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Crise sanitaire: un accélérateur de l’agilité organisationnelle

Une enquête de la HEIG-VD dévoile ici comment les entreprises de Suisse romande se sont adaptées à la crise du Covid-19.

Nous commençons à peine à discerner les énormes conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire que nous traversons depuis six mois. Cette crise a affecté et affecte encore considérablement le fonctionnement des entreprises et interroge fondamentalement les philosophies et pratiques managériales. Salariés et organisations ont dû trouver dans l’urgence des adaptations parfois radicales, dans un contexte rendant inappropriées toute prévision ou planification.

Ainsi, la remise en cause des modèles d’organisation basés sur la planification et le contrôle et la promotion des organisations agiles fait partie des enseignements de la crise. C’est la raison pour laquelle notre équipe a cherché à comprendre en quoi le fait de pratiquer différentes formes d’agilité a pu permettre aux entreprises d’être résilientes.

Nous avons réalisé une enquête qualitative sur cette question auprès de 18 organisations de Suisse romande ayant développé l’agilité organisationnelle (trois entretiens par organisation pour confronter le point de vue de la direction et du terrain). L’échantillon est composé de 9 entreprises ayant déjà été interrogées en profondeur lors d’une précédente recherche ainsi que 9 autres identifiées grâce à l’analyse des médias et notre réseau professionnel.

Les organisations agiles pour faire face à l’incertitude et la complexité

Dans le contexte de révolution digitale et d’accélération des changements, les modèles de management hérités de l’ère industrielle permettent peu l’adaptation et n’encouragent guère l’engagement des collaborateurs. Les études Gallup mettent ainsi l’accent sur le faible niveau d’engagement au travail dans les pays développés. De nombreux dirigeants souhaitent développer une organisation agile, permettant l’expérimentation plutôt que la planification, l’empowerment plutôt que le contrôle.

Mais utilisé comme un mot magique, mis à toutes les sauces (agilité stratégique, gestion de projet agile, management agile...), le terme agilité peut revêtir des significations bien différentes. C’est pourquoi nous définissons les organisations agiles comme celles qui ont les trois ambitions suivantes:

  • Aligner l’organisation sur une raison d’être qui a du sens.
  • Privilégier les personnes, à travers notamment un contexte
  • Favoriser l’action en luttant contre les processus qui ralentissent les décisions et entravent l’action.

Comment ces dimensions sont-elles intervenues dans la crise sanitaire? C’est ce que nous avons cherché à comprendre.

Alignement sur une raison d’être inspirante

L’organisation agile met l’accent sur sa mission (au service des clients et de la société) et est ouverte sur son environnement. Elle construit, à tous les niveaux, des relations de coopération et une veille active avec ses parties prenantes, pour connaître leurs besoins et y répondre.

Recentrage sur la raison d’être et coopération avec les clients

La grande majorité des entreprises analysées, au plus fort de la crise, a observé un recentrage sur la raison d’être de l’organisation. Pour celles dont la raison d’être est en lien avec la qualité de vie de la population (EMS, entreprises d’insertion, handicap...), ce recentrage était naturel. Mais les organisations à but lucratif se sont également préoccupées de ce qu’elles pouvaient faire pour aider leurs clients à traverser la crise au mieux ou pour aider plus largement la communauté.

Veille active et anticipation de la crise

L’anticipation a été essentielle dans la gestion de la crise, en favorisant la réactivité. Certaines organisations avaient ainsi anticipé avant les autres la crise, prenant des précautions qui se sont révélées salutaires. C’est ainsi que le DG de Saphir estime que l’absence de cas de Covid dans ses établissements pendant la crise est en partie imputable à une décision d’achat de masques, gants et gels hydroalcooliques qui a permis aux établissements d’être approvisionnés quand la pénurie se faisait sentir.

Accent sur les personnes, à travers notamment l’autonomie et la coopération

Les organisations agiles mettent un accent particulier sur les personnes et s’organisent de manière à laisser un maximum d’autonomie sur le terrain en développant la confiance au sein de l’équipe et avec la direction. Cette autonomie est encadrée par un fonctionnement en équipe, la coopération prenant le pas sur une gestion hiérarchique. Dans la mesure du possible, les décisions sont prises au niveau où elles s’appliquent. Les rôles des managers évoluent vers moins de directivité et de contrôle et davantage d’accompagnement et de soutien. Comme résultante, ces organisations peuvent s’appuyer sur des collaborateurs engagés.

