecines complémentaires sous leurs aspects sociaux, politiques et éthiques, il est aussi professeur titulaire de l’Université de Lausanne au Département de psychiatrie du CHUV.

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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