Conseils pratiques

Lutter contre l’épidémie des troubles psychosociaux

Retour sur le colloque-formation organisé à Genève le 3 mars 2016 par l’OCIRT (Office cantonal de l’inspection et des relations du travail) et la HEG Arc, qui a réuni 200 personnes du monde de l’économie et de la santé au travail.
Les risques psychosociaux (RPS) représentent en Suisse comme en Europe une véritable épidémie. Alors que les accidents du travail sont en net recul, les RPS ne cessent, eux, d’augmenter, entraînant des conséquences néfastes: problèmes cardio-vasculaires et troubles musculo-squelettiques (TMS) notamment. Entraînant aussi de la souffrance humaine, accidents, absences au travail, bref: des impacts négatifs sur le fonctionnement des entreprises et des organisations – absences, turnover, etc. – et finalement des coûts importants pour la collectivité toute entière. 
 
Autant de raisons pour l’OCIRT, en partenariat avec la HEG Arc reconnue pour son engagement dans les questions de santé dans le monde du travail, d’apporter sa contribution en proposant une journée de réflexion sur cette thématique. Le colloque qui s’est tenu le 3 mars 2016 à Genève a ainsi abordé la question des facteurs de risques psychosociaux et des moyens de prévention en plaçant l’organisation du travail au centre des questionnements et des débats. 
 

Des conférences plénières pour comprendre 

Quatre conférences plénières ont permis de planter le décor. Dominique Lhuilier, professeure au Conservatoire des Arts et Métiers (CNAM) de Paris ouvrait la journée en traitant du thème des vulnérabilités au travail et de leur reconnaissance. Dans notre monde où l’on idolâtre l’excellence et la performance, aurait-on oublié qu’il y a en Suisse près de deux millions de malades chroniques? Or la montée en puissance de la notion de vulnérabilité dans le monde du travail est associée à des attributs dévalorisants. Les formes de catégorisation et de traitement de ceux qui, individuellement ou collectivement, se voient accoler cette étiquette de «vulnérables» contribuent à fabriquer une représentation duale du monde du travail. Pour la professeure, l’occultation de la vulnérabilité ontologique au profit de processus de projection et de clivage favorise une conception désincarnée et idéalisée de la personne autonome. A contrario, la reconnaissance de cette vulnérabilité et des obligations sociales qu’elle implique est une condition d’une authentique prévention des altérations de la santé au travail et de l’humanisation du travail. 
 
Sandrine Caroly, professeure d’ergonomie à l’Université de Grenoble, abordait ensuite la question de la santé sous l’angle collectif. Elle montrait que l’activité collective, fondée sur l’articulation entre le travail collectif et le collectif de travail, est une ressource psychosociale pour construire la santé. En effet, le travail collectif a pour fonction d’une part de réguler les contraintes dans l’action et de participer d’autre part à favoriser la transmission de l’expérience. Quant à lui, le collectif de travail ne se décrète pas, mais se construit dans et par le travail collectif et a pour fonction de donner du pouvoir d’agir à chacun. Ainsi, par des processus de réélaboration des règles, de développement des compétences et d’enrichissement de la vitalité du collectif de travail, l’activité collective, quand elle est rendue possible par les marges de manœuvre organisationnelles, favorise la préservation et la construction de la santé des travailleur-e-s ainsi que l’efficacité du travail. 
 

Solutions d’optimisation dans la supply chain 

Troisième conférencier de la journée, Philippe Wieser, professeur à l’EPFL et à l’École des Ponts ParisTech, montrait que la question de la gestion efficiente de la supply chain, ou réseau de valeur d’un produit ou d’un service, constituait de nos jours un facteur majeur de différenciation d’une entreprise ou d’un secteur d’entreprises, face à ses concurrents. Le domaine de la supply chain, expliquait le professeur, est actuellement en pleine mutation technologique et organisationnelle, les innovations techniques changeant en profondeur la façon de gérer globalement tout réseau de valeur d’entreprises ou d’organisations. Il s’attachait alors, sous fond de lean management, à montrer comment certaines solutions d’optimisation, techniques et logiques de la supply chain pouvaient avoir un impact, potentiellement positif, sur l’humain, en matière de santé physique et psychologique. 
François Pichault, professeur aux HEC de l’Université de Liège et à l’ESCP-Europe, spécialiste reconnu en gestion des ressources humaines (GRH), défendait finalement l’idée que les RH devaient adopter une posture contextuelle et se situer loin d’une large part du management moderne qui repose sur un appel incantatoire à faire face à l’incertitude, aux tensions, aux paradoxes. La gestion de ces situations contradictoires, rappelait-il, est le plus souvent renvoyée aux individus eux-mêmes et est à l’origine de nombreux problèmes de santé au travail: stress, burnout, conflits interpersonnels, etc. Dans un souci de cohérence «GRH/organisation» dans l’analyse des problèmes de santé au travail, il défendait la nécessité de réinvestir dans l’articulation des politiques RH au travail «réel» pour tenter de réduire ces difficultés. L’exposé du professeur belge esquissait des propositions dans ce sens: expliciter la vision RH en la co-construisant, rechercher la cohérence interne des pratiques RH et veiller à leur articulation aux fonctionnements organisationnels concerts – cohérence externe.
 

Des ateliers pour agir

Dans le cadre de la campagne actuelle de prévention des risques psychosociaux, initiée par le Secrétariat d’État à l’économie, un atelier intitulé «Facteurs de risques psychosociaux, modèles de prévention et pratiques de terrain» et animé par Patrice Fosse (OCIRT) et Stéphanie Lauterburg-Spori (SECO) a permis de faire le point sur la réalité des risques psychosociaux dans les entreprises en Suisse, ainsi que sur leur prévention. Des résultats d’études, menées auprès de travailleurs et d’entreprises, ont été présentés et discutés en regard des différents facteurs de risques qui peuvent conduire à une situation de travail dégradée. Les dispositifs de prévention seront aussi abordés tant sur le plan réglementaire qu’au niveau des fondamentaux de gestion et d’organisation du travail qui favorisent le bon fonctionnement d’une entreprise et qui, par ce biais, participent à la santé au travail. 

 

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Nataša Vukašinovic est collaboratrice scientifique à la HEG Arc de Neuchâtel.

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Alain Max Guénette est ancien professeur de gestion de la HES-SO et chercheur associé au Centre de gestion scientifique de Mines ParisTech.

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