Apprendre de ses échecs

Les ingrédients d’une culture de l’erreur apprenante

Mettre en place une culture d’entreprise qui considère l’erreur comme une source d’innovation implique une posture managériale basée sur l’exemplarité, la confiance et l’acceptation de sa vulnérabilité. Une culture du feedback en continu est également décisive.

Le contexte VUCA (volatile, incertain, complexe et ambigu), l’intelligence artificielle et les enjeux majeurs qui se posent dans le monde nous incitent à repenser les modèles de croissance économique, les modes de gouvernance et les compétences à développer au sein des organisations. C’est à la fois une chance et une urgence: la transformation des organisations peut engendrer une prise de conscience collective et favoriser l’émergence d’un nouveau paradigme. Personne n’a la recette magique. Il convient donc d’explorer, d’avancer par tâtonnements et parfois… de se tromper. Un nombre croissant d’entreprises ont intégré qu’il fallait valoriser les erreurs afin d’accélérer la transformation, libérer la créativité et la prise d’initiative.

Clarifions d’abord un point sémantique pour distinguer erreur, faute et échec. Commettre une erreur, c’est se tromper. Cela suppose un cadre de référence, une règle, des instructions à respecter. L’échec survient lorsqu’un objectif n’est pas atteint. Si l’objectif n’est pas clairement fixé, il ne peut y avoir d’échec. L’erreur et l’échec sont rarement intentionnels. La faute en revanche est une transgression consciente et volontaire des règles en vigueur. Si interdire les erreurs revient à déshumaniser l’environnement de travail, il faut en tirer les leçons pour qu’elles deviennent source d’apprentissage. Sénèque l’avait déjà bien compris en affirmant: «Errare humanum est, perseverare diabolicum », (si l’erreur est humaine, persévérer dans l’erreur est diabolique). Le droit à l’erreur ne peut en effet pas devenir l’excuse pour de mauvaises performances. En d’autres termes, il faudrait se tromper – oui – mais se tromper vite, évaluer sans cesse les initiatives et en tirer les enseignements!

Se tromper pour innover
Apprendre de ses erreurs est une des bases de la progression des individus et des organisations. C’est – ou cela devrait être – au coeur de la stratégie d’apprentissage continu qui mène à plus d’agilité. Les compétences doivent évoluer constamment pour s’ajuster aux nouvelles exigences. Apprendre, c’est prendre le risque de se tromper.

Parmi les bénéfices évidents du droit à l’erreur, notons celui de favoriser l’autonomie et la créativité. Les progrès et innovations se construisent grâce aux tentatives, aux erreurs et aux ajustements. De nombreux exemples l’illustrent. Rappelons l’idée du fameux «Post-it», résultat d’une erreur d’un scientifique de la société 3M qui essayait sans succès de créer un adhésif puissant. Si la culture du risque fait défaut au sein d’une équipe, les collaborateurs seront peu enclins à sortir de leur zone de confort et choisiront la voie la plus sûre – ce qui est contraire à l’innovation.

Appréhender les erreurs de façon constructive
Certains pays, comme les Etats-Unis, ont un rapport à l’erreur très constructif, dédramatisant les échecs qui deviennent des étapes vers le succès. D’autres pays, comme la France, ont un rapport à l’erreur très négatif. C’est en tous cas l’opinion de Bill Gates qui, lors d’une visite en France, a affirmé que «la seule chose qui freine l’innovation en France, c’est la peur de l’échec». Si l’ensemble des responsables RH interrogés dans le cadre de cet article s’accordent sur le lien entre droit à l’erreur, autonomie, prise de risque et innovation, la plupart reconnaissent qu’une culture de droit à l’erreur n’est pas simple à mettre en place.

Christine Gerritzen, responsable du développement organisationnel chez Roche (pharmaceutique) assure notamment que «chez Roche, on ne sanctionne pas, mais on va aider à apprendre». Elle souligne qu’admettre ses erreurs découle naturellement du concept d’autonomisation «empowerment», intrinsèque à la culture d’agilité déployée chez Roche depuis plus de deux ans.

Pascale Goy, responsable formation et développement au CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire), distingue l’aspect technique de l’aspect humain: «Au niveau de l’aspect technique, l’erreur fait partie du processus d’expérimentation: en phase de construction, le droit à l’erreur est cadré et prévu. Dans la phase d’exploitation en revanche, le droit à l’erreur ne peut pas exister, car les conséquences peuvent être graves». Pascale Goy, convaincue que le droit à l’erreur soutient la créativité, précise que ce sujet est inclus dans de nombreuses formations internes visant à conscientiser les collaborateurs sur les bénéfices des erreurs dès lors qu’elles sont admises, comprises et utilisées pour progresser. Pas toujours facile de faire entendre ce discours auprès d’une population brillante pour qui échec résonne souvent avec préjudice d’image.

