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Ces managers RH qui font peur aux collaborateurs

«Ma porte est toujours ouverte.» Quel manager RH n’a-t-il pas fait cette promesse? La réalité serait différente, selon deux experts britanniques. Réactions.

La majorité des managers RH seraient largement inconscients de leur capacité naturelle à dissuader les collaborateurs de venir leur parler. Et plus ils paraissent intimidants, moins il y a de chances pour que quelqu’un ose le leur dire. «Le pouvoir détermine qui va pouvoir dire quoi et à qui. Ce n’est pas toujours juste, mais vous ne pouvez pas y échapper», expliquent deux experts britanniques, Megan Reitz et John Higgins, dans un livre intitulé Speak up! Say what needs to be said and hear what needs to be heard (Exprimez-vous! Dites ce qui doit être dit et écoutez ce qui doit être écouté).

Publié cet été et disponible en anglais uniquement, ce livre est l’aboutissement de quatre années de recherches incluant 150 managers et quelque 4000 salariés de tous les continents. Même s’ils reconnaissent que les relations avec la hiérarchie sont en partie influencées par la représentation que chacun se fait personnellement du pouvoir, ils concluent que les managers RH sont moins accessibles qu’ils ne veulent bien le faire croire. Interrogés, une dizaine de DRH de Suisse romande ont accepté de témoigner.

Vincent Bourgeois, DRH chez BOBST

 

Avez-vous remarqué que vous intimidiez vos collaborateurs?
Oui, dans une certaine mesure. En fait, chaque personne est différente, ce qui fait que les gens sont plus ou moins intimidés par la hiérarchie.

À quoi le remarquez-vous? 
(Réfléchit). Eh bien, certaines personnes me le disent. Parfois trop tard. Ce qui est important, c’est de cultiver un réseau interne pour encourager les collaborateurs à venir parler, soit pour eux-mêmes soit pour leurs collègues.

Avez-vous mis en place des mesures correctives? 
Au niveau de la direction, on a pris des mesures assez simples. Par exemple, on essaie d’alterner nos lieux de réunions pour être plus visibles et plus accessibles. Cela nous rend moins intimidants. Quand un représentant du personnel ose me de- mander un entretien, je dis systématiquement oui. C’est le meilleur exemple que je puisse donner. Parce que ces gens-là font passer le message.

Markus Rueff, Head of HR du Groupe Adecco Suisse

 

Avez-vous remarqué que vous intimidiez vos collaborateurs?
Oui, nous avons pu constater que les RH sont parfois amenés à intervenir tardivement sur certaines problématiques. Les succursales fonctionnent souvent comme des «petites familles» où l’esprit d’équipe et la solidarité sont des valeurs importantes. Il y a un risque pour que le fait de reporter certains problèmes aux RH soit perçu comme une «trahison». Certaines informations ne ressortent que lors de l’entretien de départ.

Avez-vous mis en place des mesures correctives?
Oui, nous avons des plateformes externes et confidentielles. Lors de l’accueil des nouveaux collaborateurs, nous mettons l’accent sur ces deux points. En plus, on a des modules de compliance obligatoire dont le Whistleblowing fait part.

Urs Horber, responsable du département HR d’AXA par intérim

 

Avez-vous remarqué que vous intimidiez vos collaborateurs?
Ils ont la possibilité de s’adresser non seulement à leur responsable hiérarchique direct, mais aussi à des membres des ressources humaines, à savoir les HR Business Partners, les HR Managers ou le responsable HR. Par ailleurs, différents services des HR peuvent agir en tant que médiateurs en cas de problème. En dehors du département HR, nous avons une délégation du personnel qui peut aider nos collaborateurs à tout moment. Nous constatons que nos collaborateurs sollicitent ce réseau. Nous présumons donc qu’ils abordent ouvertement les difficultés auxquelles ils font face.

Avez-vous mis en place des mesures correctives?
Comme nous venons de le dire, nos collaborateurs ont une multitude d’interlocuteurs auxquels ils peuvent s’adresser et nous ne voyons actuellement pas la nécessité d’en proposer d’autres.

Ida Tanner, responsable RH Groupe Amag

 

Avez-vous remarqué que vous intimidiez vos collaborateurs?
Chez nous, le département RH est une unité d’affaires indépendante, donc neutre. L’expérience et les enquêtes montrent qu’il est perçu comme un prestataire de services professionnels. Nous n’avons donc pas détecté de problème.

Avez-vous mis en place des mesures correctives?
Comme certains collaborateurs sont plus réservés que d’autres, nous avons introduit il y a quelques années un système de dénonciation. Cela leur permet de signaler des situations de manière anonyme. Cependant, nous sommes heureux de constater que les sujets délicats sont abordés de plus en plus ouvertement. La porte des RH reste ouverte dès que notre agenda le permet et cela vaut aussi pour l’ensemble des directeurs régionaux des RH.

