Portrait

Assoiffé d’addictions

Le psychologue Dwight Rodrick est le spécialiste romand des problèmes d’addictions sur le lieu de travail. Très bon communicateur, cet humaniste au service des gens intervient dans plusieurs entreprises de l’Arc lémanique.

Les dépendances au travail sont-elles toujours d’actualité? Et bien oui, si l’on en juge les propos de Dwight Rodrick, responsable prévention et formations en entreprises d’Addiction Info Suisse, anciennement ISPA – Institut suisse de prévention de l’alcoolisme et autres toxicomanies – une fondation privée, indépendante sur les plans politique et confessionnel, et qui poursuit un but d’utilité publique. Il s’agit d’un problème lié à une société qui utilise de plus en plus de substances psychotropes dans la sphère professionnelle. 

Très tourné vers les problèmes des gens, Dwight Rodrick étudie depuis de nombreuses années les conduites dopantes au travail. «Il s’agit de personnes qui consomment des substances qui vont de l’alcool aux médicaments en passant par les drogues et autres amphétamines, pour faire face à un obstacle réel ou perçu comme tel. Le produit dopant agit comme une béquille. Ces individus en ont besoin soit pour travailler plus ou soit pour supporter leur activité lorsqu’ils vieillissent ou lorsque l’organisation du travail a changé au sein de la firme. Le culte de la performance influence aussi certains comportements.» 

Le problème n’est pas anodin. En chiffres, les coûts sociaux de la consommation d’alcool représentent 6 milliards de francs en Suisse. Concernant les drogues illégales, on les estime à 4 milliards de francs. 

La fin du tabou 

Il y a quelques années encore, l’introduction de politiques internes pour gérer des problèmes d’alcool dans les milieux professionnels, aussi bien dans les entreprises, les administrations publiques, les organisations non gouvernementales ou les associations, se heurtait à de nombreuses réticences. 

Aujourd’hui, dans son contrat quotidien avec les entreprises, Addiction Info Suisse a pu constater une diminution nette des tabous entourant le sujet de l’alcool au travail, ainsi qu’une plus grande disposition à l’aborder. Tout simplement parce que le traitement des problèmes liés à l’alcool est entré dans la politique de gestion du personnel de nombreuses entreprises. 

Le sujet de l’alcool au travail est enfin reconnu comme une réalité et une problématique que ne peuvent ignorer les divers milieux professionnels. Le monde du travail est le reflet de notre société. Les problèmes d’alcool peuvent toucher n’importe qui, quelle que soit sa classe sociale, sa formation ou ses capacités intellectuelles. Si l’on considère qu’environ 5 pour cent de la population adulte suisse a des problèmes avec l’alcool, il est logique de retrouver cette proportion dans le monde du travail. 

Légalement selon la LAA art 82, la direction d’une entreprise est responsable de ses collaborateurs. Elle se doit de garantir la sécurité de tous sur le lieu de travail et d’éviter les accidents. Pour les employés qui conduisent un véhicule ou utilisent des machines dangereuses, la consommation d’alcool est très risquée. Elle peut entraîner une perturbation de la capacité d’attention et de concentration, une diminution des réflexes, une altération de la vision et de l’audition ou encore une perte de discernement. 

En ce sens, l’employeur se doit de prendre des mesures pour gérer les problèmes d’alcool ou autre dépendance au travail. Il s’agit d’une responsabilité juridique et sociale. Alors comment intervenir concrètement? Cette question suscite le débat. Selon Dwight Rodrick, la priorité consiste à sensibiliser les cadres à l’apparition de comportements à risque. 

La meilleure solution est de discuter directement avec la personne concernée, même si le sujet reste difficile à aborder, surtout si l’on suppose qu’il y a une consommation excessive de produits psychotropes. «Lorsque des signaux d’alerte sont détectés, il ne faut pas stigmatiser une personne. Le rôle du cadre n’est pas de poser un diagnostic comme un médecin, mais plutôt de se focaliser sur les faits relatifs à un comportement dysfonctionnel ou relatif à d’autres causes comme des maladies, des problèmes familiaux ou d’argent. 

Son rôle n’est pas non plus de faire entendre raison de force. Parmi les signaux d’alerte, il peut s’agir par exemple de retard au travail, de grande fatigue, de non respect des délais, de comportements inappropriés envers les collègues», explique le formateur-psychologue. Un cadre ne peut intervenir sur ce terrain et se muer en donneur de leçons lorsqu’il s’agit de la sphère privée d’une personne. Il n’en a ni le devoir ni les compétences, car il n’est pas spécialisé en la matière. 

D’autant que certains collaborateurs sujets à un problème de dépendance sont vulnérables et peut-être même non conscients du problème. D’autres vivent dans le déni et semblent ignorer la réalité. En revanche, il peut, en s’appuyant sur des faits concrets et des aspects qui interpellent, mettre la pression sur son collaborateur. C’est à ce niveau là que le cadre peut agir. 

