Profil du RH

«Je ne suis pas si arrogant»

Dave Ulrich est une légende vivante de la communauté RH. Son modèle des «HR Business Partners» est mondialement connu. Dans cet entretien accordé à HR Today, il partage son regard critique sur la diffusion de ses idées; explique pourquoi les attentes envers un DRH ressemblent toujours plus à un cahier des charges de CEO et assure être suffisamment sage pour ne pas juger les managers RH de Suisse. 

Comment vivez-vous votre statut de légende vivante des RH?

Dave Ulrich: Je ne suis pas une légende. Quand on utilise ce terme, cela veut plutôt dire qu’on est en fin de carrière (sourire). Michel-Ange fut un des plus grands artistes des temps modernes. Il était non seulement un artiste doué, il a aussi vécu longtemps et a beaucoup produit. Certaines personnes, actives dans ma branche, développent une ou deux bonnes idées, puis disparaissent. J’ai appris à durer dans ce métier et je trouve toujours du plaisir à développer des nouvelles idées. Comment est-ce que je me sens? Aucune idée. Je n’essaie pas trop d’y penser.
 

On vous attribue l’invention du célèbre modèle du HR Business Partner...

Je ne suis pas certain d’avoir inventer ce modèle. Je ne suis pas si arrogant. J’ai simplement observé avec attention dans les années 1990 comment la Fonction RH était en train d’évoluer. Et j’ai mis des mots sur ce que les autres étaient en train de faire.
 

Ce modèle n’est donc rien d’autre qu’un produit recyclé?

Je préfère le terme «synthétisé» à «recyclé». J’ai publié les grandes lignes de ce modèle en 1997. Les RH se sont rués dessus car il leur permettait d’ouvrir de nouvelles voies et de réfléchir au rôle de la Fonction RH dans l’organisation. Au moment de définir une organisation, il y a grosso modo deux options: centralisation ou décentralisation. Vous pouvez centraliser toutes les décisions en un seul lieu, ou au contraire, les déléguer vers les sites locaux. Mon approche consiste à faire les deux à la fois.
 

Vous avez publié votre modèle il y a 17 ans. Il est encore considéré comme une référence. Avec le recul, quelles critiques formuleriez-vous à son propos?

La critique majeure serait de dire qu’il y a encore trop de gens qui utilisent ce modèle comme une solution toute faite, sans tenir compte des spécificités de leur organisation. Le but serait plutôt d’aligner ce modèle RH sur les besoins de la ligne.
 

Vous constatez donc une certaine incompréhension entre la ligne et les RH?

Oui, d’une certaine manière. En décembre dernier, j’ai publié – avec Ellie Filler de Korn Ferry – un article dans le Harvard Business Review où nous analysons les données tirées d’une série d’assessment de cadres de haut niveau (CEO, CFO, COO, etc.). Cette étude montre que le profil des CEO qui réussissent est quasiment identique au profil des DRH d’aujourd’hui. En d’autres termes, les bons CEO et les bons DRH disposent des mêmes compétences. C’est assez intéressant.
 

Avez-vous quelques exemples de ces compétences communes?

La capacité à formuler une vision puis de la mettre en œuvre; la capacité de collaborer avec les autres et de créer des équipes performantes. Ce ne sont que deux exemples parmi d’autres, mais deux exemples importants qui montrent que les CEO et les DRH ont de nombreux points communs.
 

Quelles tendances RH observez-vous en ce moment?

Je pense que le trend actuel de voir les tâches administratives progressivement passer dans d’autres mains, notamment dans celles de l’informatique ou de la finance, est une bonne chose. De manière générale, je constate – et cela vaut aussi pour la Suisse – que les managers RH ont pris de la bouteille. Je m’en réjouis. De plus en plus de tâches administratives sont effectuées par des systèmes informatiques. Il n’y a qu’à observer la croissance des fournisseurs SAP ou Oracle pour s’en rendre compte. Bref, les RH ont désormais la possibilité d’externaliser certaines tâches administratives, qui sont effectuées depuis la Pologne ou les Philippines.
 

Si vous prenez du recul sur votre carrière de 25 ans, repérez-vous des schémas qui se répètent?

