Performance durable

Le bien-être au travail: luxe ou nécessité?

Le bien-être au travail est à la mode. Relayé par un nombre croissant de consultants et d’entreprises, il fait l’objet de recherches toujours plus nombreuses à l’international. Notre analyse.

Face aux défis de compétitivité que connaissent les organisations, parler de bien-être au travail peut sembler paradoxal, voire même illégitime. Le bien-être au travail est-il un luxe, qu’un nombre très restreint d’organisations peuvent se permettre, alors que les temps sont durs et que des choix toujours plus exigeants doivent être faits pour assurer la rentabilité de nos entreprises? Pour répondre à cette question, il convient d’abord de définir ce qu’est le bien-être au travail. Il faut alors s’interroger sur ce qui peut être mis en œuvre pour le promouvoir. Il est tout d’abord important de souligner que l’idée de bien-être au travail réhabilite une vision positive du travail humain. En effet, dans les entreprises on peut trouver deux conceptions opposées du travail.
 

Le travail comme source de contrainte ou d’épanouissement 

La première, qui envisage le travail comme une source de contrainte et d’asservissement, est héritée de l’antiquité. Elle justifie des modèles d’organisation du travail centrés sur le contrôle, la canalisation et la mise sous tension du travail. Cette vision du travail est largement promue dans notre société. Elle justifie une volonté de réduire l’emprise du travail sur les humains par la réduction du temps de travail, le travail étant vu comme un mauvais moment à passer pour avoir accès aux loisirs. Elle constitue le socle des travaux sur la souffrance au travail. 
 
La seconde, qui envisage le travail comme source d’épanouissement et de reconnaissance, est souvent attribuée à «l’ethos protestant», dans la lignée des travaux de Max Weber. Considérer que le travail est une source majeure de satisfaction pour les humains a conduit au tournant récent qui a fait évoluer la réflexion sur l’homme au travail d’un focus sur la souffrance à un focus sur la qualité de vie au travail (QVT). Par ailleurs, seule cette vision du travail peut orienter les dirigeants vers des modes de gestion qui libèrent le travail. 
 
Ainsi, le bien-être au travail suppose une relation positive au travail. Cela signifie qu’il ne se résume pas à l’absence de souffrance ou de mal-être. Mais quels sont ses contours? Ne s’agit-il pas finalement d’une résurgence de l’ancienne question de la satisfaction au travail? Ou encore, le bien-être ne se confond-il pas avec l’implication au travail? Ou enfin, se trouve-il dans la prise en compte du confort des individus au  travail?
 

Le modèle Google: une stratégie de marque employeur avant tout 

C’est la piste du confort qui semble la plus explorée par les entreprises qui s’intéressent au bien-être au travail. Les projets liés à la qualité de vie au travail tendent à mettre l’accent non pas sur le travail lui-même, mais sur l’environnement du travail: c’est le «modèle Google» qui promeut des environnements de travail confortables, des avantages et des services pour les salariés (la gratuité des restaurants d’entreprise, l’instauration de conciergeries d’entreprise, un dress code décontracté, la prise en charge des assurances santé…), avec ses annonces spectaculaires, comme celle faite par Facebook et Apple de la prise en charge de la congélation d’ovocytes de leurs employées. A l’instar de Google France qui a investi 1 million d’euros pour aménager les 10 000 m2 d’un hôtel particulier à Paris, certaines entreprises mettent l’accent sur les investissements qu’elles réalisent dans le confort de leurs salariés. Au-delà des bénéfices attendus en matière de satisfaction au travail, on peut se demander si ce n’est pas surtout un discours constitutif de leur marque employeur!
 
En effet, le confort des salariés, certes important, n’est pas la dimension essentielle du bien-être au travail. C’est dans le travail lui-même qu’on trouve la qualité de vie au travail. Pour reprendre la formule d’Yves Clot: «Le bien-être au travail se trouve dans le travail bien fait». En effet, un nombre important de recherches ont montré le caractère central de la question du travail dans le bien-être. Ainsi, il faut abandonner l’idée selon laquelle le bien-être au travail serait un luxe que ne peuvent se permettre la plupart des entreprises. Il faut être bien clair sur l’idée qu’au contraire le bien-être des salariés et la qualité du travail vont de pair. La performance des entreprises suppose que le travail soit bien fait!
 
