Des mots et des hommes

Faire ses vacances au travail

Ces semaines prises sur le travail, où sont-elles maintenant à l’horizon d’un automne flamboyant? L’expression: «prendre des vacances» signifiant: faire le vide (vacare), avons-nous réussi à nous délester du poids des responsabilités, des choix à faire, de sa vie et des vies à porter et des soucis qui vont avec?

 La légèreté de moments intenses et gracieux s’est-elle substituée à la pesanteur de la vie? Ou, est-ce que la défibrillation incessante des connections s’est poursuivie, certes dans d’autres contextes: plages, paysages, chemins et sources nouvelles, mais tout cela bardé de messages, de conversations téléphoniques et de projets lancinants?
 
Les tempêtes de cerveau se sont-elles apaisées? Avons-nous enfin connu les angoisses métaphysiques du «pourquoi»? Pourquoi travailler autant, tout le temps? Pourquoi subir stoïquement ou faire subir des comportements si peu créateurs de motivation. Pourquoi s’épuiser à changer pour changer à résister sans résister dans les errances erratiques des organisations?
 
Comment éviter la césure schizophrénique entre le temps de travail et le temps des vacances, entre les jours de la semaine et les week-ends? Comment ne pas tout faire pour se divertir (se détourner) de l’abrutissement laborieux en faveur d’un autre abrutissement potentiel: celui des activités de loisir?
 
Point de leçon à donner: la membrane séparant le temps travaillé et le temps libre devient transparente, voire trouée depuis bien des années.
 
Mais, nous pourrions mettre l’esprit des vacances, faire le vide, au coeur même de l’exercice de nos responsabilités. Qu’est-ce à dire?
 
Je vous propose de quitter l’opposition mortifère entre travail et temps libre, pour faire dialoguer l’«otium», (le repos contemplatif, le regard émerveillé, l’étonnement, la béatitude) avec son envers: le «negotium» (le négoce, les transactions, l’activité marchande). Dans le mot «négotium», le mot «otium» demeure, même si l’on veut signifier son autre face. Garder du repos dans le travail comme une autre dimension, un autre rythme, une autre façon d’être au monde.
 
Deux rencontres m’ont ouvert les yeux. Mon professeur de philosophie, chanoine de l’abbaye de Saint-Maurice, enseignait la semaine, prêchait les samedis et les dimanches, dirigeait un foyer pour les étudiants du lycée, animait des groupes de travail, lisait et écrivait énormément. J’ai osé lui demander comment il faisait pour tenir le coup, le voyant toujours souriant, toujours disponible. Une réponse renversante: «Je me repose en travaillant». Une brillante avocate associée dans un grand cabinet, voyageant pour effectuer des arbitrages dans le monde entier, gérant une maisonnée de cinq enfants me dit, lors d’une session de partage de pratiques de leadership: «Je n’ai pas une vie professionnelle, une vie privée, une vie familiale, une vie de mère, d’épouse, une vie de loisirs, une vie de femme, j’ai UNE VIE!» Elle se moquait aussi de ses collègues masculins qui certains lundis revenaient en disant qu’ils avaient travaillé durant le week-end... histoire de faire savoir qu’ils étaient au top du top! Elle s’assurait une vie pleine, sans schizophrénie, sans défibrillation nerveuse, une vie alignée, reliée, fondée.
 
Nous pourrions nous inviter à garder la distance tendre et amusée vis-à-vis des agitations de l’efficacité proclamée reine. «Work and Power are theater!» Le travail et le pouvoir sont des pièces de théâtre. Soyons à la fois les spectateurs et les acteurs de nos rôles.
Comment faire? Une piste. Plus nous avons de responsabilités, plus nous devons donner des réponses à nos interlocuteurs. Plus nous donnons de réponses, plus le temps s’accélère. Avec les années, on finit par l’expérimenter cruellement. Se mettre en vacances au boulot, c’est oser se mettre en creux en posant des questions. Se mettre en creux signifie se vider, donc de partir en vacances de l’obligation de répondre à tous coups. Cette mise en creux nous permet de nous laisser remplir de la densité de l’autre pour découvrir un nouveau paysage. Bonnes vacances à votre place de travail!
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Maxime Morand, théologien de formation, a fait son parcours dans les RH au Crédit Suisse, à l'Union bancaire privée, puis chez LODH en tant que responsable des RH. Depuis 2012, il est consultant RH indépendant.

Lien: www.provoc-actions.com

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