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Changer de boulot est parfois une fausse bonne idée

Le 31 mars a été institué «Journée mondiale pour quitter les boulots médiocres». Mais tous les travailleurs mécontents n’ont pas intérêt à démissionner pour autant.

Être malheureux au travail peut nuire à votre carrière, votre santé et votre vie privée. C’est ce qu’affirme une société danoise spécialisée dans la promotion du bien-être au travail, Woohooinc.com, qui compte parmi ses clients des entreprises telles que Microsoft, Pfizer, Ikea et Oracle. Elle a instauré une «Journée mondiale pour quitter les boulots médiocres», fixée au 31 mars. Sur son site, www.internationalquityourcrappyjobday.com, elle propose même un test d’auto-évaluation, au cas où vous auriez des doutes sur votre situation. Le test est en anglais, mais il en existe d’autres en français, par exemple sur le site du magazine spécialisé psychologies. com (http://test.psychologies.com/tests-travail/tests-vie-professionnelle/Ch…). À Genève, la consultante et coach diplômée Anika Månsson, fondatrice de la société de conseil en gestion de carrière et management Happy At Work, en a également élaboré un (voir ci-contre).

Selon certains sondages, moins d’un quart des actifs seraient satisfaits de leur travail. Environ 25% d’entre eux auraient démissionné intérieurement et 60% se limiteraient à faire ce qu’on attend d’eux. Mais la démission est-elle une bonne solution? «Au cours de ma carrière, j’ai accompagné des centaines de personnes dans leur changement de poste. D’après mes observations, si j’essaie de faire une statistique approximative, je dirais que 80 à 90% des gens sont plutôt contents après coup. Pour les 10 à 15% restants, la cause la plus plausible est que la personne n’avait pas vraiment pris le temps de réfléchir. C’était peut-être une fuite en avant. Il est important de bien peser le pour et le contre, parce que cette décision implique un processus de deuil. Si c’est une fuite en avant, vous risquez d’emporter le cadavre avec vous. Vouloir changer de boulot par exaspération ou par lassitude sans avoir construit un projet professionnel, c’est un peu comme s’imaginer qu’on va dégotter le palais des 1001 nuits juste parce qu’on en a marre de son deux-pièces cuisine», renchérit Sylvaine Pascual, spécialiste de la reconversion professionnelle et fondatrice du site ithaquecoaching.com qui enregistre plus de 100 000 visites par mois.

Des signes éloquents

Quels sont les signes qui montrent qu’il est temps de changer d’air? Fabrice Mazoir, auteur du blog www.blog-emploi.com consacré à l’actualité du monde du travail, du marché de l’emploi, de la gestion de carrière et des ressources humaines, a identifié 7 signes qui plaident en faveur d’une démission: votre carrière est au point mort; votre travail n’est pas reconnu à sa juste valeur; vous n’avez pas de feedback de votre manager; vous n’apprenez plus rien; le turn-over s’accélère; une restructuration se profile; les chasseurs de têtes s’intéressent à vous et, enfin, vous sentez que «c’est le bon moment». Mathias Steger, Content Manager sur la plateforme d’emploi jobup.ch, mentionne pour sa part l’ennui, le manque d’envie de s’investir. «La baisse d’enthousiasme est un vrai signal», confirme Hélène Picot, coach et fondatrice d’une méthode de reconversion professionnelle intitulée Rêvez, Osez, Foncez: 3 mois pour trouver sa voie. L’ennui n’est pas forcément explicable: on peut très bien avoir une situation professionnelle confortable et même enviée par beaucoup de gens, sans toutefois y trouver son compte, ajoute la coach professionnelle Bérangère Toucheman, créatrice du cabinet coachingdecarriere.com, visité par plus de 20’000 internautes. Mathias Steger cite également l’absence de défi. «Il y a évidemment des emplois qui n’offrent pas beaucoup de variété. La question que vous devez vous poser est très simple: avezvous besoin de nouveauté dans vos tâches? Sinon, vous pourriez commencer à chercher un nouvel emploi.» Si l’argent est votre seule motivation, attention aussi. «Demandez-vous ce qui compte le plus pour vous. Après tout, vous passez beaucoup de temps au travail. Ne serait-ce pas mieux d’en choisir un autre, quitte à toucher un salaire plus modeste? Cependant, il va de soi qu’un salaire trop bas est une bonne raison de chercher un nouvel emploi.» Last but not least, les problèmes d’entente dans l’équipe ou avec la hiérarchie. «Tout cela n’annonce rien de bon. La réorientation professionnelle est certainement une meilleure option.» Fondatrice du site oserrever-sa-carriere.com, la consultante en reconversion professionnelle et bilan de carrière Marina Bourgeois, relève encore deux autres signes d’alerte: la somatisation (fatigue, irritabilité, problèmes de sommeil, etc.) et... la jalousie envers ceux qui, de toute évidence, sont heureux au travail. «La jalousie trahit une frustration qui mérite une introspection», affirme-t-elle.