Un thème récurrent est la question de savoir comment les RH peuvent créer de la valeur. Et il ne s’agit pas d’une réflexion théorique mais bien de cerner ce qu’ils peuvent réellement délivrer comme prestations. En d’autres termes, il s’agit de définir le processus assez pénible qui permet de mesurer la création de valeur de la Fonction RH. Comment définissons-nous la valeur? Comment se manifeste-t-elle? Ce sont toujours les mêmes questions. Deuxièmement, les RH ne se préoccupent pas seulement des talents. Cela ne suffit pas de recruter les bons profils. Il faut aussi réussir à les faire travailler ensemble. Ces 15 dernières années, nous avons beaucoup parlé des talents. La question aujourd’hui est plutôt de savoir comment faire collaborer ces talents dans une équipe. Ce devrait être une préoccupation constante des RH.
 

C’est ainsi qu’ils doivent soutenir le leadership?

C’est cela! La gestion des talents est liée à la culture d’entreprise. Et ce lien est incarné dans le leadership. Les leaders devraient être capables de faire évoluer ces talents et cette culture d’entreprise. Quand je parle avec des cadres RH, je leur dis en général qu’il y a trois choses importantes qu’ils peuvent apporter à une organisation: la gestion des talents, le leadership et la culture.
 

Une manière de mesurer la qualité du leadership est d’observer le taux de rétention chez les cadres? 

Absolument, réussir à fidéliser les bons collaborateurs est un formidable indicateur de la qualité du management. Un autre indicateur consiste à mesurer si les collaborateurs travaillent parce que leur chef le leur demande ou s’ils s’engagent aux côtés de leur supérieur. Si un nombre non négligeable de collaborateurs quittent l’entreprise se plaignant d’un mauvais management, cela veut certainement dire que la culture du leadership de cette société pose problème.
 

Quels sont les meilleurs prérequis pour réussir une carrière de manager RH?

Il s’agit d’une combinaison de trois disciplines: la psychologie, la sociologie et l’économie d’entreprise. Si vous êtes psychologue, vous allez surtout vous préoccuper des individus et il faudra faire des efforts pour comprendre le fonctionnement du business dans un contexte organisationnel. Si vous êtes sociologue, vous comprenez bien comment fonctionne une organisation. Et si vous êtes un économiste d’entreprise, vous connaissez un peu des deux. J’estime qu’une bonne combinaison de ces trois disciplines est idéale pour la Fonction RH. Si je devais citer une tendance, je remarque que de plus en plus de RH arrivent dans ce métier après avoir passé plusieurs années dans des fonctions opérationnelles. C’est très positif.
 

Que pensez-vous des juristes dans les RH?

Personnellement, j’estime que les questions juridiques abordées dans les départements RH ne sont rien d’autres que des enjeux psychologiques. Ainsi, je pense que les RH devraient mieux se préoccuper de l’impact psychologique de certaines décisions du business.
 

Quel serait votre message à la communauté RH de Suisse?

Premièrement: Pensez «outside in»! (hors cadre, ndlr). Deuxièmement: Créez de la valeur pour vos clients internes et externes et livrez-leur du talent, du leadership et de la culture d’entreprise. Troisièmement: Préoccupez-vous aussi de votre développement afin de pouvoir répondre à tous ces défis!
 

Et quelle est votre impression des RH de Suisse?

Je suis suffisamment sage pour ne pas avoir d’impressions.
 

 

Le père du HR Business Partner

Dave Ulrich (62 ans) est un des consultants RH les plus influents de la planète. En 1997, il publie «Human Resource Champions: The Next Agenda for Adding Value and Delivering Results» (éd. Harvard Business School Press), un best-seller qui décrit pour la première fois le modèle des HR Business Partners. Dave Ulrich intervient régulièrement en entreprise. Il est professeur à l’Université de Michigan, où il mène des recherches sur le Change Management, le Leadership, les RH et le Talent Management. Il était invité en automne 2014 à Zurich, dans le cadre des ZfU-Workshops.

traduit par Marc Benninger
commenter 0 commentaires HR Cosmos
Plus d'articles de Simon Bühler