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Détection santé: plusieurs failles dans la gestion des absences grèvent le processus

Une recherche du Fonds national et de la SUVA dévoile plusieurs failles dans la gestion des absences. Ce qui freine la détection puis la réinsertion de collaborateurs souffrant de mal de dos. La récolte des données est souvent incomplète et la coordination RH-managers partenaires externes est lacunaire. Enquête et quelques pistes pour corriger le tir. 

 

La gestion des absences dans les départements RH serait-elle devenue lacunaire? C'est en tout cas le constat d'une recherche actuellement en cours sur la réinsertion professionnelle des travailleurs absents en raison de troubles musculosquelettiques dorsaux. Financée par le Fonds National de recherche* et la SUVA, cette enquête montre que le signalement des personnes souffrant de maux de dos fonctionne moins bien qu'initialement prévue. Les systèmes de gestion de l'absentéisme des entreprises s'avèrent directement impliqués dans ces difficultés. En effet et bien que les absences pour cause de maux de dos soient réelles dans les entreprises participant au projet, leur système de gestion des absences semble parfois difficilement capable d'identifier rapidement et de manière pertinente les travailleurs absents pour cause de troubles dorsaux et nécessitant une prise en charge spécifique. Pour y voir plus clair, nous avons analysé dans le détail les différents systèmes de gestion de l'absentéisme des entreprises partenaires. Pour ce faire, des entretiens téléphoniques structurés ont été menés auprès de responsables des RH et/ou de responsables du service médical des entreprises. Ceci dans l'objectif d'évaluer le stade de développement, l'intégration dans une éventuelle politique d'entreprise et le fonctionnement du système de gestion des absences en particulier et de la gestion de la santé en général des entreprises partenaires. 

Dans un premier temps, cette enquête a permis de mettre en lumière une étonnante diversité des systèmes de gestion de l'absentéisme. Nous avons également pu identifier différents éléments faisant clairement obstacle au processus de sélection instauré dans les entreprises partenaires. Le manque de précision quant au rôle des RH dans ce dernier en est un. Toutefois, et c'est bien l'intérêt ici, ces éléments doivent être considérés de manière plus large comme des obstacles à l'identification précoce des individus à risque d'invalidité de travail chronique et ainsi au processus de réinsertion professionnelle. Dans la même perspective, la place et la responsabilité spécifique des RH parmi les autres acteurs de la gestion de la santé en entreprise demandent à être clarifiés afin d'optimiser les chances de retour au travail des collaborateurs absents. 

Des banques de données non exhaustives

Des données précises sur les absences sont indispensables pour une gestion efficace de l'absentéisme dans une entreprise. Une saisie correcte et une bonne évaluation de toutes les données d'absences par les RH permettent de détecter l'absentéisme de manière précoce et d'y remédier par des mesures appropriées. Malgré ces recommandations pourtant communément admises, différents manquements nous sont apparus comme des obstacles à l'atteinte des objectifs des banques de données et ont par ailleurs entravé notre processus de recrutement. Premièrement, les multi-absences ne sont pas toujours clairement enregistrées. Dans certaines bases de données, une personne ayant été absente pour une courte durée, mais ceci de manière répétitive, peut ne pas apparaître. Or, une telle situation devrait être considérée comme à investiguer pour anticiper le risque d'incapacité et devrait donc être systématiquement répertoriée et aisément identifiable par les RH. Deuxièmement, force est de constater que la plupart des bases de données ne prennent pas en compte les travailleurs temporaires et/ou les travailleurs bénéficiant d'un salaire horaire. Et ceci malgré le fait que ce type d'emploi est reconnu comme précaire et alors particulièrement à risque pour ceux qui s'y astreignent. 

Une circulation de l'information difficile entre les parties concernées

Nos recherches ont également montré que la communication des absences aux personnes concernées à l'interne et à l'externe (chefs directs, RH, service médical et médecins traitants) est lacunaire et déficiente. Alors que cette communication est une condition sine qua non d'une réintégration rapide. 

  • Ressources humaines - Service médical

La transmission de l'information dans les entreprises et le signalement de personnes absentes du travail pour cause de TMS dorsaux a été très variable et ce même si nous avons contacté systématiquement les mêmes types de fonctions (RH ou service médical). La communication et les relations entre ces deux parties apparaissent ainsi comme extrêmement fragiles et passablement inconstantes. Ces difficultés de collaboration semblent pouvoir être expliquées notamment par la répartition des tâches - Santé et sécurité au travail (SST) et gestion des ressources humaines (GRH) - entre le service médical et les RH. Le manque de clarté sur leurs compétences et responsabilités respectives en matière de gestion de la santé apparaît effectivement souvent comme une raison de dysfonctionnement de la gestion des absences. Ceci provient sans doute du fait que le rôle des RH est peu clair entre recrutement, formation et gestion de la santé et que, bien souvent, la SST apparaît comme une question secondaire. Or, la SST devrait non pas évoluer en parallèle à la GRH mais bien en être une composante à part entière. 

