Recrutement

Pourquoi et comment mobiliser les chasseurs de tête

Une étude de l’Université de Fribourg met en évidence quatre rôles clés des chasseurs de tête. En plus de leur carnet d’adresses et de leur expertise, ils sont aussi des intermédiaires (pour approcher des candidats à la concurrence) et des certificateurs (qui peuvent légitimer un profil). Enfin, ils facilitent le processus d’intégration.

Depuis une décennie, Linkedin et les réseaux sociaux ont changé les pratiques de recherche de talents, de nombreuses entreprises ont mis en place des services de talent acquisition et développé des activités de talent scouting. Est-ce la fin des chasseurs de tête ou consultants spécialistes de l’executive search? La réponse est clairement non. Notre étude, basée sur 42 entretiens de DRH et de spécialistes de l’executive search, montre que ces professionnels de la recherche et de l’évaluation des cadres, même si leur métier a partiellement changé, peuvent toujours jouer un rôle – et même plusieurs rôles – dans l’identification et l’évaluation des dirigeants potentiels. Leur contribution est loin de se limiter à celui d’un carnet d’adresses. Il existe également de bonnes pratiques pour optimiser cette contribution.

Quatre rôles pour les «chasseurs de tête»

Notre étude identifie quatre rôles clés. Le premier rôle est celui de l’expert. L’expertise reste le cœur du métier et un domaine sur lequel les consultants restent discrets. Dans un mandat, il faut d’abord analyser le contexte, comprendre les enjeux et les défis stratégiques d’une position à pourvoir, de l’organisation et du secteur. Savoir évaluer un potentiel de dirigeant reste une expertise rare et presque magique. Il y a des tests, des exercices mais il faut aussi être capable d’évaluer l’expérience des candidats pour des postes avec un niveau de responsabilité stratégique. La plupart des chasseurs de tête ont eux-mêmes une expérience de direction générale. «Nous posons d’autres questions que les DRH», nous confie un consultant zurichois. Un DRH de banque cantonale alémanique le reconnaît: «Un chasseur de tête gère plusieurs processus de recrutement de dirigeants dans l’année alors que je n’aurais géré que 2 ou 3 recrutements de ce niveau-là dans toute ma carrière.»

Un deuxième rôle est celui de l’intermédiaire. Parfois il est difficile pour un ou une DRH, même lorsqu’il ou elle connaît les potentiels talents à chasser chez des entreprises concurrentes, de les aborder directement. Utiliser un intermédiaire permet de lever plusieurs barrières: «Si je contacte un cadre supérieur de l’UBS avec le nom de la banque, il y a des chances qu’il me réponde qu’il n’est pas intéressé. Si c’est (un cabinet prestigieux) qui le contacte, il va mordre plus facilement à l’hameçon. (...) Et il prendra le temps de comprendre l’intérêt du job.» (DRH, banque cantonale). Et il y a le «qu’en dira-t-on?» dans des secteurs où tout le monde se connaît. Si dans un secteur comme la pharmacie, les transferts de cadres sont fréquents, c’est plus délicat dans l’horlogerie: «Il m’est arrivé de donner les noms des gens qui m’intéressaient aux chasseurs de tête pour qu’ils les contactent eux-mêmes.» (DRH, marque horlogère)

Un troisième rôle est celui de certificateur donnant de la crédibilité ou de la légitimité à une candidature. Être un candidat évalué et recommandé par un cabinet ou un consultant prestigieux donne une légitimité particulière pour exercer une fonction de dirigeant, à la manière d’un label. Ce label peut d’ailleurs aussi légitimer l’autorité de candidats internes qui passeraient par le même processus que des concurrents externes: «Nous avions un candidat interne qui a passé le même assessment que les externes (...) Cela nous a coûté de l’argent mais cela a changé le regard que les autres membres de la direction portaient sur lui.» (DRH, banque cantonale). C’est aussi ce rôle de certificateur qui permet de légitimer des prises de risque et de définir les limites du champ des possibles pour des candidatures qui sortent des normes de l’organisation: des cadres qui viendraient d’autres secteurs, des parcours atypiques voire même des candidatures féminines dans des organisations traditionnellement très masculines. Certains consultants proposent systématiquement des candidatures atypiques, même lorsque les clients n’en font pas la demande explicitement.

