Droit et travail

Le télétravail dans le droit suisse

Pour remédier aux difficultés liées à l’encombrement des moyens de transport, réduire l’empreinte écologique de leurs activités ou plus simplement pour réduire leurs coûts, certaines entreprises choisissent de proposer à leurs employés de travailler depuis leur domicile. Cette solution permet en outre aux employés de mieux gérer l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale. Attention à respecter le cadre juridique en vigueur.

Aux Pays-Bas, 28 pour cent des heures de travail dans le domaine des services sont effectuées depuis le domicile de l’employé. En Allemagne, il s’agit de 25 pour cent, au Royaume-Uni de 15 pour cent et en France, de 9 pour cent. Le taux de télétravailleurs dépasserait les 30 pour cent en Finlande, en Suède et en Belgique. La moyenne européenne des télétravailleurs se situerait ainsi aux alentours de 18 pour cent. En Suisse, alors même que 50 pour cent des employés sont des travailleurs du savoir, on ne dispose pas de chiffres fiables quant à la pratique du télétravail.

Bases légales et essai de définition en droit comparé et en droit Suisse

En raison du potentiel élevé du télétravail, les Etats-Unis ont adopté en 2010 le Telework Enhancement Act (TEA), loi qui oblige les administrations publiques, dans la mesure du possible, à proposer du télétravail à leurs employés. En 2002 a été conclu un accord cadre européen qui définit comme suit le télétravail: «(...)forme d’organisation et/ou de réalisation du travail, utilisant les technologies de l’information, dans le cadre d’un contrat ou d’une relation d’emploi, dans laquelle un travail, qui aurait également pu
être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière». Cet accord cadre a été transposé dans la plupart des pays européens. En France, il se concrétise dans les articles L.1222-9 à 11 du Code du travail.

Quant à l’administration cantonale genevoise, elle a également adopté le 30 juin 2010 un règlement sur le télétravail. L’article 2 de ce règlement donne la définition suivante du télétravail: c’est celui qui «(...) consiste à effectuer, en principe à domicile, par l’intermédiaire des technologies de l’information, le travail qui est normalement réalisé dans les locaux de l’Etat.»Les bases légales fédérales se limitent pour leur part à la loi sur le travail à domicile (LTrD), à la loi sur le travail (LTr) et au Code des obligations(CO). La loi sur le travail à domicile ne s’applique qu’aux personnes effectuant des travaux industriels et artisanaux. Les travailleurs du savoir (tertiaire) sont donc exclus de son champ d’application. Ceux-ci sont ainsi uniquement soumis à la LTr et au CO, lesquels ne donnent aucune définition du télétravail.

Deux sujets particuliers: les frais et la protection de la santé des employés

Selon l’article 327a CO, l’employeur rembourse au travailleur tous les frais imposés par l’exécution du travail. Les parties peuvent toutefois convenir par écrit que les frais de l’employé lui sont remboursés sous forme d’une indemnité forfaitaire, à la condition qu’elle couvre tous les frais nécessaires. Cette disposition stipule en outre que les accords en vertu desquels l’employé supporterait lui-même tout ou partie de ses frais nécessaires seraient nuls. Tel serait le cas par exemple de l’accord de l’employé de prendre à sa charge les frais relatifs à l’achat d’un ordinateur destiné à l’accomplissement de son travail. Quant à une participation versée par l’employeur à l’employé pour son loyer, celle-ci n’est impérative que si le travail est exclusivement accompli depuis le domicile.

L’article 73 de l’ordonnance 1 d’application de la LTr (OLT1) prévoit l’obligation pour l’employeur de tenir un registre mentionnant la durée quotidienne et hebdomadaire du travail effectivement fourni, ainsi que les coordonnées temporelles y relatives. Déjà difficile à respecter lorsque le travail s’exerce in situ, à l’heure de la flexibilisation du temps de travail et où les entreprises renoncent de plus en plus aux systèmes de pointage, cette exigence est quasiment impossible à tenir lorsque l’employé effectue son travail hors de l’entreprise. Lorsque le travail est effectué au domicile, le contrôle des heures de travail, selon comment il est effectué, présente en outre des risques d’atteinte à la personnalité de l’employé, voire de son entourage. Un pointage volontaire, par exemple sous la forme d’un time-sheet tenu par l’employé lui-même, pourrait être une solution. Toutefois, il est douteux qu’une telle solution soit considérée comme respectant les exigences posées par l’article 73 OLT1.

