Gig Economy

Comment adapter le suivi RH aux formes de travail atypiques

Consultants permanents ou détachés, en mission longue ou brève, freelances réguliers, personnel temporaire, stagiaires, bénévoles ou encore civilistes: quel accompagnement RH proposer à ces externes?

Le marché du travail se complexifie et les emplois se transforment. L’activité en freelance augmente chaque année; certaines études prédisent même pour les USA que leur nombre dépassera les 50% en 2027: d’un côté la volonté des individus d’équilibrer leur vie, associée à une envie de plus d’épanouissement personnel et de l’autre, la nécessité des entreprises de maîtriser leurs coûts, de gagner en flexibilité, de maîtriser le risque sur une activité clé ou de s’adjoindre des compétences spécifiques pour une durée donnée.

C’est en croisant ces tendances que les formes de travail atypiques se multiplient, donnant ainsi naissance à diverses configurations de collaborations au sein d’une même entreprise. Leurs points communs: ils ne font pas partie du payroll de l’entreprise; en revanche, ils se distinguent par la nature et la durée de leur mission, ainsi que par leur visibilité à l’interne ou par les clients (consultant en marque blanche). Cela influence leurs perspectives, leurs motivations, leurs approches et leur loyauté envers l’entreprise. Ils échappent en partie au système interne de règles et d’organisation. Mais malgré ces distinctions, ils partagent, avec les collaborateurs en place, des objectifs, une mission et des valeurs. À ce titre, ils font bien partie d’une même organisation et parfois d’une même équipe et méritent un regard RH dédié.

Plus la mission sera longue (ou récurrente) et de nature opérationnelle, plus la relation sera apparentée à une gestion RH classique d’un collaborateur; en tous les cas, les aspects suivants peuvent servir de fil rouge dans la réflexion.

Obligations légales

Le service RH, dans sa dimension d’administration du personnel, devra être attentif au respect de différentes contraintes légales: il devra vérifier le statut de l’intervenant. S’il est indépendant (aux yeux des assurances sociales suisses), le consultant devra fournir une attestation officielle. Dans le cas contraire, l’entreprise risque de devoir payer les charges sociales pour les deux parties de manière rétroactive. S’il est bénévole et intervient régulièrement, il devra également s’assurer de sa couverture en assurances accident et responsabilité civile – ou la prendre en charge. Il en va de même pour les stagiaires, selon les contrats tripartites régis par les écoles.

La question de la signature de certains documents de type chartes (prévention du harcèlement, sécurité informatique, etc.) ou clauses de confidentialité devra également être posée et statuée en interne afin de se dédouaner de la responsabilité en cas de litige lié à ces thématiques sensibles. Concernant l’aspect contractuel, les parties pourront le régulariser et faire appel, par exemple, aux sociétés de portage dont les plateformes ont largement simplifié les processus de mise en relation.

Accueil & Logistique

Dans de nombreuses organisations, le processus d’accueil est standardisé et comprend un certain nombre d’étapes également utiles à tout type de collaboration; on dénote des:

  • visites (parking, cafétéria, local d’archives, salles de réunion, économat, etc.),
  • présentations (collègues directs, personnes-clés),
  • informations,
  • formations.

Les accès, informatiques et aux bâtiments, seront configurés en fonction du rôle et des interactions que l’externe aura tant à l’interne que vis-à-vis de tiers (clients ou fournisseurs). Selon s’il travaille en marque blanche, une signature et une carte de visite, conformes à la charte graphique, lui seront fournies. Badge, habits de travail, vestiaire, poste de travail, matériel – pour ne citer que des exemples récurrents, sont autant de questions pertinentes à se poser.

Communication

La culture d’entreprise et sa capacité à travailler en réseau influencera la manière de communiquer à l’interne: une entreprise traitant de données ultra confidentielles ou de type familial pourrait voir une collaboration avec des externes comme suspecte, voire intrusive.

Une simple formalité annonçant la mission, la fonction et la durée peut suffire, tout comme une séance en plénière, avec une présentation des personnes et de leur mission, sera de mise. On veillera également à clarifier la position dans l’organigramme: un stagiaire peut répondre à son formateur ou un chef d’équipe; ici aussi, l’habitude à intégrer ce type de ressource et la compétence à les gérer vont influencer l’orientation à prendre.

