Déhiérarchisation

Dominance ou gouvernance?

Les périodes de transformations sociales durables sont toujours merveilleusement fécondes: expérimentations, théorisations, anathématisations produisent un bouillonnement d’idées, de projets et... d’erreurs.

Parallèlement, notre monde économique change. En fait, il a déjà complètement changé. La digitalisation de l’économie, comme celle des relations interpersonnelles, constitue un processus irréversible. L’hyperurbanisation en cours va de pair avec une stupéfiante mobilité.
 
Au final, l’Homo Laboris du 21e siècle ne ressemble plus au travailleur des siècles passés. Et ne lui ressemblera jamais plus. Beaucoup glosent sans retenue sur les générations Y, X ou Z, au risque d’enfermer nos comportements dans des catégories générationnelles étroites. A mon sens, ces approches abusivement simplificatrices obscurcissent la pensée et aliènent le raisonnement.
 
La réalité est que les comportements individuels occidentaux sont de moins en moins régis par les antiques et impératives catégories sociales. L’intérêt collectif supérieur, incarné et édicté naguère encore trop précisément par l’Etat, la Morale, les Eglises, l’Armée, l’Employeur..., n’a pas disparu. Il est en revanche désormais systématiquement filtré par le WHY (Y en anglais), c’est-à-dire le pourquoi. Aujourd’hui, la question du sens prend concrètement et définitivement tout son relief.
 
Si, dans nos organisations, la subordination contractuelle entre employés et employeurs demeure, la soumission est et sera légalement de moins en moins admise. Nous sommes en train de vivre la disparition darwinienne des managers ou des dirigeants dominants, prédateurs omniscients et uniques alpha autoproclamés! La dominance n’est pas un instinct, en dépit de certaines croyances.
 
Dans l’ombre de ces dinosaures déjà en voie d’extinction, se développe à très grande vitesse une nouvelle espèce d’entrepreneurs: champions de l’intelligence collaborative, leur humaine humilité les maintient parfaitement connectés au monde réel. Doit-on pour autant sombrer dans une utopie holacratique, qui propose l’extrémiste éradication de tout encadrement et des chaînes décisionnelles structurées? On peut utilement proposer un autre modèle, bien plus réaliste et ayant déjà fait ses preuves. Il s’agit de celui de l’entreprise libérée. Il me semble même que nous pouvons aller plus loin encore. Génial théoricien de l’organisation et praticien de la gouvernance d’entreprise, Henri Fayol proposait une complète décentralisation ou externalisation de tout ce qui n’est pas essentiel et constitutif d’une entreprise donnée. A l’époque conglomérale, il inventait l’entreprise du 21e siècle et du futur, faite de spin-off et de start-up, d’entités agiles et autonomes, résolument ultralégère pour un maximum de valeur ajoutée.
 
Illustrons. Une excellente gestion du capital humain est essentielle à chaque entreprise. Face à cet enjeu primordial, beaucoup des tâches effectuées quotidiennement au sein de la DRH apparaissent secondaires et donc externalisables: la paie et la gestion sociale ou administrative, la formation – ou la transformation, qu’on appelle développement personnel –, les forums-emplois ou la présélection de candidats, la communication interne, les évaluations...
 

Dé-hiérarchiser la fonction RH

Concentrée sur sa responsabilité première, cette DRH d’avant-garde pourrait innover davantage encore en se dé-hiérarchisant elle-même! Elle deviendrait une Business Unit autonome, un prestataire non-exclusif au service des autres BU, une gardienne de la stratégie humaine décidée au Comité de Direction. Plutôt que de risquer de passer pour une structure de contrôle et de prévention des risques humains, cette DRH libérée pourrait représenter un formidable outil de promotion et de croissance du capital humain, incarné par la croissance et la performance personnelle de chaque collaborateur.
 
Cette DRH n’aurait plus à affronter sans autonomie décisionnelle tout ce qui dysfonctionne dans tous les compartiments de l’entreprise et/ou dans sa gouvernance. Elle n’aurait plus à proportionner son engagement et ses budgets au niveau hiérarchique de ses interlocuteurs. Elle ne rivaliserait pas avec la DAF dans la production d’indicateurs chiffrés. Cette DRH vaillante pourrait, entre autres, entreprendre et gagner le combat du renforcement de la santé psychique au travail, stimuler efficacement les processus naturels d’intégration du changement comme ceux de la création ou de l’innovation...
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Xavier Camby est Directeur du cabinet Essentiel Management, qui forme les dirigeants à la gouvernance du futur, et auteur de «48 clés pour un management durable».
 
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