Portrait

Comment attirer les talents de demain? Le monde entier s’arrache ses conseils

Professeure en gestion des ressources humaines à l’École nationale d’administration publique (ENAP) de Montréal, Louise Lemire est l’une des spécialistes mondiales du contrat psychologique, un concept des relations d’emploi dans les organisations. Invitée par l'Université d Genève, elle est venue donner ses conseils pour se positionner face aux talents. 

 

«Surtout, n’oubliez pas d’écrire que je suis aussi grand-mère». On pensait, un brin anxieux, rencontrer une star proclamée du monde des ressources humaines. Une référence mondiale du contrat psychologique, professeure titulaire à l’Ecole nationale d’administration publique de Montréal (ENAP), détentrice d’un doctorat en relations industrielles, conseillère du gouvernement du Québec, du gouvernement du Canada et d’entreprises de renom. Et voilà que l’on fait face à une femme d’influence, Louise Lemire, qui revendique tout autant l’importance de son statut familial que de ses compétences professionnelles. Passé l’étonnement, on comprend rapidement que Louise Lemire, coauteur avec Gaétan Martel du best-seller «L’approche systémique de la gestion des ressources humaines: le contrat psychologique» - un ouvrage d’importance dans la galaxie des ressources humaines - est un subtil mélange de rigueur scientifique et de simplicité. Loin de l’archétype de l’universitaire pontifiant qui pullule sous nos latitudes. 

«Nous autres du Grand Nord, on aime bien l’humour et la chaleur des rapports humains», raconte Gaétan Martel, chercheur et doctorant à l’ENAP, un sourire accroché aux lèvres. «Ce qui n’empêche pas Louise Lemire d’avoir une réputation fondée sur la rigueur et l’expérience. Chez elle pourtant, vous ne trouverez pas de condescendance. C’est peut-être un trait culturel typiquement québécois…», feint-il de s’interroger.

Le contrat psychologique ne fait pas furreur en francophonie

Attablée dans un petit café sans âge proche de l’Université de Genève où elle donne durant trois jours un séminaire intitulé «Se positionner face aux talents: quel contrat psychologique?», Louise Lemire déroule son crédo avec délicatesse et enthousiasme. «Le contrat psychologique? C’est ma passion!». Très en vogue depuis des années dans le monde anglo-saxon, c’est un concept de gestion des ressources humaines dans les organisations qui fait pourtant peu fureur en francophonie, et en Suisse romande en particulier. «Avant d’évoquer le contrat psychologie, faisons un rapide retour en arrière: l’ancien contrat psychologique, établi entre l’organisation et l’individu, stipulait que l’employé pouvait compter, en contrepartie d’une performance satisfaisante et de sa participation au bon fonctionnement de l’organisation, sur une sécurité d’emploi ainsi que sur des possibilités de promotion et d’avancement. La relation entre l’individu et l’organisation s’inscrivait dans le long terme et était empreinte de prévisibilité et de continuité. Le nouveau contrat psychologique tel que proposé aujourd’hui repose plutôt sur une relation d’emploi qui s’inscrit dans une perspective de court terme et se caractérise par la flexibilité, explique Louise Lemire. Le nouveau contrat psychologique se distingue par la fin du paternalisme et de la soumission à l’organisation. L’accent est mis ici sur la qualité et l’enrichissement du travail. La participation volontaire individuelle ou collective au bon fonctionnement de l’entreprise ne repose plus sur un modèle managérial rigide, mais au contraire sur une autonomie élevée des employés.» Un contrat psychologique irait donc au-delà de l’accord juridique. Une relation employé – employeur cimentée par des promesses. 

Louise Lemire ne partage pas l’avis de certains chercheurs qui estiment que le concept de contrat psychologique n’est rien d’autre qu’une théorie à la mode: «Ce concept ne peut être vu comme un engouement passager puisque les chercheurs et les praticiens s’y intéressent depuis le début du XXe siècle. Et nombreux sont ceux qui croient que la problématique organisationnelle la plus complexe depuis la révolution industrielle, c’est justement le virage fondamental et irrévocable du contrat psychologique entre l’employé et son organisation, dont on n’a pas fini d’entendre parler puisque les organisations continueront d’évoluer dans un environnement concurrentiel en constantes mutations». Elle estime aussi que les résultats sont mitigés parce qu’ils sont fonction, entre autres, du contexte dans lequel les recherches sont menées et de la façon dont le contrat psychologique est mesuré. Par exemple, des études françaises (à l’image des travaux de Sylvie Guerrero) n’ont pas trouvé d’impact significatif du contrat psychologique sur la mobilisation et la fidélisation des employés. Mais de l’autre côté de l’Atlantique, de récentes études canadiennes ont démontré que l’engagement des employés envers leur organisation est lié à un contrat psychologique négocié dans une relation de confiance basée sur le partenariat.