Les sociétés informatiques, par exemple, sont coutumières de piloter les demandes de leurs clients en mode «projet». En fonction du niveau d’expertise requis, un ou plusieurs renforts seront greffés aux équipes existantes et le client final ne remarquera, à dessin, pas cette hybridité.

Il peut s’avérer nécessaire et crucial d’être transparent envers les employés au sujet des consultants, l’équité perçue étant un facteur important de motivation: une incompréhension sur des honoraires, des jours de congé ou des avantages (par exemple des jours fériés différents selon les cantons ou l’octroi de place de parc) peut facilement engendrer des tensions, voire des conflits entre deux groupes professionnels qui se côtoient. Ici aussi, la culture et le degré de maturité de l’entreprise orienteront le curseur de ce jeu de transparence.

Clarifier les aspects de facturation

Plus que pour n’importe quel collaborateur, le facteur financier représente pour un externe, un élément d’attention; même s’il n’est pas suffisant, il influence aussi sa motivation. Fixer clairement des attentes accompagnées d’échéances et de points de contrôle sans oublier de formaliser le suivi, constitue une recette de base, souvent mal maîtrisée.

Par ailleurs, si le service financier pratique des échéances de paiement espacées, il sera utile de clarifier les délais d’envoi des notes d’honoraires ainsi que les dates de paiement. En effet, les réalités financières sont de différents ordres; que ce soit pour le personnel temporaire souvent au bénéfice de conditions de travail précaires ou pour le consultant indépendant seul dans sa structure et soumis à des délais de paiements plus courts.

Dans une logique de maîtrise des coûts, certains cadres légaux (code des obligations ou conventions de travail particulières) peuvent mériter une attention, comme par exemple la majoration des heures supplémentaires du personnel temporaire: leur demander de prolonger leur journée au pied levé pourrait s’avérer coûteux.

Valeurs

Si ce point a pris de plus en plus d’importance dans les processus de sélection internes de recrutement et de promotion, il est souvent sous-estimé et négligé dans un appel d’offre; pourtant il reste crucial. S’entendre sur ce qui rend la relation de travail équilibrée, au sens du contrat social, n’est pas l’apanage du collaborateur; réfléchir sur comment se traduit l’engagement ou le respect fait du sens à plusieurs égards, car un travailleur externe est au bénéfice de délais de congé relativement courts: si la relation ne repose que sur des aspects contractuels, le risque d’être pris au dépourvu est bien réel.

Conclusion

Depuis les années 2000, le contexte global de digitalisation a induit la flexibilisation des modèles d’organisation. Nos entreprises évoluent et s’éloignent de plus en plus d’organisations liées à la tâche qui répondent à une hiérarchie pyramidale pour se rapprocher d’une structure en réseaux, presque organique; en parallèle, les individus se spécialisent et deviennent de plus en plus «experts», souhaitent simplement plus de flexibilité ou, par précarité, s’orientent vers du travail à la tâche: s’adjoindre de consultants, d’expertise externe ou de renforts ponctuels semble donc de plus en plus profitable pour chacune des parties. Dans les prochaines années, ces cohabitations nébulaires pourraient bien s’articuler de plus en plus naturellement autour des nouvelles organisations.

Le service RH a certainement une opportunité à apporter sa plus-value dans la gestion de ces articulations: pourquoi ne pas inclure ces tiers dans les évaluations 360, accompagner le développement des compétences d’intrapreneurship à l’interne, rendre ces externes ambassadeurs de la marque employeurs auprès de leurs réseaux, pour ne citer que quelques pistes?

Quoi qu’il en soit, en fonction de la récurrence des situations et des enjeux, des points d’attention devront concrètement être vérifiés et idéalement un accompagnement et un processus dédié sera systématisé.

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Caroline De Allegri, psychologue du travail, est responsable RH de l’ARAS Nyon et co-fondatrice de la société de conseil Odienz Consulting Sàrl. Lien: odienz.ch

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