Des mots et des hommes

Les dirigeants se laissent-ils vraiment former?

Vous connaissez sans doute des personnes qui occupent des positions clés dans une organisation. D’une certaine façon, elles sont arrivées au sommet. Elles exercent un pouvoir certain, sont responsables de grandes unités et mènent avec succès des projets significatifs. Pour sûr, leur parcours s’articule autour de formations impressionnantes, notamment universitaires. Les Masters ne sont pas rares et des participations à des sessions haut de gamme, des programmes pour exécutifs, font partie de leurs bagages.

Le début de la quarantaine s’éloigne et le temps consacré à mettre à jour ses pratiques de leadership, à satisfaire ses appétits pour l’innovation et à confronter ses idées à d’autres perspectives, finit par se réduire à la portion congrue. La bibliothèque mentale de ces dirigeants est remplie de notes, mais y a-t-il encore de la place pour les nouveaux «livres», pour des expériences qui challengent leurs pratiques? Ces personnes, d’une certaine façon, ont réussi leur parcours professionnel. Leur situation démontre à leurs yeux et aux regards de tous qu’elles sont au sommet de leur performance. Est-il donc encore besoin d’illuminer, voire de modifier, les couleurs de leur «aura»?
 
Un cours, que j’adorais animer, m’a mis la puce à l’oreille. Grâce à une méthode élaborée par des avocats californiens et des machines créées pour atteindre les objectifs, il était possible de permettre à des cadres de doubler leur vitesse de lecture tout en augmentant leur taux de mémorisation de 10 à 20 pour cent. Un examen au début du cours donnait la situation de départ. Des contrôles, après une journée puis deux journées de cours intensifs, montraient la progression. Trois mois plus tard environ, un contrôle final permettait d’attester l’acquisition du doublement de la vitesse de lecture et de la conquête d’une mémoire confortée voire bien améliorée. Ce cours, je l’ai animé trois fois par année de suite. Les cadres intermédiaires obtenaient des résultats probants et même hautement satisfaisants. Pourtant, dans les sessions auxquelles participaient des dirigeants occupant des fonctions élevées, les résultats étaient très moyens. La vitesse de lecture augmentait à peine de moitié, et le taux de mémorisation stagnait, voire baissait légèrement. Ma déception d’animateur m’a incité à pousser l’observation plus loin. Les dirigeants ne se plaçaient pas en situation d’apprentissage, mais se livraient à une compétition entre eux. Ils voulaient démontrer qu’ils étaient meilleurs que leurs collègues ou, en tout cas, qu’ils se situaient dans la bonne moyenne. La compétition annihilait la formation.
 
Aussi, je constate que les grands dirigeants participent, certes, à des conférences et à des colloques, mais se laissent-ils vraiment toucher, chambouler et transformer par de nouvelles perspectives? Il y a de notables exceptions, mais la tendance globale révèle que les dirigeants viennent conforter leurs vues et leurs pratiques, viennent se mesurer à leurs pairs ou à des figures de références – et non pas se mettre en creux, en besoin d’apprendre.
 
Vous êtes responsable du management développement et de formation, directeur des humains en ressources et/ou gestionnaire des talents? Que faire, à part leur glisser le présent article? Attendre l’inattendue et douloureuse rupture de carrière pour qu’une prise de conscience obligée se manifeste? Un peu irresponsable! Mettre au point un rituel régulier de remise en forme, comme une sorte de check-up intellectuello-managérial? Fort envisageable, mais un peu contraignant et obligatoire. Offrir des rencontres privilégiées et très confidentielles avec des leaders formateurs de proximité? Conseil avisé – encore faut-il que le parcours ne soit pas trop balisé par des approches- produits standards, et que l’interlocuteur soit un partenaire reconnu en tant que tel.
 
Toutes ces approches ont de l’intérêt, surtout si la réalité parvient à dessiller les yeux du dirigeant: le monde des humains et leurs interactions – réussies ou ratées – permettent alors de l’inviter à jouer à un ping-pong mental fructueux avec les autres. Seule la réalité humaine, implacable, peut ébranler la superbe position du dirigeant et l’obliger à entrer en form’action. A vous de lui mettre cette évidence sous le nez!
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Maxime Morand, théologien de formation, a fait son parcours dans les RH au Crédit Suisse, à l'Union bancaire privée, puis chez LODH en tant que responsable des RH. Depuis 2012, il est consultant RH indépendant.

Lien: www.provoc-actions.com

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