Et si on jouait sérieusement!?
Comment utiliser des approches ludiques et gamifiées pour transformer le recrutement, l'intégration et les mobilités internes en parcours immersifs et engageants? Conseils pratiques pour attirer et fidéliser les talents, créer un sentiment d’appartenance dès le premier jour et faire évoluer les carrières comme des quêtes motivantes.
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Et si votre prochain recrutement n’était pas une succession de cases à cocher, mais une aventure que vos futurs collaborateurs commençaient à vivre dès le premier contact? À Genève comme ailleurs en Suisse, la compétition sur les talents et la mobilité rendent l’engagement précoce vital. Jouer sérieusement, ce n’est pas distraire: c’est utiliser narration, progression visible et dynamiques sociales pour rendre tangible l’accueil, l’intégration et le développement, même avec peu de moyens. Voilà comment transformer des moments critiques en leviers durables car recruter ce n’est pas avoir un.e collaborateur.trice de plus mais un.e collaborateur.trice de mieux!
Ainsi, le jeu, bien conçu, a cette capacité à mobiliser instantanément: il capte l’attention, stimule l’engagement, et crée de la connexion entre les individus. Ryan & Deci [1] montrent que cette dynamique repose sur trois piliers puissants: l’autonomie, la compétence, et le lien social. Côté apprentissage, l’efficacité est au rendez-vous: on retient mieux ce que l’on expérimente que ce que l’on entend passivement (Sitzmann [2], Landers [3]). En situation, on observe des comportements réels telles que la collaboration, la gestion du stress, la prise d’initiative, l’agilité, là où les entretiens se contentent souvent de déclaratif. Le jeu permet aussi un retour immédiat, clair et motivant [5], qui valorise l’effort et soutient la progression. Et puis, ne l’oublions pas: c’est plus vivant, plus marquant, plus humain. Une expérience qu’on n’oublie pas, ni en tant que candidat, ni en tant qu’entreprise [4].
Pourquoi ça marche
Vous connaissez ce besoin qu’ont les gens de se sentir «à leur place»? La théorie de l’appartenance montre que trop souvent l’absence de lien accélère les départs. La Self-Determination Theory rappelle que l’autonomie, la compétence et la relation (relatedness) se nourrissent quand on donne du sens, du choix et du feedback. Et les recherches sur la socialisation organisationnelle soulignent qu’une intégration structurée — mixant formel/informel, collectif/individuel — accélère l’ajustement. Dans un contexte suisse où continuité et cohésion pèsent sur la performance, vous pouvez activer ces leviers avec des mécaniques simples empruntées au jeu.
Recruter autrement: le candidat comme héros d’une mini-aventure
Un jeu bien pensé remplace l’entretien figé par une vraie mise en situation. On ne demande plus aux candidats ce qu’ils feraient dans l’absolu: on les voit faire, en conditions quasi réelles. Et bien souvent, ça change la donne. Ce type d’approche permet aussi de révéler des dimensions qu’aucun CV ne capture: posture, réactivité, gestion du stress, esprit d’équipe… bref, on accède enfin aux comportements réels, et pas seulement aux réponses préparées.
En proposant la même expérience à tous, on réduit mécaniquement les biais d’évaluation. Selon Schmidt et Hunter, exposer les candidat.es à une situation au plus proche de leur future réalité permet de s’assurer à 54% la validité d’une sélection basée sur des compétences à occuper le poste. Moins de subjectivité, plus d’équité. C’est aussi l’occasion de voir émerger des profils qu’on n’aurait pas forcément repérés autrement, là où certains leaders autoproclamés se révèlent plus discrets que prévu [11][12]. Et puis, il y a l’impact.
Une expérience gamifiée, c’est un message en soi. C’est dire: «chez nous, on fait différemment, et ça commence dès le recrutement». Résultat? L’expérience marque les esprits. Les candidats s’en souviennent, en parlent, et vous associent à une culture engagée. Et pour ceux qui se demandent si ça fonctionne, la réponse est claire: oui. De nombreux grands groupes l’ont intégré à leurs pratiques. Mais même à une échelle plus modeste, il est tout à fait possible de proposer une expérience immersive, pertinente et accessible.