David Rault, responsable Learning & Talent Management chez Pictet Wealth Management, adhère entièrement à la culture de l’entrepreunariat visant à booster l’innovation à tous les niveaux de la chaîne de valeur. Il affirme cependant: «Dans les activités bancaires hautement régulées et avec des risques à maîtriser pour assurer un service exceptionnel, il convient de définir les zones dans lesquelles le droit à l’erreur n’est pas admis, ce qui laisse plus de flexibilité pour les autres champs d’expérimentation.»

Sonia Studer, Global HR Head Culture D&I chez Nestlé, poursuit: «Une entreprise qui renforce cette notion de droit à l’erreur, démontre de l’humanité, du réalisme et de l’authenticité. Cela soutient l’innovation, favorise l’esprit d’inclusion et motive les talents.» Si nous nous accordons tous à reconnaître l’innovation comme un facteur clé de la transformation et de la performance, que mettre en place – en pratique – pour favoriser une culture de l’erreur «apprenante»?

La posture managériale
La façon la plus efficace de promouvoir une culture de valorisation des erreurs, c’est l’exemplarité. Le manager doit reconnaître et assumer ses erreurs. En agissant ainsi et en partageant rapidement les enseignements qui en découlent, il encourage les collaborateurs à prendre des risques, des initiatives et donner le meilleur d’eux-mêmes.

La vulnérabilité est une autre qualité essentielle de cette posture managériale favorisant une culture où les erreurs sont des sources d’amélioration. Sonia Studer dit à ce sujet: «Renforcer le message qu’en tant que leader, on ne sait pas tout et que l’on se trompe aussi, est crucial.» De nombreuses études ont montré que – contrairement aux idées reçues – se montrer vulnérable renforce l’impact du leader. Il s’agit d’être tout simplement pleinement humain et de se montrer en tant que tel. Selon Christine Gerritzen, «la vulnérabilité est très présente dans la culture Roche».
Enfin, l’empathie permet d’appréhender échecs et erreurs avec plus de justesse. Le leader empathique saura dépersonnaliser l’erreur en pointant, avec bienveillance, non pas la personne mais les comportements ayant mené à l’erreur – condition essentielle pour maintenir la confiance du collaborateur et l’inciter à utiliser cette expérience comme opportunité de développement.

Cette posture managériale est évidemment éloignée du micro-management et du mode autoritaire (Command and Control) qui peuvent être appropriés dans certaines situations de crise, mais tendent à tuer autonomie, motivation et créativité. Elle relève d’un style «coaching» ou «collaboratif» qui correspond d’ailleurs beaucoup plus à ce que recherchent les nouvelles générations.

Instaurer un climat de confiance
Au-delà de la posture managériale, l’essentiel est de créer une atmosphère de «sécurité psychologique ». C’est en quelque sorte le terreau sur lequel viennent se greffer les comportements alignés avec la culture de l’erreur apprenante. Il n’est pas question d’autoriser ou non l’erreur, mais d’instaurer un climat de confiance dans lequel les collaborateurs ne sont pas paralysés par la peur de mal faire, mais encouragés à proposer des idées et des projets audacieux.

Initier un système de feedback progressif est l’un des leviers les plus efficaces pour que l’erreur ne soit plus un tabou paralysant, mais au contraire un accélérateur d’innovation. Les erreurs ne sont utiles que si elles sont utilisées comme tremplin en se posant la question: que pouvons-nous apprendre de cette expérience? Certaines organisations ont mis en place une pratique visant à célébrer en équipe les erreurs les plus utiles; partager ensemble les «meilleurs apprentissages » permet aux collaborateurs de s’exprimer plus librement sur ces sujets et d’en saisir les enseignements. A défaut, il convient d’intégrer la valorisation des erreurs dans les entretiens d’évaluation annuels.

Cette culture de l’erreur apprenante est proche de ce que nous appelons au sein du Resilience Institute une culture résiliente, qui favorise la flexibilité – la capacité à naviguer à travers les hauts et les bas – pour rebondir plus vite, et plus haut!

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D’origine belge et vivant en Suisse, Alexia Michiels est associée au Resilience Institute depuis 2010. Elle accompagne aujourd’hui, dans de nombreux pays, les organisations qui, dans un monde complexe, souhaitent créer une culture de résilience et ainsi être prêtes à relever avec joie et succès les défis d’un monde en pleine transformation. Elle est l'autrice des livres «L’Elan de la Résilience» (Favre, 2017) et «Quotient Résilience – au cœur d’un leadership pleinement humain» (Favre, 2021).

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