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Des analogies suprenantes entre le manager et le compositeur...

Les analogies entre la construction de certaines partitions de musique classique et les stratégies d’entreprises sont édifiantes. Les compagnies d’aviation «low cost» appliquent par exemple des stratégies de réduction des coûts comparables à des thèmes de symphonies dont la simplicité les rend malléables à toutes les situations.

Les métiers de manager et de compositeur se ressemblent. Surprenant? Pourtant ces deux métiers ont en commun de travailler avec le temps, de produire de l’intangible, et d’écrire une partition que d’autres interprèteront. Le compositeur, comme le manager, sont à la fois des architectes qui produisent de l’organisation (des structures musicales) et des stratèges qui gèrent des ressources humaines (les instruments). Comprendre le travail du compositeur permet d’apporter une vision renouvelée du management et des outils concrets aux managers, notamment dans le domaine des RH, pour penser les problèmes et relever les défis de leur entreprise. En voici quelques exemples.

Face à la complexité, un élément simple. Un projet ou une œuvre complexe sont souvent construits à partir d’un élément simple. Dans la 5e Symphonie de Beethoven par exemple, le dramatique «pom pom pom pooom» du thème initial est un motif omniprésent dans toute la Symphonie. Dans une transition importante, il est transformé en roulement de percussions. Ailleurs, ce même motif est adapté pour former un thème joyeux et rapide, joué aux violons. Sa simplicité le rend malléable et adaptable à toutes les situations et à tous les acteurs. Son exploitation magistrale a contribué à unifier une œuvre d’une grande diversité.

Certaines entreprises ont construit leur succès en déclinant un seul motif dans toutes leurs fonctions. «Réduire» est celui d’une compagnie aérienne «low cost». Les coûts sont systématiquement réduits: une seule marque d’avions, des équipes réduites à bord, des locaux administratifs partagés, pas de secrétaire pour les cadres. Dans la gestion des RH, «réduire» devient «simplifier»: peu de niveaux hiérarchiques et de formalisme contribuent à forger une culture d’entreprise jeune. Le marketing de l’entreprise se distingue par l’absence d’intermédiaires, des publicités réduites à l’essentiel, une seule couleur, et des prix d’appels défiant toute concurrence.

Des principes d’action forts. Cette première application n’est évidemment pas suffisante pour réaliser un chef-d’œuvre. La déclinaison systématique d’un motif élémentaire peut rapidement devenir contre-productive si elle ne s’accompa-gne pas de principes d’action plus généraux qui amènent le créateur à rechercher une certaine harmonie d’ensemble. Citons quatre principes: équilibre, cohérence, émotion et clarté. Les œu-vres réussies, comme les entreprises performantes, en sont imprégnées.

En musique, la simplicité d’une mélodie ou la séparation nette des parties contribuent à la clarté du morceau. Les ruptures ou la force des contrastes provoquent l’émotion. La cohérence est souvent obtenue en utilisant au mieux un nombre restreint d’idées musicales. Et les équilibres entre la tension et la résolution, la stabilité et l’instabilité, ou le jeu d’ensemble et le jeu de soliste, sont essentiels.

Dans la même compagnie «low cost», les pratiques RH se fondent sur des équilibres subtils et transversaux: l’absence de niveaux hiérarchiques est compensée par un système d’autoévaluation dans les équipes. L’impact négatif d’une rémunération faible est atténué par une culture d’entreprise forte, qui privilégie la participation et l’offre de stocks-options. Le déficit de reconnaissance sociale est compensé par le sentiment de travailler à une tâche noble, celle de rendre l’avion accessible à tous, dans une entreprise anticonformiste qui n’hésite pas à défier les grandes compagnies. On a là, sans doute, un élément central de la dimension émotionnelle de l’entreprise.

Ces principes ont aussi un sens à l’échelle d’une fonction comme les RH. Ainsi, la recherche de cohérence entre les pratiques RH elles-mêmes, ou entre la stratégie d’entreprise et la stratégie RH, est un élément central de la gestion stratégique des RH. Un modèle aussi célèbre que celui de Dave Ulrich est basé sur l’idée d’un certain équilibre des rôles stratégique, administratif, «champion des employés» et agent du changement (HR Champions.... Harvard Business School Press, 1997). L’équilibre est aussi recherché entre le degré de différentiation et d’intégration que tout processus RH comporte (Le Gall, La gestion des ressources humaines, PUF, 2002). Et enfin, comment ne pas voir dans la recherche d’indicateurs RH ou dans le développement du marketing RH un désir permanent de clarté?

D’autres perspectives d’applications prometteuses. Pour Gavetti & Rivkin, les analogies peuvent être des catalyseurs générant des options créatives. Elles sont aussi de puissants outils pour la communication rapide de messages complexes (How strategists really think, Harward Business Review, April 2005). Outils d’autant plus puissants dans une approche de «learning by listening music», où le plaisir esthétique devient fortifiant. Ainsi, l’analogie compositeur-manager facilite l’appropriation de savoirs managériaux préexistants. La musique permet aussi de générer des options créatives et d’aborder des champs encore peu explorés. Elle est, par exemple, un modèle pour l’étude des relations de proportionnalité temporelle entre une phase de stabilité et une phase de changement, pour l’apprentissage de techniques permettant de réaliser une transition, ou encore pour l’observation en direct du
leadership d’un soliste sur une longue période.

Enfin, le compositeur n’apporte-t-il pas un formidable message de soutien à la fonction RH quand il dit: «L’emploi d’un matériau différent [les percussions] nous oblige à penser les formes musicales différemment. On ne construit pas pareil avec du bois et de la pierre, qu’avec de l’acier, du béton et du verre» (Pierre Boulez, Genève, 2003)? Transposée dans l’entreprise, cette métaphore nous rappelle que des RH différentes nous obligent à penser l’organisation de façon différente.

 
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Claudio Chiacchiari est le fondateur de Saisir le temps® – L’intelligence musicale: conférences, ateliers, conseil. Il réalise des mandats pour les cadres et les dirigeants sur l’art de composer l’organisation en Suisse, en France, en Roumanie et en Belgique. Il est intervenant régulier à HEC Genève depuis 2006. Ses articles sont publiés notamment dans HR Today, Le Temps, Watch Around et Les Echos (Fr).

Lien: www.saisirletemps.ch
 

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Erwan Bellard est collaborateur scientifique pour le Groupe Ressources Humaines à l'Université de Genève et gérant d'entreprise.

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