La performance se mesure aux conditions d'emplois proposées

Car le revers de la médaille à la disparition de la sécurité de l’emploi, c’est la perte de loyauté et d’engagement affectif. Des désagréments qui peuvent être compensés par un contrat psychologique adapté aux capacités de chacun. «Ce qui change, c’est la manière dont un employeur va attirer et encadrer ses employés. Aujourd’hui, ce qui rend une entreprise différente, performante, ce n’est pas seulement les produits, les services qu’elle offre. La performance sur mesure grâce aux conditions d’emplois qu’elle propose. Des conditions qui ne passent pas uniquement par l’aspect salarial, même si cela joue un rôle important, mais aussi par les valeurs que l’entreprise véhicule: les aspects objectifs et subjectifs du travail.» Et du travail, elle en a à revendre, Louise Lemire. Très demandée pour ses analyses sur les stratégies à adopter pour attirer les talents au sein d’entreprises, elle sillonne la planète à intervalles réguliers pour dispenser le résultat de ses recherches lors de conférences en Turquie, au Liban, au Maroc, en Corée du Sud, en France, en Italie, en Espagne ou en Belgique. C’est cependant chez elle, à Saint-Lambert, un faubourg cossu et feutré de Montréal, qu’elle aime se ressourcer. En recevant ses petits-enfants. Mais avec parcimonie, avoue-t-elle sans gêne aucune. Car en dehors de leur emploi du temps surchargé, elle et son mari, patron d’une société de consulting, apprécient de se retrouver sur un parcours de golf ou se rendre à l’opéra. Un modèle de grands-parents résolument modernes. D’ailleurs, son statut de professeur, elle le vit comme une deuxième carrière. «Avant l’enseignement et la recherche, j’ai travaillé durant dix-huit ans dans les ressources humaines, raconte-t-elle. Neuf ans dans le secteur public, et neuf ans dans le secteur privé – une banque, la chambre de commerce de Montréal, la bourse de Montréal -, et le reste pour des sociétés d’Etat – notamment, à la Régie de l’assurance-maladie du Québec, à la Société du Palais des Congrès de Montréal, à la Régie des installations olympiques - dont dix ans dans des postes de direction». Yves Emery, professeur à l’IDHEAP et grand spécialiste de la GRH du secteur public, qui a côtoyé Louise Lemire lors d’un sé- jour professionnel à Montréal, raconte: «Je me souviens qu’un jour, alors qu’elle préparait la rédaction de son livre sur le contrat psychologique, elle m’a dit simplement, sans prétention, avoir lu toutes les recherches et livres traitant du contrat psychologique. J’ai été impressionné parce que je suis persuadé qu’elle a effectivement consulté l’ensemble des ouvrages sur ce sujet.» 

«Des enquêtes démontrent que les entreprises les plus performantes sont celles qui offrent un excellent cadre d’emploi, qui proposent un équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Pourquoi? Parce que l’ère du dévouement total à l’entreprise est terminé.» Reste que la nouvelle relation proposée par l’instauration du contrat psychologique ne plaît pas toujours à certains acteurs du monde professionnel, et notamment aux syndicats du service public. D’aucuns y voient là un cheval de Troie du «new public management». Même si Louise Lemire se situe résolument dans «une approche plutôt patronale du rapport employeur – employé», elle ne se considère pas pour autant comme une tenante absolue du new management. 

«Par exemple, je suis favorable à la gestion par résultats, mais on ne peut pas tout transposer du privé au public. On ne peut pas parler de rentabilité pour le service public alors que les objectifs sont différents d’une entreprise classique». Quant aux syndicats, Louise Lemire considère qu’ils ont fait un excellent travail. «Sans eux, dans certains secteurs, des gens travailleraient encore dans des conditions difficiles. Mais contrairement aux syndicats, je suis pour une élasticité dans les rapports employeur – employé, des conditions de travail négociées de gré à gré». Montaigne prétendait que les cordonniers sont les plus mal chaussés. Alors, Louise Lemire a-t-elle passé un contrat psychologique avec son plus proche collaborateur et coauteur, Gaétan Martel? C’est lui qui répond, rapide et concis. Imperceptiblement narquois, comme pour montrer qu’il est un peu vain, voire presque mesquin de chercher la faille. «Parfaitement. J’apporte une contribution, en l’occurrence mon implication dans la rédaction de l’ouvrage, et en retour elle me traite en égal. Et ce, même si je suis à la fois étudiant et chercheur. Le contrat psychologique permet de disposer d’une large marge de manœuvre.» 

Louise Lemire express

 
 
 
 
 
 
 
Un plaisir: Voyager. 
Une corvée: Lire un livre qui ne m’intéresse pas, par nécessité professionnelle. 
Un livre: La détresse et l’enchantement de Gabrielle Roy. 
Un plat: Le roastbeef de ma mère. 
Une boisson: Un vin rouge de Toscane. 
Un objet fétiche: Pitou-Piteux, petit chien en peluche. 
Le meilleur conseil reçu: Faire un doctorat en gestion des ressources humaines.

 

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