Marie-Laure Rivier, Group Leader HR Frontline, CERN

 

Avez-vous remarqué que vous intimidiez vos collaborateurs?
Nous ne pouvons pas dire qu’il y ait une défiance vis-à-vis des RH. Cependant, nous avons préféré admettre que dans certaines situations, certains collaborateurs vont vouloir se confier à d’autres personnes. Ils peuvent s’adresser à leur Manager, qui devrait rester l’interlocuteur principal, aux conseillers en ressources humaines, aux assistantes sociales, à l’association du personnel, à l’Ombudsman ou au service médical, au sein duquel intervient une psychologue. L’expérience montre que le choix diffère selon que la personne vient pour obtenir personnellement du soutien ou pour reporter des problèmes qui nécessitent des actions. En ce qui concerne les signalements de «misconduct», il a été rapporté que les personnes se perdaient parfois dans les méandres des services. Nous réfléchissons à un point d’entrée unique pour traiter ces problèmes de conduite, même si la personne pourra toujours aller se confier vers les autres points d’entrée. Deux ingrédients sont essentiels: la confiance que nous accordons à l’autre et qui appelle la réciprocité; la congruence, quand nous disons que nous allons faire quelque chose et que nous le faisons réellement.

Rudolf P. Winzenried, secrétaire général Kambly

 

Avez-vous remarqué que vous intimidiez vos collaborateurs?
Notre entreprise familiale défend des valeurs telles que l’estime et le respect pour tous, c’est-à-dire vous n’êtes pas «meilleur» parce que vous êtes chef de service, par exemple. C’est simplement qu’on vous a confié une tâche que vous allez devoir accomplir selon la devise «diriger, c’est servir». Voilà pourquoi ni le directeur RH ni aucun autre cadre n’intimide les employés par sa position hiérarchique.

Stephen Ragg, Head Group HR La Bâloise

 

Avez-vous remarqué que vous intimidiez vos collaborateurs?
La Baloise cultive une culture d’entreprise très ouverte où les employés sont encouragés à signaler tout problème immédiatement. «Osez parler: chaque avis compte» est l’un de nos codes de conduite et il s’applique à tous les niveaux hiérarchiques. Les employés sont libres de choisir s’ils veulent contacter leur superviseur, leur HR Business Partner, le directeur RH ou le CEO en personne. Une ligne d’assistance téléphonique pour les dénonciations anonymes est également à la disposition des employés. Nous avons fait des expériences très positives avec cette culture d’entreprise. Au début, les employés étaient un peu hésitants. Avec le temps, ils ont remarqué qu’ils pouvaient non seulement signaler un problème au niveau du CEO mais que, dans certains cas, ils devaient le faire.

Jannine Hodel, Head HR & Administration Hero Schweiz

 

Avez-vous remarqué que vous intimidiez vos collaborateurs?
Comme nous avons beaucoup investi dans la communication et les ressources humaines ces dernières années, notre département RH jouit maintenant d’une bonne réputation au sein de l’entreprise. Pour cette raison, nous n’avons pas d’intérêt à répondre à vos questions.

Marianna Fellmann, Media Relations Manager, Nestlé Suisse

 

Avez-vous remarqué que vous intimidiez vos collaborateurs?
Nos collaborateurs peuvent obtenir de l’aide et reporter un problème par différents moyens. Ils sont encouragés à s’adresser en priorité à leur supérieur hiérarchique et ensuite, en cas de besoin, aux Ressources Humaines. Nous avons également mis en place un programme d’assistance externe pour soutenir les collaborateurs qui traversent des situations personnelles et professionnelles difficiles. Enfin, nous avons une commission du personnel qui joue un rôle de conseiller et éventuellement de modérateur.

Prisca Huguenin, Directrice de la communication Hotelplan Group

 

Avez-vous remarqué que vous intimidiez vos collaborateurs?
Non. Nous avons pris des mesures préventivement, en faisant appel à un prestataire externe spécialisé dans les systèmes de signalement garantissant que la source d’information ne pourra en principe pas être retracée par l’entreprise. (...) Au lieu de se contenter de décrire la culture de la confiance et de la communication, il faut la vivre au quotidien...

 

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Typographe de premier métier, Francesca Sacco a publié son premier article à l’âge de 16 ans pour consacrer toute sa vie au journalisme. Elle obtient son titre professionnel en 1992, après une formation à l’Agence télégraphique suisse, à Berne. Depuis, elle travaille en indépendante pour une dizaine de journaux en Suisse, en France et en Belgique, avec une prédilection pour l’enquête.

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