Par exemple, pour évaluer la gestion du stress et des urgences, on peut intégrer dans l’entretien une intervention surprise et théâtrale d’une tierce personne avec une problématique typique du poste. Cette mise en situation permet d’observer la réactivité du candidat.e, sa capacité à rassurer et à trouver une solution adaptée, bien plus révélateur qu’une question classique comme «comment gérez-vous le stress?».
De même, pour mesurer la rapidité d’analyse, il est possible de donner un dossier complet dont il faut extraire, en temps limité, les informations clés pour répondre à une question, à la manière d’un escape game. Ces exercices offrent un terreau fertile au feedback constructif, offrant aux candidat•es une valeur ajoutée personnalisée et renforçant la marque employeur.
Intégrer avec impact
L’onboarding est souvent sous-estimé, alors qu’il s’agit du premier vrai moment de vérité entre un collaborateur et son entreprise. Ce n’est pas le moment pour des PDF en cascade ou une série de slides oubliables. Bien conçu, un jeu transforme cette étape clé en une expérience active, engageante et surtout mémorable. On ne subit plus l’intégration, on la vit. À travers un parcours interactif, une enquête sur les valeurs, ou un jeu de rôle entre nouveaux collègues, on explore l’entreprise, on découvre ses codes, et surtout, on s’approprie sa culture. Voici un exemple: commencez par une vidéo de bienvenue personnalisée: un message humain qui la place dans une histoire, avec un petit défi pour valider sa vision (badge de démarrage, mini-question).
Ajoutez des micro-défis sociaux comme un Team Bingo pour créer des liaisons rapides (« trouve quelqu’un qui a vécu à l’étranger », « échange avec un pair en 10 minutes »), et un buddy system automatisé pour ancrer le lien. Mesurez, réagissez: feedback ultra-court sur les premiers jours, reconnaissance publique des progrès (mentions dans un canal, petites distinctions visibles) — ces signes nourrissent le sentiment de compétence et de connexion.
L’imagination peut être grande, mais les bénéfices sont bien réels: meilleure mémorisation, compréhension accélérée et création de liens humains dès les premiers jours. Ce que les collaborateurs retiennent, ce ne sont pas les procédures ou les chiffres clés, mais les émotions vécues: un rire partagé, une épreuve surmontée, une complicité qui naît. En bref, des souvenirs, pas juste des infos.
Évolutions: des carrières en quêtes progressives
Gamifier les parcours internes, c’est donner du rythme, de la lisibilité et surtout du sens à la progression des collaborateurs. En introduisant des défis réguliers, des objectifs clairs ou encore des repères de progression (badges, niveaux, étapes), on rend visibles des éléments souvent diffus: montée en compétence, reconnaissance, impact concret. C’est aussi un excellent moyen d’identifier ce que De Meuse appelle la learning agility [8], cette capacité à apprendre, désapprendre et réapprendre dans un environnement en constante évolution. En laissant la place à l’initiative et au choix, on favorise un engagement durable. Quand un collaborateur peut suivre sa progression et choisir ses «quêtes», il devient acteur de son propre développement. Et c’est là que la motivation prend racine. Enfin, pas besoin de sur-technologie pour que ça fonctionne. Bien souvent, une mise en situation bien scénarisée, un jeu de rôle pensé avec soin, ou une dynamique d’équipe accompagnée de feedbacks pertinents suffisent à générer des déclics puissants.
Les pièges à (vraiment) éviter:
- Faire joli sans fond: si le jeu ne sert pas un vrai objectif RH, il sera perçu comme gadget. Et les équipes/candidats le sentiront très vite.
- Trop de complexité, pas assez d’accessibilité: un jeu efficace est clair, fluide, équilibré. Pas besoin de tout digitaliser si le fond est solide. Et itérez!
- Oublier l’humain: le jeu ne remplace pas le lien, le feedback personnalisé, la reconnaissance sincère.
- Ignorer le contexte local: adaptez aux réalités genevoises/transfrontalières (langues, symboles, usages).
- Mesurer n’importe comment: sans cadre d’observation ou de débrief structuré, on passe à côté de ce que le jeu révèle.
