La chronique

IntégRHation/désintégRHation

Les historiens vont hurler, c’est sûr. Qu’importe! Osons la synthèse. Et intéressons-nous à un mot: l’intégration. Car dans le tréfonds inconscient de notre corporation, tous les RH fantasment sur ce concept qui renvoie à un monde parfait dans lequel chaque collaborateur aurait «sa place», sa fonction, son bureau, sa formation, son chef et son équipe… Etre intégré, c’est être au bénéfice de cet équipement spécifique. Mais en a-t-il toujours été ainsi? Coup de projecteur sauvage sur les 6 vecteurs d’intégration, de l’Antiquité à nos jours. 

1. La citoyenneté: faire partie en étant inclus 

Ah la Grèce… Athènes, Sparte ou Thèbes formaient en ce temps-là (700 av. J.C.) des polis, c’est-à-dire des cités indépendantes et souveraines. Le grand intégrateur, à cette époque de la Grèce antique, était la Citoyenneté, un statut privilégié tout d’abord réservé à l’élite. Etre citoyen permettait alors de participer aux décisions de la cité (lois, guerres, administration), au débat démocratique (agora) et autorisait la possession de la terre, par opposition aux esclaves. 

2. La pensée et la conscience: faire partie en pensant

Socrate, pourtant respectueux de la Cité, plaça au-dessus de la Citoyenneté une méta-liberté: la pensée et la conscience (500 av. J.C.). Penser pour le philosophe grec, c’est questionner le monde à travers des dialogues raisonnés (la maïeutique) et des interrogations multicritères (le vrai, le bon et l’utile). Le Citoyen devint alors un «individu pensant» et la connaissance la clé de l’intégration suprême.

3. La religion: faire partie en idolâtrant 

Jusqu’à la fin du Moyen-âge (1500 ap. J.C.), la religion prit la relève de la pensée et de la conscience. C’est ainsi que les préceptes de l’Eglise s’imposèrent dans tous les champs de l’existence. Des réponses canoniques étaient apportées à toutes les questions ontologiques majeures (la vie, la mort, l’union, le bien et le mal, l’ici et l’ailleurs). Etre intégré dans la vie sociale passait alors sans conteste par une soumission aux exigences religieuses. 

4. Le politique: faire partie en proposant

Jusqu’au XVII, le politique – souvent lié au religieux – devint à son tour un vecteur d’intégration: c’est la naissance de l’Etat-nation, puis de la monarchie, puis de la démocratie. Les idées individuelles, mais également l’art, s’émancipèrent du carcan religieux: ainsi le courant romantique donna ses lettres de noblesse à la sensibilité et aux émotions qui dominèrent alors la stricte rationalité. Dans ce formidable renversement, l’individu s’intègra au social en s’inscrivant dans les projets politiques plus grands que lui. 

5. La raison: faire partie en raisonnant

La raison prend sa revanche au XVIIIème siècle: elle dispute le pouvoir à la politique. C’est la montée en puissance de la science, de la méthode, de l’Ecole des Lumières, de la philosophie (Descartes, Pascal, Spinoza, Kant). C’est surtout l’avènement de l’espace public décrit par Habermas: une matrice de délibération qui permettra aux femmes et aux hommes de devenir maître de leur destin en étant les acteurs rationnels de la démocratie. 

6. L’emploi: faire partie en travaillant 

Au XIXème siècle, l’Etat peu à peu s’organisa et donna naissance aux institutions de prévoyance et de protection des travailleurs. C’est l’apparition du salariat moderne qui institue l’emploi comme vecteur d’intégration social prioritaire. Et de facto, que l’on observe l’émergence – fragile tout d’abord - des métiers RH dédiés à l’intégration des individus au sein de nos collectifs. 

Librement inspiré de la lecture de Bertrand Bergier, les Affranchis, Editions Desclée de Brouwer, 1997, 232 pages

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Stéphane Haefliger est psychosociologue de formation, membre de direction du cabinet Vicario Consulting et chargé de cours régulier dans les universités romandes. Il est également l’auteur de: DRH et Manager, levez-vous! Vie et mort des organisations, Editions EMS, Paris, 2017.

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