Cependant, dans les organisations contemporaines, on observe fréquemment que les salariés ressentent des difficultés à maintenir un travail de qualité. Le contexte de rationalisation et de réduction des moyens, associé à un désir légitime de maîtrise de la part des CEO, conduisent à mécaniser le travail et développer des processus toujours plus contraignants. Empêchés par un ensemble de contraintes de produire un travail de qualité, les salariés ressentent du mal être. Ainsi dans le secteur public, il n’est pas rare que les personnels de services soumis à des restrictions de moyens souffrent du sentiment que service rendu au public n’est pas, ou plus, d’une qualité suffisante. Certains dirigeants, focalisés sur les indicateurs de gestion, en viennent à se plaindre que les salariés veulent faire de la «surqualité»… Comme si bien faire son travail devenait un luxe. 
 
Ainsi, la question se pose de savoir comment les organisations peuvent promouvoir ce bien- être générateur de performance durable.
 

Les leviers du bien-être au travail pour une performance durable 

Un modèle récent, développé par Emmanuel  Abord de Chatillon et Damien Richard développe ainsi une compréhension des leviers du bien-être au travail. Ils ont interrogé des centaines de salariés dans plusieurs organisations, publiques et privées, sur les facteurs qui leurs permettaient de se sentir bien au travail. A partir de leurs réponses, ils ont développé un modèle de compréhension du bien-être au travail en quatre dimensions, le SLAC. S pour sens, sachant que la nécessité de trouver du sens dans son travail a été soulignée très largement, notamment par la philosophe française de Simone Weil dès les années trente. L pour lien, les interactions et les liens interpersonnels noués dans le travail étant essentiels pour la plupart des salariés. A pour activité, la nature du travail, son intérêt, le contenu des tâches, étant une composante essentielle de la qualité de vie au travail. Et enfin C pour confort, cette dimension revêtant une importance certaine même si elle arrive en dernier.
 
Pour faire face aux menaces, il semble ainsi tellement plus riche de s’appuyer sur la formidable capacité d’action des collectifs de travail. Le management se doit d’accompagner l’organisation pour que le travail soit bien fait. Pour cela, trois conditions sont nécessaires: 
 
  • Libérer les intelligences au travail. Les organisations ont tout à gagner à s’appuyer sur l’intelligence collective de leurs salariés, ou au moins, à cesser de les étouffer par des process et des outils toujours plus fins, plus exigeants, qui conduisent de nombreux managers à avoir le sentiment de consacrer leur temps à alimenter les machines de gestion.
 
  • Réorienter le management sur la question du travail. Celle-ci est étrangement peu présente dans les réflexions managériales. Il s’agit donc de réfléchir aux manières de favoriser les dimensions du modèle SLAC: faire en sorte que le travail ait du sens pour ceux qui l’accomplissent et qu’ils en voient les effets, faire en sorte que des liens professionnels positifs puissent se nouer et enfin s’interroger plus en profondeur sur l’intérêt des activités et les conditions d’exercice de celles-ci, et notamment les manières de favoriser le plus possible l’autonomie des salariés dans leurs tâches.
 
  • Favoriser les espaces de discussion sur le travail. Mathieu Detchessahar a montré que ces espaces étaient une condition fondamentale du bien-être au travail. En effet, ils permettent aux différents acteurs (agents de base, managers…) de se mettre d’accord sur la qualité du travail à délivrer en lien avec les enjeux de performance globale de l’organisation et de trouver des solutions aux problèmes rencontrés dans le travail. Apparemment simple, cet outil n’est pas toujours aisé à déployer car la discussion entre pairs est souvent suspecte dans l’entreprise.
 
Ainsi, le bien-être au travail des salariés se trouve être une question centrale pour le management. Pour autant, il ne s’agit pas de promouvoir l’emprise totale du travail sur nos vies! En effet, avec les technologies de l’information et de la communication, le travail empiète de plus en plus sur la vie personnelle des salariés. Or, des travaux récents de la chercheuse allemande Sabine Sonnentag montrent qu’à l’inverse de cette tendance, la possibilité donnée aux salariés de couper complètement avec leur entreprise pendant les périodes de repos (et leur capacité à réaliser cette coupure) est une condition essentielle, non seulement du bien-être au travail mais aussi de la performance et de l’engagement des salariés.
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Céline Desmarais est Professeure et co-Directrice du MAS Développement Humain dans les Organisations, HEIG-VD.
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