Conclusion
Comme le décrit McAdams [10], une personnalité ne se résume pas à un profil statique: elle se construit en strates, à la croisée de notre histoire, de notre environnement et de la manière dont on se raconte. Une gamification bien pensée permet justement d’explorer ces couches comportementales, en contexte réel, et sans filtre. Parce que non, la gamification n’est pas «jouer pour jouer». C’est un levier solide, structuré, exigeant mais surtout profondément humain. Et c’est aussi un pari: celui que les candidats comme les collaborateurs qui ont envie d’apprendre, de s’impliquer et d’évoluer veulent le faire autrement. Intégrer le jeu dans les pratiques RH, c’est parfois bousculer les habitudes. Mais c’est surtout ouvrir la porte à une autre manière d’évaluer, d’intégrer et de développer les talents. Une manière plus vivante, plus juste, et plus révélatrice.
Ne laissez pas l’intégration, le recrutement et les mobilités internes rester des processus mécaniques. Jouer sérieusement en RH, c’est prendre ces moments clés et les transformer en leviers d’engagement visibles, durables et différenciants. En mêlant narration, progression claire, liens humains et montée en compétences, vous pouvez recruter autrement, créer de l’appartenance dès le premier jour et faire évoluer les carrières comme des quêtes motivantes — y compris dans une PME ou une structure avec des ressources limitées.
Alors, qu’allez-vous lancer cette semaine?
Choisissez un point d’entrée simple et adapté et mettez-le en œuvre, mesurez un indicateur simple (satisfaction jour 3, taux d’activation, connexion buddy), ajustez et faites-en votre premier petit succès. Puis élargissez. Commencez aujourd’hui: testez, montrez, et faites parler de votre transformation RH!
Et si, finalement, la meilleure façon de faire les choses sérieusement… c’était de prendre le jeu au sérieux? Alors, prêt à prendre le jeu au sérieux? Lancez dès cette semaine un petit défi, mesurez vos premiers résultats, célébrez vos succès: et faites de votre transformation RH une véritable aventure partagée!
L’exemple des Services Industriels de Genève
«Aux Services Industriels, nous avons totalement repensé notre assessment center et avons implémenté il y a quelques mois une toute nouvelle manière d’évaluer les compétences sociales, par le jeu. Nous avons créé un scénario proche de notre cœur de métier, où entre 3 et 5 candidats collaborent pour résoudre une série d’énigmes immersives, dans un formattype escape game à la fois engageant, collectif et structuré.
Cette approche permet d’observer les soft skills en action tel que la communication, leadership, gestion du stress, agilité, dans un contexte vivant et représentatif du terrain. Côté candidats, les retours sont unanimes: ils soulignent une expérience marquante, authentique, qui leur permet de se révéler différemment. Côté recruteurs, nous gagnons en précision, en pertinence et en objectivité dans la lecture des comportements.
Bien entendu, cet outil ne remplace pas les entretiens traditionnels, mais il constitue un complément puissant à un processus de sélection déjà robuste, en apportant une dimension humaine et dynamique que peu de formats permettent aujourd’hui.»
Sources
Ryan, R. M., & Deci, E. L. (2000). Self-determination theory and the facilitation of intrinsic motivation, social development, and well-being. American Psychologist.
Sitzmann, T. (2011). A meta-analytic examination of the instructional effectiveness of computer-based simulation games. Personnel Psychology.
Landers, R. N. (2014). Developing a theory of gamified learning: Linking serious games and gamification of learning. Simulation & Gaming.
Georgiou, K. G., & Nikolaou, I. (2021). Are applicants in favor of gamified assessment? An exploratory study. Computers in Human Behavior Reports.
Robson, K., Plangger, K., Kietzmann, J. H., McCarthy, I., & Pitt, L. (2015). Is it all a game? Understanding the principles of gamification. Business Horizons.
Werbach, K., & Hunter, D. (2012). For the Win: How Game Thinking Can Revolutionize Your Business. Wharton Digital Press.
Schlegel, K., Grandjean, D., & Scherer, K. R. (2013). Social and emotional effectiveness: Development and initial validation of the SEES. Emotion.
De Meuse, K. P., Dai, G., & Hallenbeck, G. S. (2010). Learning agility: A construct whose time has come. Consulting Psychology Journal.
Plaisant, O., Courtois, R., Réveillère, C., Mendelsohn, G. A., & John, O. P. (2010). Validation française du Big Five Inventory (BFI-Fr). L'Encéphale.
McAdams, D. P. (2015). The Art and Science of Personality Development. Guilford Press.
Zambeaux, M.-S. (2023). Recrutement: biais cognitifs et décisions RH. Éditions du Savoir.
Moron, E., & Bernard, L. (2024). Le guide pratique du recrutement. RH+ Éditions.