Conseils pratiques

Les ancrages de l’engagement des employés publics suisses

Le contexte organisationnel des institutions étatiques évolue. Une thèse en cours précise les nouveaux leviers de l’engagement des agents publics. Premiers résultats.

L’évolution du rapport au travail dans nos sociétés appelle de plus en plus à repenser l’engagement au travail dans le secteur public après d’importantes réformes ces dernières années. Le rapprochement public-privé provoqué par ces réformes est tel qu’il devient désormais difficile de distinguer un emploi public d’un job dans le privé! Pourtant, l’engagement organisationnel, soit la manière dont l’employé s’identifie, s’attache et reste loyal à son entreprise, se heurte à nombre de spécificités liées à l’emploi et aux organisations publics. Dans cet article, nous exposons les premiers résultats d’une Thèse de doctorat qui révèle, entre autres, des d’ancres d’engagement au travail (ce envers quoi s’engage l’individu) spécifiquement publiques.

Déconstruire le mythe organisationnel

Bien souvent l’on entre dans l’administration pour une carrière à vie, en se mettant à l’entière disposition de l’État pour la réalisation de missions publiques. Or l’État reste actif dans différents domaines d’action, poursuit de nombreux objectifs et intègre diverses parties prenantes dont les usagers du service public. La relation d’emploi dépasse de ce fait le cadre strictement organisationnel pour se porter sur des ancrages potentiellement divers.

En reprenant l’engagement organisationnel tel qu’il est conçu pour le secteur privé, de nombreux chercheurs ont ignoré toute la complexité de l’emploi public. De même, ont-ils rarement tenu compte du fait qu’avec des carrières de plus en plus «nomades», l’organisation a sans doute perdu de son importance, l’idée même de carrière demandant à être revue dans le secteur public. Des Baby-boomers aux Millenials, la valeur travail s’est enrichie, au cours des récentes décennies, d’autres dimensions parfois plus personnelles et intimistes, voire plus éthiques. Pour de nombreuses personnes en effet, les valeurs et le sens des tâches réalisées représentent les aspects les plus importants de l’engagement professionnel.

Malgré sa forte ressemblance avec le secteur privé, il est bien difficile de continuer à prétendre aujourd’hui qu’être engagé au travail signifie la même chose dans les deux secteurs. Comment penser alors un engagement plus adapté aux organisations d’État?

Aujourd’hui, l’engagement au travail est multiancres

Considérer les ancrages multiples de l’engagement au travail dans le secteur public se justifie à maints égards: tout d’abord les travaux pionniers de Morrow, Reichers et Cohen confortent dès les débuts des années 1990 l’idée d’un engagement au travail multi-ancres. Mieux, la définition du concept au départ fortement axée sur l’organisation, a évolué vers l’idée d’une force «qui lie un individu à une cible sociale ou non sociale et à des actions pertinentes pour cette cible» (Meyer, Becker et al. 2006,p. 666). Comme en réalité l’organisation n’est pas un bloc monolithique, les individus imbriqués dans ses différents sousgroupes (services, équipes de travail ou de projets etc.) développent potentiellement différentes formes d’appartenance et d’engagement. D’ailleurs, des études plus récentes décrivent l’engagement au travail comme un lien psychologique se caractérisant par le dévouement volontaire et la responsabilité envers une ou plusieurs ancres organisationnelles, institutions, personnes, ou idées abstraites etc. Il s’agit donc d’un système relationnel multimodal impliquant des buts, valeurs et missions publics, dans lequel les ancres les plus proximales (physiquement ou psychologiquement) ont plus d’influence. Par exemple, on retrouvera chez l’employé au profil d’engagement dominé par une ancre de service, cette orientation quel que soit son activité. A côté des formes empathiques de l’investissement au travail, l’engagement public au travail suppose de reconnaître des formes individuelles reposant par exemple sur les valeurs d’intégrité, d’impartialité, voire de conscience professionnelle. Nous présentons ci-après quelques ancres d’engagement recelant un caractère public particulièrement saillant.

Résultats d’une thèse de doctorat en cours...

Après une quarantaine d’entretiens, les employés publics de fonctions et d’organisations diverses, nous révèlent dix-huit ancres d’engagement au travail dont les plus publiques sont ici présentées. En appliquant les critères de la littérature consacrée à la distinction public-privé des organisations de travail, ces ancres se classent sur une échelle allant des celles qui sont spécifiquement publiques au moins publiques. Une ancre publique d’engagement au travail appartient au domaine public (autorité, financement, localisation), porte des valeurs publiques, et poursuit un intérêt collectif (par opposition à l’intérêt privé). L’analyse du sens que donnent nos répondants à leurs ancres d’engagement au travail permet, à partir d’un score attribué à chaque critère, d’obtenir une évaluation qualitative de la publicitude.

Ces ancres publiques se scindent d’une part en ancres de service, notamment envers les usagers (Valeurs publiques, Politiques publiques, Service public, Impact social et sociétal, Innovation publique, Usagers-clients), et d’autre en ancres du Workdesign (Sécurité et stabilité de l’emploi, Dynamiques d’interaction sociale, Temps public). D’abord, les employés publics souhaitent à travers leur emploi avoir un impact social selon des valeurs telles que l’intégrité, l’objectivité, l’impartialité, l’intérêt général etc. Mais ils restent aussi sensibles à la Marque employeur, soit un modèle d’organisation du travail propre au secteur public, alliant la stabilité et des dynamiques sociales typiques d’un environnement dans lequel la valeur Temps est vécue différemment.

So what? Mieux individualiser et adapter les politiques RH

Ces résultats appellent à pratiquer des politiques RH plus adaptées aux profils d’engagement au travail des employés publics, afin d’être au plus près des préférences individuelles: certains voudront plus d’autonomie, d’autres plus de formation ou encore d’éthique dans leur travail. Ces pratiques pourraient servir également de base à une marque employeur (d’autonomie, de flexibilité et de lien social) et organisationnelle (d’éthique et de service public), et donc un marketing employeur ayant plus de résonance chez les employés publics actuels ou futurs. Aujourd’hui, travailler dans le public ne signifie plus se «caser» ou chercher un job tranquille, mais aussi un engagement porteur de valeurs et d’une certaine conception du travail, différente du privé... À l’instar de la Motivation de Service Public, l’engagement au travail demande à être contextualisé à l’environnement institutionnel et culturel publics.

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Armand Brice Kouadio est chercheur à l’IDHEAP, l’Institut de hautes études en administration publique à Lausanne

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