  • Supérieur direct

En cas d'absence d'un de ses subordonnés et au vu de sa proximité avec eux, le supérieur direct a un rôle déterminant. C'est effectivement un acteur clé dans la mesure où il est en relation avec tous les intéressés. Il est en position d'identifier rapidement les absents, de tenir informées de l'évolution les personnes concernées et de collaborer avec les RH à la réinsertion (par exemple en trouvant un poste adapté). Or, force est de constater qu'en réalité les chefs directs sont souvent très peu sensibilisés à cette responsabilité et/ou peu formés à l'importance d'une bonne gestion des absences. Les instructions pour définir, enregistrer et communiquer les absences de leurs collaborateurs sont souvent peu claires pour eux. Par ailleurs, un certain inconfort et incompétence quant à la façon d'aborder les raisons des absences avec leurs collaborateurs ont également pu être mis en évidence. 

  • Médecin traitant

Etre en relation avec le médecin traitant d'un collaborateur absent afin de rester informé sur l'évolution de son état de santé et d'examiner ensemble les conditions de la reprise du travail est décisif. Or, fréquemment, les relations entre ce dernier et les RH et/ou le service médical ne sont que sporadiques. Pourtant, des médecins qui connaissent l'activité de l'entreprise, les capacités requises et les contraintes seront plus à même d'identifier les tâches concrètes que le collaborateur absent pourrait encore effectuer et ainsi d'établir un certificat de capacités adapté. Dès lors et en accord avec les collaborateurs, établir une relation de partenariat avec les médecins traitants et les tenir informés sur les possibilités de réinsertion offertes par l'entreprise apparaît comme un point décisif dans la gestion des absences.

Des protocoles de gestion des absences incomplètement suivis

La gestion des absences requiert, pour être efficace, une procédure claire et bien établie. Un suivi adéquat dès le début de l'absence et jusqu'à la reprise du travail est nécessaire. Pour ce faire, différentes étapes ont été identifiées comme essentielles: enregistrement de l'absence, premier contact, organisation du remplacement, maintien du contact et suivi pendant la guérison, information aux personnes concernées, organisation de la reprise (aménagement du poste de travail, du temps de travail, de l'activité) et, finalement, suivi du retour. Or, souvent, faute de temps et parfois de savoir-faire, certaines de ces étapes sont esquivées. Il en va de la responsabilité des ressources humaines d'«orchestrer» l'entier de ce processus avec les différents acteurs et de veiller à ce que chacune des étapes soient soigneusement respectées.

Une absence de politique intégrée de gestion de la santé dans l'entreprise

«La gestion des absences commence par une certaine volonté d'action dans les sphères dirigeantes» (SUVA). De fait, la réduction du nombre et de la durée des absences devrait, aux côtés de la sécurité au travail, de la protection de la santé et de la promotion de la santé, être intégrée dans une politique d'entreprise plus large, possédant des objectifs clairement définis et connus de tous. Or, un des obstacles majeurs à l'identification précoce des individus à risque d'invalidité - et, ainsi, à notre signalement - semble être lié au fait que tous les collaborateurs ne sont pas sensibilisés à l'importance et aux enjeux d'une gestion efficace de l'absentéisme et, de fait, peinent à y prendre part activement. L'absence d'une certaine culture d'entreprise en la matière empêche effectivement une implication maximale de tous. Aussi, l'instauration d'un système de gestion des absences et son bon fonctionnement dépend pour beaucoup de l'existence d'une politique intégrée de gestion de la santé et de la capacité de la direction à familiariser les niveaux hiérarchiques inférieurs à cette dernière. Les RH se situent dans une position intermédiaire clé et devraient pour cela se voir attribuer, de la part de la direction, une place déterminante dans ce processus de sensibilisation.

Pour aller plus loin

Pascal Gallois: L'absentéisme: Comprendre et agir, Paris, Liaisons, 2005.

Grundemann R.W.M. et Vuuren C.V: Preventing absenteeism at the workplace. Research summary, European Foundation for the Improvement of Living and Working Conditions, Office for Official Publications of the European Communities, Luxembourg, 1997. 

SUVA, Gestion des absences - Catalogue de mesures; paroles d'experts.

www.suva.ch/fr/home/suvapro/absenzenmanagement/werkzeugkasten.htm

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Fabienne Kern est ergonome à l'Institut universitaire romand de Santé au Travail. 

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Karin Zuercher est sociologue à l'Institut universitaire romand de Santé au Travail. 

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Brigitta Danuser est Prof. Dr méd spécialiste en santé au travail à l'Institut universitaire romand de Santé au Travail. 

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