La confiance et l’engagement ont favorisé le travail à distance

Le climat de confiance a permis aux managers de lâcher prise et aux collaborateurs de savoir ce qu’ils avaient à faire. Les collaborateurs engagés ont eu à cœur de faire fonctionner l’organisation au mieux dans la crise et se sont montrés solidaires. De plus, les entreprises les plus avancées dans le domaine du télétravail ont pu s’appuyer sur les solutions techniques existantes permettant la dématérialisation des activités. D’autres ont su improviser des solutions dans l’urgence. Plusieurs organisations ont noté que les processus administratifs vitaux pour l’entreprise avaient été pris en charge très rapidement avec efficacité et souvent même avec des résultats meilleurs qu’en temps normal: factures éditées plus rapidement par exemple pour Alvazzi.

Dans de nombreux cas, les équipes et les organisations ont rapidement mis en place des moyens de communication pour continuer à faire vivre le collectif de travail, au-delà des interactions strictement nécessaires à la réalisation de l’activité de chacun (café ou apéro virtuel entre collègues, conseils ou informations liés à la période...).

La gestion de crise: une gestion autoritaire?

Dans les premières heures de la crise, les dirigeants ont dû prendre de nombreuses décisions en urgence. Toute situation d’urgence suppose directivité et discipline, comme en attestent les modèles d’organisation militaire. Certains collaborateurs ont peiné à comprendre ce changement de registre, bien loin de la culture habituelle de décision partagée. Mais la confiance a permis d’éviter la confusion. Chez UCB, le DG a exprimé clairement les raisons de ces décisions et le raisonnement ayant conduit à définir les priorités. Inversement, chez Romande Energie, la cellule de crise, centrée sur la continuité du service, n’a pas mis la direction générale en première ligne.

La confiance et l’engagement ont par ailleurs de nombreuses vertus. Les collaborateurs se sentent concernés par le devenir de l’entreprise. Ils ont été prêt à faire des sacrifices pour éviter des pertes financières ou assurer la continuité des activités: modifier leurs horaires, renoncer à des congés ou au contraire les prendre pour alléger les coûts de l’entreprise... Parfois, les collaborateurs «au front» ont pu avoir le sentiment d’être «envoyés au casse-pipe». Les dirigeants sont allés dialoguer sur le terrain et montrer qu’ils n’étaient pas «planqués». Les collaborateurs ont fait preuve d’une extraordinaire responsabilité et solidarité, rappelant que l’investissement des organisations dans une gestion humaniste est largement payée de retour.

Priorité à l’action

Les organisations agiles mettent l’accent sur la vertu de l’action. Elles luttent contre la tendance obsessionnelle à anticiper tous les cas de figure et les risques, y compris les moins vraisemblables, qui entravent les initiatives. Elles tentent de développer une culture du droit à l’erreur et du test and learn. La crise a apporté un coup de boost à ces approches en contraignant les organisations à agir dans l’urgence.

La mise en place de projets dans les cartons depuis des siècles

Les entreprises ont souvent monté en quelques semaines des projets qui traînaient depuis des mois. Tous ont pris conscience de l’intérêt d’une approche quick and dirty, le droit à l’erreur étant assuré par les circonstances exceptionnelles vécues. Mais le droit à l’erreur n’est pas possible pour toutes les activités. Ainsi dans les EMS, les mesures sanitaires drastiques ont été renforcées et fait l’objet d’une importante vigilance en même temps que sur d’autres aspects (toilettes, activités...) les contraintes habituelles ont pu être relâchées.

La simplification des processus administratifs

La simplification est un maître mot des approches agiles. L’immobilisme est en effet souvent corrélé à la lourdeur des procédures et dispositifs de contrôle. Durant la crise, de nombreuses organisations ont modifié leurs processus de validation, de contrôle et renoncé à des projets non directement en lien avec l’activité. En a résulté dans de nombreux cas un sentiment de liberté d’action retrouvée.

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Céline Desmarais est Professeure et co-Directrice du MAS Développement Humain dans les Organisations, HEIG-VD.
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Diplômée d’un Master en Standardisation, politiques sociales et développement dura­ble de l’Université de Genève, Manon Pétermann a dévelop­pé en parallèle de ses études des compéten­ces de facilitatrice de processus en intelli­gence collective.
Contact: manon.petermann@gmail.com

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Isabelle Agassiz est adjointe scientifique à l’Institut Interdisciplinaire du Développement de l’Entreprise (IIDE) et à la Haute École d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud (HEIG-VD).

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Jean Weidmann est professeur à l’Institut Interdisciplinaire du Développement de l’Entreprise (IIDE) et à la Haute École d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud (HEIG-VD).

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