Seuls 3% de mal lotis

Gare aux démissions mal préparées ou précipitées. À Lutry, le consultant Daniel Held, directeur du cabinet Piman, constate une recrudescence de «mauvaises démissions». La personne ne part pas pour un meilleur emploi, mais pour fuir une situation vécue comme intolérable. Le risque est de se retrouver dans une situation encore moins plaisante. Certains ne voient finalement pas d’autre solution que de retourner chez leur ancien employeur pour demander une réintégration. Sans nier l’intérêt de quitter un travail qu’on n’aime plus, la psychologue Madeleine Leitner, consultante et conseillère en placement bien connue en Allemagne, où elle intervient sur certains plateaux télévisés, est persuadée qu’il suffit parfois de peu pour se remotiver. Par exemple, prendre un autre horaire de travail – quand c’est possible –, développer un intérêt pour un hobby, changer de bureau voire de meubles de bureau. Au final, seulement 3% des travailleurs ne seraient pas à la bonne place, estime-t-elle. Sylvaine Pascual abonde en ce sens. Démissionner parce qu’on ne supporte plus son chef ? «Il faut être deux pour avoir de mauvaises relations et partir sans explorer sa part de responsabilité, c’est prendre le risque de reproduire ailleurs le même schéma relationnel. Votre boss actuel peut vous fournir un magnifique terrain d’entraînement.» Partir pour gagner plus d’argent? «Voilà une motivation aussi répandue que la grippe en hiver. Cependant, cela signifie souvent augmenter son temps de travail, ses responsabilités et donc son stress.»

Dans les faits, jusqu’à 70% des personnes qui se plaignent de leur travail décideraient de rester où elles sont. Quelles que soient leurs raisons, elles ont quelque chose à y gagner. Un sondage réalisé par la chaire Nouvelles carrières de la grande école de commerce Neoma Business School suggère que la mobilité ne paie pas. Le meilleur moyen de faire une belle carrière serait d’être fidèle à son employeur. Les cadres les mieux récompensés en interne sont ceux qui gravissent patiemment les échelons de la hiérarchie. Ils sont qualifiés par les chercheurs de «héros discrets». Ceux qui bougent beaucoup, qualifiés de «mercenaires», ont tendance à faire une carrière moyenne, alors que ce modèle est largement valorisé dans les discours managériaux. Après un début de carrière très rapide (avant l’âge de 35 ans), leur progression est beaucoup plus lente. Le discours sur les vertus de la mobilité externe «fait prendre des risques considérables aux futurs cadres et masque les clés du succès», conclut l’étude.

Changer de boulot: 5 questions pour savoir s’il est temps

  1. Vous préfériez ne pas aller au travail: Vous y allez à reculons et, une fois sur place, le temps passe incroyablement lentement. Vous attendez avec impatience le vendredi après-midi, les vacances, la retraite...
  2. Vous ne vous plaisez plus: Votre travail vous pompe votre énergie et vous vous sentez souvent vidé, sans motivation, sans inspiration.
  3. Vous êtes envieux des autres: Vous avez du mal à vous réjouir pour les autres et à leur donner un feedback positif. Quand quelqu’un réussit dans votre entourage, vous êtes plutôt jaloux et négatif.
  4. Vous aimeriez pouvoir refaire votre vie: Si seulement vous pouviez remonter le temps! Vous n’auriez jamais choisi le même travail.
  5. Un mal-être s’installe: Vous dormez mal à cause de votre travail, vous ruminez sans cesse. Les maux de tête ou de ventre se font sentir de plus en plus souvent.

Pour vous autoévaluer:

À partir de 2 signes présents parmi les 4 premiers: faites un bilan de carrière et envisagez de changer de poste.

Signe 5 présent: consultez un médecin et changez de travail au plus vite. D’après Anika Månsson, Happy At Work

 

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Typographe de premier métier, Francesca Sacco a publié son premier article à l’âge de 16 ans pour consacrer toute sa vie au journalisme. Elle obtient son titre professionnel en 1992, après une formation à l’Agence télégraphique suisse, à Berne. Depuis, elle travaille en indépendante pour une dizaine de journaux en Suisse, en France et en Belgique, avec une prédilection pour l’enquête.

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