Télétravail et protection de la santé physique et psychique des employés

Les articles 328 CO et 6 LTr obligent enfin l’employeur à prendre les mesures nécessaires et adéquates pour protéger la santé physique et psychique de l’employé. Parmi ces mesures figurent notamment celles en lien avec prévention des accidents et l’ergonomie sur le lieu de travail. Il découle de cette obligation qu’en cas de télétravail, l’employeur devrait obtenir l’engagement de l’employé de veiller à ce que l’espace de télétravail soit conforme aux règles en matière de sécurité, de santé, d’hygiène et d’ergonomie. A défaut d’un tel engagement, l’employeur devrait lui-même s’assurer de cette conformité, au besoin, en se rendant sur le lieu du télétravail, soit au domicile de l’employé. Comme la protection de la santé des employés par l’employeur constitue une disposition impérative, l’on peut par ailleurs s’interroger sur la validité d’une clause contractuelle qui prévoirait d’avance d’exclure la responsabilité de l’employeur en cas de télétravail.

Nous recommandons vivement aux employeurs qui permettent à leurs employés de pratiquer le télétravail de conclure avec ces derniers une convention réglementant avec précision les modalités de celui-ci.

Etude de cas: Une convention d'indemnisation entre l'employeur et son collaborateur indélicat

Der Arrêt de la 1ère Cour de droit civil du TF, 4 juin 2013, 4A_47/2013

L’affaire

La banque Y a engagé X comme gérant de fortune, avec rang de directeur adjoint en 1999. Depuis fin 2004, il était chargé des relations avec la clientèle. En 2007, confronté à certaines preuves, X a admis des malversations à hauteur de CHF 400'000.–. Licencié avec effet immédiat, il a passé avec la banque, dans le mois suivant son renvoi, une convention selon laquelle Y était autorisée à vendre ses actions et à mettre le produit sur un compte destiné à indemniser les clients, la banque étant en outre habilitée à débiter de ce compte tous les frais internes et externes, notamment d’audit, sur base de justificatifs. Ultérieurement, X a été condamné pénalement pour abus de confiance aggravé. Un litige est né entre les parties sur l’étendue et la validité de la clause conventionnelle ci-dessus.

Conséquences pratiques

L’affaire pose la question intéressante de la mesure dans laquelle un employeur, victime d’un collaborateur indélicat, peut convenir avec ce dernier, avant l’expiration du délai d’un mois de l’article 341 CO, qu’il assumera les fais d’investigations destinées à faire toute la lumière sur ses malversations et le dédommagement dû aux clients grugés.

À juste titre, le TF rappelle que la convention intervenue n’est a priori qu’une mesure d’exécution de l’obligation de réparer le dommage causé fautivement en l’espèce, au sens de l’article 321e CO. La dette du travailleur indélicat ne se caractérise pas comme une créance qui découlerait de la loi ou d’un contrat. Sans se prononcer sur la possibilité de soumettre à l’article 341 CO la responsabilité du travailleur, le TF rappelle le caractère semi-impératif de l’article 321e CO et en conclut qu’il faut s’assurer que la convention entre les parties ne péjore pas la responsabilité légale du collaborateur. En l’espèce, les investigations internes de la banque ont été facturées à un tarif conforme à celui des fiduciaires, avec cette conséquence que les conditions de la responsabilité du travailleur n’ont pas subi d’aggravation.

Cet arrêt ouvre une porte intéressante à toutes les sociétés qui ont pâti de malversations de la part d’un ou plusieurs collaborateurs. Il est en effet à la fois moins cher et plus efficace d’investiguer en interne, en connaissant les procédures et les mécanismes. Mais l’avantage principal est ailleurs: en agissant au sein de l’entreprise, on évite une publicité qui donnera une mauvaise image de la société et nuira à la confiance et la crédibilité dont elle jouit dans le public.

On rappelle ici à tous les employeurs, qu’appelé à revoir divers postes du dommage et, partant, l’étendue de la responsabilité de l’employé, le TF a confirmé que, même en présence d’une faute intentionnelle du collaborateur, la société qui n’a pas bien ou suffisamment surveillé son collaborateur s’expose à une réduction des dommages intérêts pour faute concomitante.

Christine Sattiva est avocate au cabinet Sattiva – Chambour – Fauquex à Lausanne. Elle est spécialiste FSA en droit du travail, vice-présidente du tribunal des prud’hommes de l’Est vaudois et ad hoc au tribunal des prud’hommes de l’administration cantonale, chargée de cours à l’UNIL. www.csavocats.ch

 

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Olivia Guyot

Olivia Guyot Unger, titulaire du brevet d’avocat, dirige le Service Assistance Juridique et Conseils (SAJEC) de la Fédération des Entreprises Romandes Genève.

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