Le quatrième rôle que nous identifions est celui d’accompagnateur. «Un autre enjeu est celui de la dynamique de l’équipe dirigeante (...). On propose du coaching d’équipe pour que l’intégration se passe bien.» (Consultant, cabinet international). Dans une équipe où les membres du comité exécutif doivent avoir des compétences complémentaires, l’intégration d’un nouveau ou d’une nouvelle est une étape cruciale et les risques sont importants pour toute l’équipe et pour l’organisation. Il est aussi rare qu’un dirigeant vienne seul sans une garde rapprochée d’assistants et de personnes de confiance. Le consultant externe peut aussi identifier ces conséquences et ces risques préalablement et accompagner les individus et l’équipe dans ce processus.

Comment travailler avec ces consultants

Ces quatre rôles distincts font de ces consultants experts dans le recrutement de dirigeants bien plus que des «chasseurs de tête» ou même des spécialistes en executive search. Ils amènent des contributions potentielles dans différentes phases du processus de recrutement, de l’analyse de la fonction dirigeante et de son profil de compétences à l’intégration, en passant par la recherche de candidats et l’assessment. L’identification de ces quatre rôles permet de souligner leurs contributions potentielles au processus mais aussi de dissiper l’aura parfois magique que certains professionnels du secteur aiment entretenir en construisant leur légende de faiseur de rois – et plus récemment de reines. Il est vrai que les cadres placés dans une organisation cliente peuvent redevenir des candidats quelques années plus tard, ou même que les cadres d’une organisation cliente peuvent à leur tour devenir des candidats.

Pour ces raisons, mais aussi pour garder le contrôle sur le processus, les DRH rencontrés confient rarement l’ensemble du processus à un seul cabinet. Au contraire, ils essaient de séparer les phases du processus et de garder le contrôle sur certaines phases. Souhaitant eux-mêmes éviter des situations de conflits d’intérêt, certains consultants proposent aussi des prestations spécifiques à une phase du processus: «On peut contractualiser la recherche et la première phase d’assessment jusqu’à la short list sans souhaiter avoir d’influence et de responsabilité sur les phases ultérieures.» (Consultant, cabinet international). Certains DRH peuvent même travailler avec deux cabinets pour recruter leurs dirigeants, un cabinet pour l’amont du processus jusqu’à la short list, et un autre pour l’intégration.

Notre étude rappelle que les «chasseurs de tête» restent des acteurs utiles du marché des dirigeants. Ce sont aussi des acteurs centraux car ils détiennent, plus que les DRH, le pouvoir symbolique de faire bouger les normes des profils de dirigeants sur un secteur. Ce pouvoir de certificateur est bien sûr à relativiser, car un dirigeant – et à plus forte raison une dirigeante – doit d’abord trouver et construire sa légitimité dans l’organisation qu’il (ou elle) est amené à diriger. Dans la phase d’intégration, essentielle pour la construction de légitimité, l’accompagnement ne doit pas être négligé.

Pharma, horlogerie et banque

Notre étude empirique, menée entre 2021 et 2023 dans le cadre d’un projet FNS Sinergia, portait sur les parcours de carrière des dirigeants de trois secteurs économiques (la pharma/chimie, l’horlogerie et la banque). Outre la collecte d’informations de CV des membres des comités exécutifs des entreprises de ces 3 secteurs en 2010 et 2020, nous avons interrogé 38 DRH et 4 consultants «chasseurs de tête» spécialistes de ces trois secteurs pour comprendre comment on devient dirigeant d’une grande entreprise ou d’une grande banque suisse.

commenter 0 commentaires HR Cosmos

Professeur à l'université de Fribourg, Chaire RHO

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Christelle Zagato est assistante diplômée à la chaire RHO de l'université de Fribourg.

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Pedro Araujo est chercheur senior FNS à la chaire RHO de l'université de Fribourg.

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