Un coaching pour les cadres 

Addiction Info Suisse a donc développé une formation pour cadres dans le but d’aider à mieux gérer les problèmes liés à l’abus et à la dépendance sur le lieu de travail. La fondation propose aux sociétés de tout bord qui en font la demande un cours spécialisé qui se focalise sur la manière d’aborder un problème de dépendance d’un collaborateur. 

«L’idée est d’aborder en priorité les aspects factuels avec l’employé et de lui fixer des délais de manière objective en fonction du niveau de dysfonctionnement au poste de travail. Ensuite, si cela ne suffit pas, dans un deuxième temps, il faut travailler en amont avec les RH ou la direction, si l’entreprise ne dispose pas de services de ce type pour poser des questions plus profondes à la personne», explique Dwight Rodrick. En tous les cas, l’idée est d’intervenir le plus vite possible dès que l’entreprise décèle un problème et de ne pas se retrouver dans l’incapacité d’y faire face. 

Les cas de dépendance se développent progressivement, dans la durée, et sont peu visibles à leurs débuts. Mais tôt ou tard, le comportement au travail change et les prestations s’en ressentent. «On ne peut licencier quelqu’un pour alcoolisme», rappelle Dwight Rodrick, «Seule l’inadéquation au travail est un motif de renvoi. Mais si les entreprises nous contactent, c’est qu’elles considèrent qu’une bonne solution vaut mieux qu’un licenciement. Lorsqu’on licencie, tout le monde est perdant.» 

La notion de co-dépendance est aussi traitée. La personne malade est couverte par un collègue qui ferme les yeux sur son comportement, pensant ainsi l’aider. Car on se connaît entre collègues souvent depuis très longtemps. On échange des choses personnelles, des liens d’amitié se tissent. Lorsqu’un collègue de travail est concerné par un problème de dépendance, les autres sont aussi affectés. 

Des grandes entreprises comme Swissair, Migros, La Poste, la SUVA, les SIG (services industriels genevois), ou encore le site chimique de Monthey ont choisi Addiction Info Suisse pour les accompagner dans leur stratégie d’action pour gérer les problèmes liés à une consommation problématique d’alcool au travail. Des administrations comme l’Etat de Genève, la ville de Lausanne, l’hôpital universitaire de Zurich et le centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) ont aussi fait cette démarche. 

Un psychologue humaniste 

Né à Lausanne en 1954, Dwight Rodrick a débuté sa carrière comme psychologue au ser- vice des toxicomanes pendant deux ans. «La problématique m’a interpellé», explique le charismatique formateur de double nationalité, suisse et américaine. Il bifurque ensuite pour œuvrer dans le domaine de l’audiovisuel pendant une quinzaine d’années. Il sera tour à tour animateur d’émissions, producteur à la RSR et puis réalisateur à la TSR. Un jour, il souhaite obtenir une expertise dans un domaine et approfondir les choses. 

«Dwight Rodrick aime creuser les situations et trouver non pas une mai plusieurs solutions à un problème. Il aime les choses complexes qui le font bouger», confirme Michel Graf, directeur d’Addiction Info Suisse. Le psychologue quitte alors le monde des médias pour se consacrer à nouveau à son intérêt pour les êtres humains. 

A ce moment-là, il crée sa propre structure de prévention contre les dépendances. Il y a sept ans, il poursuit dans sa démarche de prévention contre l’alcool et les autres drogues en entrant au service de l’ISPA. Il devient alors formateur spécialisé en matière de dépendance. Quand il ne travaille pas, l’homme se plait à voyager. Il aime aussi lire et regarder un bon film ou une série TV. 

Très bon communicateur, ce perfectionniste s’exprime avec aisance de ces sujets parfois difficiles. Il a le sens de la synthèse et sait se faire écouter du public. Son passage dans le monde des médias lui a sûrement permis de développer cette manière agréable d’aborder un thème parfois lourd.

Lien: www.alcoolautravail.ch

 

Dwight Rodrick en 20 secondes

Un plaisir? Être seul dans la nature

Une corvée? Les soirées «mondaines»

Un livre? Un polar

Un plat? Salade de rougets

Une boisson? Une bière blanche, en été, sur une terrasse à Bruxelles

Un objet fétiche? Un caillou d‘Australie

Le meilleur conseil reçu? «Fais comme toi tu le sens»

Bio express

  • Formation de psychologue à l’UNIGE
  • Exerce comme psychologue dans un centre de toxicomanes 
  • Crée sa propre structure de prévention 
  • Animateur, producteur au sein de la RSR et de la TSR 
  • Psychologue formateur chez Addiction Info Suisse 
  • Postgrades en management social et en ressources humaines à l’UNIGE

 

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Patricia Meunier est journaliste indépendante en Suisse romande. Elle collabore avec HR Today depuis 2010.

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