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L’épidémiologie sociale éclaire les effets pervers de la hiérarchie

Comment combattre les effets nocifs de la hiérarchie au travail? Le Professeur de bioéthique Alexandre Mauron a montré les liens entre l’épidémiologie sociale, la primatologie et la vie en entreprise.

La bioéthique médicale étudie l’éthique de la médecine au niveau de l’exercice de la profession, mais aussi les enjeux en lien avec les progrès biomédicaux. Dans ce registre, la notion d’éthique sociale ayant trait à la santé devient une thématique qui prend de l’importance de nos jours. Il s’agit de l’un des sujets principaux de l’institut de bioéthique médicale de l’Université de Genève.

«Il converge avec des démarches scientifiques concernant les inégalités entre le social et la santé», observe Alexandre Mauron, Professeur de bioéthique à la faculté de médecine de l’Université de Genève.

«L’inégalité au sein d’une hiérarchie a été mise en évidence en premier dans les années 1970, notamment par des épidémiologistes britanniques comme Michael Marmot et Richard G. Wilkinson. Ils se sont intéressés au rapport entre la position d’une personne dans la hiérarchie et sa santé en étudiant la fonction publique britannique qui est un modèle très explicite.»

Leurs études montrent que plus on est haut dans la hiérarchie, plus on vit longtemps et plus on échappe aux maladies les plus courantes dites de civilisation, comme les problèmes cardiovasculaires, le diabète de type II et certains cancers. Ainsi, l’espérance de vie, et d’autres mesures de l’état de santé, sont socialement stratifiées.

On vit donc plus longtemps en bonne santé en haut de l’échelle sociale, ou au sommet d’une hiérarchie d’entreprise, quel que soit son domaine d’activité. «Cela est valable pour toutes les couches sociales. Les recherches ont aussi établi par ailleurs que la différence n’est pas propre à une minorité dont le travail serait exceptionnellement pénible. En outre, ces phénomènes existent dans les pays en développement comme dans les pays riches», précise Alexandre Mauron.

L’opinion publique pensait qu’une fonction élevée était plus stressante

Les résultats surprennent à l’époque, car l’opinion publique pense plutôt que plus la personne occupe une fonction élevée, plus elle est soumise au stress. Or cela contredit les études épidémiologiques.

Trente ans plus tard, elles obtiennent d’ailleurs encore le même résultat. «Quand on est au sommet de la pyramide, on est en meilleure santé et on vit plus longtemps. En outre, il ne s’agit pas de personnes issues du monde politique ou de la sociologie qui l’affirment, mais des médecins et des chercheurs biomédicaux», explique encore le professeur de bio éthique.

Alors comment comprendre cette affirmation? Tout d’abord l’analyse du stress est une donnée qui explique cette différence. Le stress est une notion bien plus large que ce que l’on croit très souvent. «Il varie selon la position d’une personne dans la société ou dans la hiérarchie. Le stress du manager est qualifié de sain, car il s’agit d’un aiguillon pour l’action. L’homme peut faire des choix et prendre des décisions», confie le professeur.

Or, quand on descend dans la hiérarchie, le stress est vécu comme un sentiment d’impuissance. Il s’agit par exemple de celui d’un employé qui n’a pas beaucoup de contrôle sur son travail et qui se sent pressuré par les reproches d’un supérieur. Il réalise en outre qu’il ne peut rien y changer, car les décisions ne lui appartiennent pas.

Lorsqu’une société cherche un repreneur, les employés essaient parfois d’agir pour améliorer la situation et de prendre en main les négociations pour le rachat. Malheureusement, ils réalisent à un certain moment que rien ne dépend réellement d’eux et qu’ils finiront par être licenciés. Cela entraîne un fort stress résultant d’une impuis-
sance à agir.

L’intervenant

Alexandre Mauron est professeur de bioéthique à la faculté de médecine de l’Université de Genève.

 

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Patricia Meunier est journaliste indépendante en Suisse romande. Elle collabore avec HR Today depuis 2010.

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